38.
Anouk m'a laissé avec Edan pendant environ une heure pendant laquelle nous avons presque échangé aucun mot. Il est dévasté par la perte de Nélo, ça se voit profondément sur son visage. Le voir ainsi anéanti me fait un mal de chien, mais je dois être là, c'est mon rôle.
Pour me changer les idées, je décide de passer un petit interrogatoire à Anouk.
- Nous sommes dans un hôpital n'est-ce pas ?
- Tout à fait, répond Anouk, nous appelons ça un centre de soin.
J'hoche la tête. Hôpital, centre de soin, c'est la même chose non ?
- J'ai trop de questions, avoué-je. Comment ça se fait que nous n'ayons jamais entendu parler d'Utopia ? Et de quoi votre ville nous a sauvé au juste ?
Anouk soupire bruyamment. J'ai besoin de ces réponses car elles vont me permettre de comprendre ce qu'il se passe, ce qu'il m'arrive.
- Je ne suis pas en mesure de te répondre.
C'est à mon tour de soupirer, elle est fermée comme une huître, impossible de lui soutirer la moindre information.
- Mais j'ai le droit de savoir non ? Mettez-vous à ma place ! Je me réveille dans un endroit totalement inconnu dont je n'ai jamais entendu parler, et vous refusez de me donner la moindre réponse ?
Je pense que je suis maintenant totalement réveillée. Mon cerveau ne marche plus au ralenti et j'arrive à coordonner mes gestes. Mais cela veut aussi dire que je retrouve tout mon caractère.
- Ce n'est pas mon rôle tout simplement ! Je suis juste là pour t'accompagner, je dois prendre soin de toi, c'est tout.
Je retiens un autre soupir.
- Que va-t-on faire de nous ?
Anouk ne répond pas et cela à le don de me mettre en rogne.
- Vos autorités ont surement secouru d'autres Sauvages non ? Où sont-ils ?
- Je n'en sais rien, répond Anouk d'une voix monotone.
Devinant qu'elle ne va pas me porter plus de réponses que ça, j'abandonne mes questions, mais je les garde pour plus tard. Je refuse de rester sans rien faire alors que je ne sais rien de ce qu'est devenu Nhoa ou même si je reverrais un jour Louise. Cette pensée s'abat sur mon corps comme un poids qu'on m'aurais lançé.
Je ne sais même pas où je suis précisément. Certes à Utopia mais où par rapport à notre ville. Je n'ai pas vu beaucoup de cartes mais je trouve que c'est rassurant de pouvoir se repérer. Je ne connais rien de cette ville à part les couloirs blancs et le sol bleu. Je veux sortir de là, je veux respirer, je veux des réponses.
- On retourne dans ma chambre ?
- Oui, vous devez vous reposer.
A quoi ça sert de me reposer ? Je suis sûre que j'ai passée les dernières vingt-quatre heures anesthésiée par le foutu produit !
- Combien de temps ai-je dormi ? Nous sommes quel jour ?
Je sais que c'est des questions auxquelles Anouk peut répondre. Elle ne peut pas me laisser dans une telle ignorance, juste par pitié.
- Vous êtes arrivés Dimanche soir mais je ne sais pas depuis combien de temps tu dormais. Nous sommes lundi au fait.
Lorsque j'étais chez les Sauvages, j'ai presque perdue toute notion des jours et des dates. Je savais que l'on était le week-end lorsque nous ne travaillions pas, mais en ce qui concerne la date précise, je n'en ai aucune idée.
- Lundi ? Lundi combien ?
- Lundi vingt-sept Septembre.
Vingt-sept Septembre. Je me souviens que nous sommes parti le huit Septembre de la ville. Cela fait donc vingt jours ?! Je ne sais pas si c'est beaucoup ou au contraire, si c'est peu. A vrai dire, je n'ai pas vu le temps passer chez les Sauvages. Et paradoxalement, j'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas vu Louise ...
