40.
J'ai étonnement réussi à m'endormir cette nuit. Certes mon sommeil était agité et mes rêves peuplés de morts, mais j'ai tout de même dormi.
L'horloge face à mon lit affiche huit heures du matin. Anouk n'est toujours pas arrivée. Je suis censée l'attendre pour faire ma toilette et me préparer car je dois être constamment surveillée. Habituellement, elle arrive vers sept heures. Je décide finalement de me lever pour aller dans la salle de bain. Je ne suis pas non plus handicapée, je sais parfaitement me déplacer toute seule. Le plus contraignant est le petit chariot que je dois trimbaler derrière moi, avec la perfusion accrochée dessus. En arrivant dans la salle de bain, je commence par me passer de l'eau sur le visage pour me réveiller. L'eau froide à le don de me vivifier instantanément. J'enlève ensuite la tunique que je porte tout le temps pour me glisser sous la douche. Mais en voyant mon reflet dans le miroir et en m'inspectant de près, je me rends compte du changement qui s'est produit sur mon corps. Je n'ai jamais eu un ventre très plat, mais j'ai l'impression que celui-ci est légèrement gonflé. Mon nombril ressort aussi un peu. Mais avec les dix kilos que j'aie perdu, les os de mon bassin ressortent et ceux de mes côtes sont tout à fait visibles. De ce fait, mon bas-ventre imperceptiblement gonflé se voit davantage.
C'est alors avec timidité que je pose ma main là où se passe actuellement tout un processus : un petit bébé s'y forme doucement. Mais à peine ai-je posé ma main que la porte s'ouvre en grand, laissant apparaître Anouk.
- Tu n'es pas censée te laver seule, me prévient-elle.
Gênée par sa présence devant mon corps nu, je tente vainement de me cacher. Elle me lance un regard de reproche mais ne dit pas grand chose d'autre. Elle sort ensuite de la salle de bain en laissant la porte ouverte s'il m'arrive quoi que ce soit.
Je me douche rapidement et je revêt la tunique propre qu'elle m'a apporté.
En la retrouvant dans ma chambre, je lui demande :
- Est-ce que je pourrais voir Edan aujourd'hui ?
- Bien sûr, je le ferai appeler pour qu'il vienne ici.
- Merci, dis-je. Je ne l'ai pas vu à la réunion, tu sais pourquoi il n'y était pas ?
Anouk prend quelques secondes pour réfléchir :
- Il a subi un grand traumatisme ... La perte de quelqu'un qui nous est chère engendre tout un tas de choses. Edan se remet lentement de cette perte, mais tu dois être patiente et compréhensive.
- Je sais ... Je ne connaissais pas Nélo tant que ça, et je ne sais pas vraiment quelle était la nature de leur relation. C'est comme si je découvrais seulement maintenant l'attachement qui lui portait ...
- Ne t'en fais pas, tout va s'arranger, cela va juste nécessiter du temps ...
Le problème, c'est que j'ai l'impression que je n'aie pas le temps.
- Tu penses que je devrais dire à Edan que ... que je suis enceinte ...
Anouk soupire et fuit mon regard.
- Je ne sais pas. Cela dépend de toi, cela dépend de la décision que tu vas prendre. Je ne connais pas bien Edan, je ne suis pas en mesure de te dire quoi faire surtout par rapport à lui, écoutes juste ton cœur. Mais tu ne dois surtout pas considérer ça comme une charge. Tu dois désirer cet enfant.
Ecouter mon cœur ? Quel conseil à la noix. Que dit mon cœur ? Si seulement je le savais ...
Peut-être qu'au fond de moi, je veux cet enfant. Peut-être que je serai la plus heureuse des femmes avec Edan à mes côté. Mais je n'arrive pas à me réjouir de cette nouvelle. Je n'ai que dix-huit ans. Je viens de découvrir que ma vie est basée sur un mensonge et que je suis enceinte. Est-ce que je suis prête à encaisser tout ça ?
Un long soupir s'échappe de mes lèvres. J'aimerais tellement découvrir ce nouveau monde ! Sortir de cette chambre étouffante et rejoindre l'air libre ! Mais je ne peux pas. Je suis enfermée ici parce que je suis enceinte.
***
Trois coups sur la porte me font sortir de mon état de transe dans lequel j'étais plongée.
- Salut Aurore, dit Edan.
Il ferme la porte derrière lui et vient s'asseoir prêt de moi. Ses yeux sont hagards et son teint est un peu blême. Je lui prends la main et je me redresse en position assise sur mon lit.
- Edan. Tu vas bien ?
Il se contente de hocher la tête mais ses yeux fuyants sont la seule réponse que j'accepte. Je n'ose pas l'embrasser, mais quand il se penche vers moi pour poser délicatement ses lèvres sur les miennes, je ne rechigne pas. Je l'invite à s'asseoir à côté de moi sur le lit, ce qu'il fait en silence.
- Tu as vu la réunion hier ? Demande-t-il.
- Oui, je réponds. Pourquoi tu n'y était pas ?
- Je ne me sentais pas bien ...
- Je comprends.
Un ange passe.
- Je ne sais pas quoi penser, avoue-t-il. Je suis complètement perdu et je pense que le fait d'être enfermé n'arrange pas les choses. Je rumine pendant toute la journée tous les événements qui ce sont passés et plus je réfléchis, plus je me sens perdu. Je ne sais pas quoi faire.
Je pose ma tête sur son épaule pour ne pas qu'il voit mes yeux humides. S'il savait à quel point autre chose me tourmente. De plus, son ton triste et sa voix tremblante me supplient de ne rien dire de ma condition. Il est trop fragile pour le moment.
- Je pense qu'il n'y a rien à faire, dis-je après un moment. Nous devons attendre de mieux comprendre ce qu'il se passe.
- J'aimerais m'endormir très longtemps et me réveiller simplement quand tout ça sera terminé.
- Moi aussi.
Notre conversation s'arrête ici. Nous ne parlons plus et je me rends compte après quelque temps qu'Edan s'est endormi. Peut-être qu'il n'a fait que des nuits blanches depuis notre arrivée. Et voir que je peux le calmer me fait sentir spéciale. Son visage serein d'homme endormi me rassure. Ses doutes n'ont pas contaminé ses rêves. Je l'embrasse doucement sur la joue en prenant soin de ne pas le réveiller et je me love de nouveau contre lui. Je me laisse ensuite bercer par la respiration calme qu'il produit.
Je me réveille en sursaut quand la porte de ma chambre s'ouvre de nouveau. Anouk entre dans la pièce et je me redresse. Edan semble lui aussi réveillé car il s'étire.
- Le docteur Lambert veut vous voir Aurore. C'est important.
Mon cœur accélère soudain ses battements. Pendant un instant je crois qu'Anouk va dire à Edan que je suis enceinte et ma tête tourne. Mais elle n'en fait rien. Edan se lève et m'embrasse furtivement avant de sortir de la pièce ne me jetant pas même un dernier regard avant de fermer la porte.
Je me laisse lourdement tomber sur mon oreiller. J'ai envie de pleurer.
- Tout va bien Aurore, dit Anouk.
- Non, je réponds. Non, rien ne va bien ! Edan est dévasté par la mort de Nélo. Je n'ai pas de nouvelles de Louise ni de Nhoa. Je suis enceinte. J'ai découvert que ma ville natale gouverne ses habitants de façon tyrannique. Je suis très loin d'aller bien. Je me sens fatiguée, exténuée et à bout de souffle. Je veux que tout s'arrête Anouk !
- Tout va s'arranger, me rassure-t-elle. Ne t'inquiètes pas. C'est une période dure, je le conçois, mais rien ne va rester aussi compliqué, je te le promets.
Je veux répliquer, mais le docteur Lambert entre dans ma chambre. Je me dépêche de ravaler mes larmes.
- Bonjour Aurore, dit-elle.
- Bonjour, je réponds la gorge nouée.
Elle me sourit puis lance un regard à Anouk voulant dire de la laisser seule avec moi. Anouk me lance un regard désolé puis s'éclipse.
- Comment te sens-tu aujourd'hui ? Demande Jeanne.
- Mal, je réponds.
Jeanne soupire un peu puis se rapproche de moi. Elle prend un air grave mais empreint de compassion et presque de tristesse.