Nous arrivons enfin devant ce qui semble être ma chambre. Anouk ouvre la porte et elle me réinstalle dans mon lit, même si je sais que je n'ai pas besoin de son aide. Quand je suis confortablement allongée, Elle s'assoit sur le petit tabouret à droite du lit et me regarde. Je suis assez mal à l'aise et je fuis son regard inquisiteur. Pourquoi elle me regarde comme ça ? Elle répond à mon interrogation :
- Je pense que quelqu'un viendra te voir dans la journée ou demain. D'après ce que je sais, vous êtes des cas particuliers. Je ne sais pas trop ce que ça signifie, mais je pense que des membres de différents Conseils vont vous expliquer la situation.
Je garde mes yeux sur elle pendant plusieurs secondes, le temps de comprendre et de digérer les informations qu'elle m'a donné. Nous sommes donc des cas particuliers ? Mais ça veut dire quoi exactement ?
Je ferme les yeux et je laisse ma tête tomber lourdement sur les oreillers derrière moi.
Je ne comprend rien.
Une forte envie de pleurer me submerge sans que je sache vraiment pourquoi. Peut-être que si je supplie Anouk de m'expliquer elle le fera ? Surtout si je pleure ?
- Je suis désolée mais c'est tout ce que je sais ...
Ses paroles m'achèvent et voilà que je pleure à chaudes larmes. Ce ne sont pas les mêmes pleurs que d'habitude. Je me sens véritablement perdue et sans points d'accroche, je me laisse tomber dans un vide noir qui ne cesse de m'aspirer vers le bas. Cette chute vertigineuse me retourne l'estomac et une grosse nausée me prend alors. Sauf qu'apparemment, je n'ai pas mangé depuis plus d'un jour. Ma tête tourne et je sens que ma vue s'assombrie.
- Tu vas bien Aurore ? Demande Anouk inquiète.
Je ne peux pas parler mais j'ai quand même la force de secouer la tête. Je l'entends se lever et appeler quelqu'un à l'interphone. Un liquide acide remonte le long de ma gorge et voilà que je vomis sur mes draps.
***
Lorsque j'ouvre les yeux un peu plus tard, j'aperçois Anouk à côté de moi. Je dois cligner plusieurs fois des yeux pour retrouver mes repères et mes esprits. Je me souviens avoir vomi, puis j'ai perdu connaissance.
- Bonjour Aurore, dit une femme devant mon lit. Est-ce que vous m'entendez correctement ?
Je hoche la tête difficilement car je n'arrive pas très bien à coordonner mes gestes pour le moment. Je suppose que c'est un médecin car elle revêt une blouse blanche impeccable.
- Super, reprend-elle. Ne vous inquiétez pas, je suis simplement ici pour vous parler. J'ai besoin d'en savoir un peu plus sur vous, d'accord ?
Nouveau hochement de tête.
- Tout d'abord, je suis votre médecin le docteur Lambert. Je sais que la situation est difficile à gérer pour vous et que je n'arrange pas les choses en venant vous aborder directement à votre réveil, mais je dois vous expliquer quelques petites choses.
Je ne réagis pas à ses paroles, préférant la laisser continuer.
- Comme vous devez surement le savoir, vous êtes à Utopia. Nous vous avons secouru lors d'un intervention alors que le Gouvernement de votre ville tentait de capturer les membres de la communauté Sauvage dont vous faisiez partit.
Jusque là, je suis le déroulement de l'histoire, même si je me pose toujours la question qui est de savoir de quoi ils nous ont sauvé.
- Votre état à votre arrivée nous a laissé perplexe. Vous aviez de nombreuses ecchymoses et votre poids devenait inquiétant sans pour autant être alertant. Nous avons procédé à plusieurs tests et nous avons réussi à établir un bilan complet de votre état de santé ...
Elle s'arrête en plein milieu de sa phrase et regarde Anouk nerveusement. Elle reprend ses explications.
- Vous avez besoin de rester ici pendant minimum une semaine.
Je veux répliquer quelque chose en disant qu'il est hors de question que je reste allongée ici sans rien faire alors que j'ai tellement de questions mais je me retiens car je sais que ça n'aboutira à rien.
- Vous souffrez également d'une fatigue physique indéniable et vous avez besoin d'énormément de repos. Vous devez rester allongée le plus possible en ménageant vos efforts. Anouk sera auprès de vous vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il n'y a aucunes raisons de vous inquiétez.
Elle me laisse le temps d'avaler cette nouvelle puis reprend d'un ton plus grave :
- Mais je dois avant tout vous posez des questions d'ordre un peu plus privé.
Elle lance un regard à Anouk qui s'éclipse. Je ne bronche pas. Le Dr.Lambert se rapproche de mon lit et s'assied tout prêt de moi.
- Je dois vérifier les informations que l'on m'a fournis, je vais donc vous demander de confirmer ou de nier les informations que je vais vous dire.
- D'accord, dis-je.
- Bien. Vous vous appelez Aurore et vous avez dix-huit ans.
J'hoche la tête.
- Vous mesurez un mètre soixante-trois et votre poids est descendu jusqu'à quarante-deux kilos.
Je suis choquée par l'annonce de mon poids. J'ai perdu dix kilos depuis mon attribution. J'hoche tout de même la tête.
- Votre premier partenaire s'appelle Edan c'est ça ?
- Oui, je réponds.
Elle laisse tomber la tablette en verre qu'elle avait dans les mains et me regarde plus intensément.
- Promettez-moi de répondre sincèrement.
J'hoche la tête mais son regard se fait plus insistant alors je réponds de vive voix tout en roulant des yeux :
- Je le promets.
Elle prend une grande inspiration et je me sens un peu paniquer face à on visage solennel.
- Votre société repose sur un principe assez barbare et inhumain qui consiste à vous demander de vous reproduire le plus possible avec des partenaires différents n'est-ce pas ?
Je suis sous le choc.
Depuis le début, notre système éducatif nous a appris que ce système est international. Mais si c'est le cas, pourquoi suis-je fasse à quelqu'un qui qualifie ce système de barbare ? Je fronce les sourcils tout en approuvant. Elle devine le tourbillon de pensées qui frappent contre mon crâne :
- Toutes les réponses à tes questions vont être résolues dans peu de temps, pour l'instant garde ton calme.
Un sourire chaleureux envahit son visage. Je ne sais pas quel âge cette femme a, mais je remarque des rides se creuser autour de ses yeux et entre ses sourcils.
- Pour continuer sur ton partenaire, j'aimerais savoir quelle relation tu entretenais avec lui.
Je prends quelques secondes pour réfléchir à la réponse. Je ne sais pas comment qualifier ma relation avec Edan entre "magique" et "indescriptible". Finalement, j'opte pour la simplicité et l'honnêteté :
- Nous nous aimons.
Cette phrase semble la choquer car elle ouvre de grands yeux. Elle cherche ensuite ses mots.
- Tant mieux, dit-elle encore surprise. Et donc, je devine que vous aviez une certaine intimité ...
Je ne comprends pas où elle veut en venir, mais mes joues commencent doucement à chauffer quand je repense aux étreintes plus ou moins passionnées que j'avais avec Edan. Elle parait comprendre et son air devient encore plus grave.
- Vous avez eu beaucoup de rapports ?
Je baisse les yeux, mais il est difficile d'échapper à son regard.
- J'ai besoin que tu me répondes franchement Aurore, je ne te jugerai pas.
J'hésite encore un peu avant de répondre hésitante :
- Oui ...
- Et je devine que vous ne vous êtes jamais protégés ?
Je ne sais pas ce qu'elle veut dire par "protégé", et puis je repense à ces pilules qu'Edan m'a donné lorsqu'il était revenu.
- Pas au début, mais lorsque nous sommes allé chez les Sauvages, je prenais une sorte de comprimé. On appelle ça la contraception je crois ...
Elle hoche la tête avec scepticisme mais ne dit rien. Je prends conscience que quelque chose ne va pas dans la façon qu'elle a de me regarder.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Je demande soucieuse. Pourquoi vous me posez des questions aussi indiscrètes ?
Elle prend une grande inspiration et plante ses yeux marrons dans les miens.
- Avez-vous découvert un quelconque changement en vous ? Autant physiquement que psychologiquement ?