- Les tests effectués ont révélé que vous avez une grossesse à risque, plus que je ne le pensais. Ce qui veut dire que si vous voulez garder votre enfant, vous devrez à tout prix vous reposer et être alitée. Je n'aime pas annoncer ce genre de nouvelle, mais je pense qu'il est dans votre intérêt d'interrompre votre grossesse. Mais le choix final restera votre, vous devez vous décider.
Je baisse les yeux. Je redoutais ce moment.
- Je ne peux pas me mettre à votre place, mais je devine que cette situation va générer une dose importante de stress. De plus, ce nouvel environnement va vous déstabiliser. Vous êtes aussi bouleversée par les derniers événements. J'aimerais donc que vous réfléchissiez sérieusement aux possibilités qui s'offrent à vous. Je suis consciente que ce sont des situations qui demandent réflexions, mais le temps presse et votre décision doit se faire rapidement ...
J'aimerais lui crier que je suis perdue et que personne ne semble être ici pour m'aider. Mais je ne peux pas. Si seulement je pouvais parler à Louise !
- D'accord, dis-je. Je vais y réfléchir ...
- J'aimerais avoir votre décision d'ici la fin de la semaine. Les choses vont aller vite Aurore, mais soyez certaine que peu importe votre choix, les choses vont s'arranger.
Elle m'offre un de ces sourires réconfortants. Je n'ai pas eu droit à beaucoup de ces sourires et la dernière personne à m'en avoir donné est madame Desroliers. C'est le genre de sourires si francs et honnêtes qu'on ne doute pas une seconde des intentions du locuteur. C'est un sourire enchanteur qui nous enveloppe d'une chaleur agréable.
- Merci, dis-je.
- De rien Aurore. Bonne journée.
Sur ce, Jeanne s'en va à son tour et je me retrouve de nouveau seule dans ma chambre aux couleurs insipides.
Je calme doucement ma respiration. Bien que cette épée de Damoclès est au dessus de ma tête depuis un certain temps, je ne m'attendais pas à la voir vaciller si tôt. Je ne réalise pas du tout ce qui pourrait m'arriver si je décide de ne pas interrompre ma grossesse. Comment vivra-t-il ses premières années ? Que se passera-t-il pour moi ? Pour Edan ? Jeanne ne cesse de me dire que peu importe ce que je choisis, tout se passera bien. Mais je n'en suis pas si sûre.
Je me sens tellement jeune ! Cette responsabilité me parait trop étouffante, même si je la partage avec Edan. La situation est encore trop incertaine pour que je puisse prendre une décision que je suis sûre de ne pas regretter. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir plus longtemps.
La porte s'ouvre encore, me coupant dans mes réflexions. Anouk entre, le sourire aux lèvres, et je me demande bien quelle nouvelle je vais devoir encaisser.
- Une autre réunion est prévue pou demain, tu ne pourras pas y aller évidemment, mais tu pourras y assister à travers ta tablette.
Elle continue de me sourire mais je n'ai pas la force de répondre à son enthousiasme. Et puis, une question se forme sur mes lèvres :
- Est-ce qu'il est possible de communiquer avec la ville ?
Son sourire s'évanouit.
- Je ne pense pas que tu aies le droit de le faire. Ce sont des choses compliquées à mettre en oeuvre qui peuvent mettre en péril les gens avec qui tu communiques. Je ne pense pas que c'est ce que tu veux ...
Touchée.
- J'aurais tellement voulue avoir des nouvelles de certaines personnes, dis-je.
Je pense à Louise, à Nhoa. À tous ceux que j'aie connu. J'aimerais leur dire que je vais bien. J'aimerais rassurer Louise qui est surement au courant de ce qui s'est passé chez les Sauvages. Nhoa a du lui raconter.
- Ce sera bientôt terminé Aurore, ne baisse pas les bras, me confie Anouk.
Je la regarde tristement. J'aimerais que cela soit déjà fini, j'aimerais ne pas avoir à me soucier d'autant de choses.
- J'espère, je réponds.
Une autre question me traverse l'esprit :
- Est-ce que c'est à cause de ma grossesse que je me sens aussi ... exténuée ?
- Tu as traversé des épreuves très intenses physiquement ces derniers jours, et ta grossesse augmente en effet ta fatigue. Mais je pense que tu es aussi trop préoccupée par d'autres choses. Edan, Jude ... tout te perturbe ...
Ses paroles me laissent pantelante. Je veux me mettre en colère en lui criant qu'elle ne sait rien de ce qu'il se passe dans ma tête ou dans mon cœur mais force est de constater qu'elle n'a peut-être pas tord. Depuis le début, je me concentre sur l'attirance que je porte à Edan, mais je ne peux pas nier le fait que je tiens énormément à Jude. Jude et ses yeux foncés, Jude et ses fossettes, Jude tout entier. Il est à mes côtés depuis qu'Edan est partit et il n'a jamais arrêté de se soucier de moi.
Edan.
Jude.
Il n'en faut pas plus pour que des larmes coulent sur mes joues.
Saletés d'hormones !
Je déteste cette partie faible de moi-même. J'essaie toujours de paraître forte aux yeux des autres, mais à cet instant, je sais qu'Anouk ne me jugera jamais. Elle se précipite d'ailleurs dans ma direction pour m'entourer de ses bras et j'y retrouve un réconfort que je cherche depuis longtemps. Le sentiment de culpabilité qui me ronge depuis mes retrouvailles avec Edan ne s'est jamais envolé et jusqu'à maintenant, j'avais du mal à savoir pourquoi. Anouk vient juste de m'en dire la raison. Ce poids sur mes épaules s'ajoute à tout ce qui était déjà présent, et si je ne fais pas quelque chose, je vais être écrasée sous ces kilos de sentiments.
***
Après sa venue, Anouk est restée avec moi toute la journée. Nous avons parlé suffisamment pour que j'oublie l'espace d'une demie-journée tout ce qui se passe. Mais aujourd'hui est le retour à la réalité. Nous n'avons évoqué ni Edan, ni Jude. Il me fallait une pause, je voulais les effacer de mon esprit pendant au moins ce temps là.
La réunion est censée commencer à quatorze heures. J'attends Anouk qui a pris sa pause déjeuner et qui doit me rejoindre pour regarder avec moi la réunion.
À treize heures cinquante-sept, ma porte s'ouvre et Anouk se presse pour s'asseoir à mes côtés. Elle allume rapidement la tablette et nous attendons qu'un message apparaisse. Quand l'écran s'allume, c'est avec surprise que nous découvrons seulement monsieur Marschal dans un bureau blanc.
- Bonjour, dit-il. Vous vous attendiez surement que je sois accompagné de mes autres Conseillers, mais le message que je veux vous faire passer ne nécessite pas leur présence.
Son ton est toujours aussi sympathique et joyeux.
- Comme je l'ai dit lors de la dernière réunion, nous voulons organiser une mission dans l'ancien village Sauvage. Je fais donc appelle à vous, Sauvages, qui souhaitez retourner là bas pour constater des dégâts. Vous pouvez tous venir à condition d'avoir un avis favorable de votre médecin. En revanche, j'espère que je ne vous apprends rien si je vous dis que c'est une mission qui reste risquée ! Vous devez être conscients des risques qui pourront se présenter sur place. La mission est prévue pour le samedi neuf Octobre, ce qui vous laisse plus d'une semaine pour y réfléchir. Nous ne vous obligeons à rien,mais sachez tout de même que la présence de quelques anciens Sauvages sur place pourraient être d'une grande utilité pour nos équipes.
Il regarde la caméra mais laisse le silence planer quelques secondes avant de reprendre :
- Merci de votre écoute. Une réunion sera organisée pour ceux ou celles d'entre vous qui veulent participer. Passez tous une bonne journée, au revoir.
L'écran devient de nouveau noir et je lève les yeux vers Anouk qui me regarde déjà.
Dès le début du discours de monsieur Marschal, j'ai su que je serai une des leurs lors de cette mission. Mon cœur s'est emballé à cette perspective. Et puis, quand il a évoqué le médecin, j'ai su que madame Lambert ne me laisserai jamais aller là-bas si je décide de garder le bébé.
La décision que j'envisageais alors se confirme dès à présent.
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Coucou ! :)
Voilà pour ce chapitre, en espérant qu'il vous a plu ;)
Comme toujours, dites moi ce que vous en pensez !
Bisous et merci à tous énormément ! :D ♡
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