Sans réfléchir à sa question je réponds :
- Non ! Pourquoi toutes ses questions ? Qu'est-ce qu'il m'arrive ?
- Calmez-vous s'il vous plait, la situation est suffisamment délicate pour tout le monde et si vous arriviez à vous calmer, ce ne serait pas du luxe.
Son ton autoritaire me fait taire immédiatement et malgré ma désorientation totale, j'ai réussi à calmer les battements de mon cœur.
- Très bien, reprend-elle. D'après ce que vous m'avez dit, vous ne semblez être au courant de rien et j'espère vraiment que cette nouvelle ne va pas vous accabler.
Elle fait une pause et je la regarde attentivement. Je meure d'envie de savoir quelle est cette "nouvelle" alors je rassemble tous les petits éléments qui semblent avoir un peu de signification pour moi. Son interrogatoire portait sur ma relation avec Edan et en particulier sur nos rapports, elle m'a parlé de "protection" et elle a du mal à m'annoncer une nouvelle qui pourrait me bouleverser.
Les pièces du puzzle se mettent en place dans ma tête et alors que je commence à lentement faire la phrase dans ma tête elle la prononce à voix haute :
- Vous êtes enceinte Aurore.
En une fraction de seconde tout mon univers en miette s'écroule. Mes poumons se bloquent et je n'arrive plus à respirer. Je me sens en apesanteur, comme si chaque cellule de mon corps s'émancipaient. Plus rien n'est relié à mon cerveau, j'entends simplement la phrase en continu
Vous êtes enceinte Aurore. Vous êtes enceinte Aurore. Vous êtes enceinte Aurore ...
Je reviens à la réalité à cause du bip de la machine à mes côtés, ma transe n'a durée que très peu de temps. Mes yeux se focalisent sur ceux de mon docteur qui me regarde avec un air indescriptible.
- Cela fait un petit peu plus de deux mois, annonce-t-elle.
Sa voix me paraît lointaine.
- Il est encore temps, si vous le souhaitez, d'interrompre votre grossesse. C'est votre choix. Cependant en tant que médecin, je m'inquiète de votre état de santé et de celui de votre bébé. Vous êtes très faible et par conséquent je ne sais pas si votre corps réussira à supporter cette grossesse ou si votre bébé s'en sortira.
Je suis incapable de réagir.
Je suis enceinte ? Je vais avoir un enfant ?
Mes mains se posent instinctivement sur mon ventre plat. Comment n'ai-je pas pu sentir que de la vie s'y formait ? Cela paraissait tellement évident lorsque j'avais touché le ventre de Louise.
C'est seulement quand j'entends la porte claquer que je me rends compte que le docteur est partie. Je suis seule. Pas tout à fait en réalité ...
Soudain mon cœur s'affole. La réalité m'accable de son poids insoutenable. Je vais avoir un enfant, avec Edan. Mais suis-je prête pour ça ? Est-ce que je veux réellement ça ?
Je ressens alors une haine profonde pour le petit être dans mon ventre. Pourquoi est-il là ? Pourquoi arrive-t-il à ce moment précis ?
Toute la colère que je gardais pour moi jusqu'ici éclate. Je laisse échapper toutes les larmes qui témoignent de ma frustration et de ma colère. Rien n'aurait du se passer ainsi, j'aurais du vivre une vie tranquille et obéir à mon devoir de Génitrice sans me poser de questions. Peut-être qu'a cet instant j'aurais été heureuse d'être tombée enceinte. Peut-être que nous aurions fêté ça avec Edan, car nous aurions accompli notre rôle. Et maintenant, allongée dans un lit d'hôpital, je ne désire qu'une seule chose : retourner en arrière et effacer ma haine envers le Gouvernement. Ça aurait été tellement plus simple ...
Je n'aurais pas du avoir le choix, j'aurais du accepter cette grossesse et je suis sûre que j'en aurais été ravie.
Mais maintenant que j'ai le choix, maintenant que je peux décider de ma vie, tout est beaucoup plus compliqué.
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Salut ! :D
Ce chapitre assez court se termine sur une grosse révélation !
J'attends vos réactions !
Bisous ! ♡
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