26.

En me réveillant ce matin, une boule se forme tout de suite dans mon ventre. Une boule qui prend toute la place et qui me martèle les entrailles.
Il est cinq heures trente et nous sommes mercredi huit septembre.
C'est le grand jour.
Je me tire du lit pour aller dans le dressing et m'habiller. Nos sacs sont déjà prêts, ils sont rempli de nourriture de quelques vêtements et de couvertures. Dans le dressing, je choisis un slim noir, un tee-shirt basique et un pull à capuche bleu marine. Je fais une queue de cheval et je m'en vais dans la salle de bain pour faire ma toilette.

C'est la dernière fois que j'ai autant de confort à ma disposition. Bientôt, je vais remettre les mêmes habits chaque jours, je serai dans une maison sans eau courante, sans électricité. Mais cela ne va pas me faire changer d'avis.
Je sors de la maison et je me dépêche de me rendre chez Louise dont la lumière du salon est allumée. Je pousse la porte d'entrée entrebaillée pour rejoindre Louise, assise dans son sempiternel fauteuil. Quand elle me voit, elle se lève dans un bond et court dans mes bras.

- Je t'aime Aurore ! Lâche-t-elle.

- Je t'aime aussi Louise ! Je suis désolée ...

- Arrêtes, on a dépassé ce stade. On va juste s'assoire sur nos habituels fauteuils et on va discuter dans la joie et la bonne humeur, ok ?

J'hoche la tête. C'est vrai que je n'ai pas envie de me morfondre encore une fois. Je prends ma placeet Louise prend la sienne.

- Je vais quand même te demander quelque chose, avoue-t-elle.

Je l'encourage à continuer face à son ton hésitant.

- Est-ce que tu vas revenir ?

Sa question me prend par surprise. Mais je ne sais pas quoi lui répondre tout simplement car je ne sais pas si je vais revenir ici un jour. Peut-être que je ne vais pas me plaire chez les Sauvages. Ou au contraire, je vais tellement m'y sentir bien que je ne vais pas voir le temps passer et que plus jamais je ne reviendrai ici. Ou peut-être que le Gouvernement va trouver une façon d'attaquer les Sauvages et que je me retrouverai prisonnière.
Stop !
Je dois arrêter de penser à toutes les façons qui existent pour foutre ma vie en l'air. Je réponds alors à Louise :

- Je vais revenir, oui. Je ne peux pas partir en te laissant seule ici.

Elle sourit et prend mes mains par dessus la table basse. Ses yeux brillent légèrement et une boule se forme dans ma gorge. J'essaie de l'ignorer en a valant ma saline.

- Merci Aurore, dit-elle.

Je lui souris simplement car je suis incapable de parler, de peur de fondre en larmes. Je dois me ressaisir.
Finalement, nous trouvons un sujet de conversation totalement différent. Nous parlons de notre innocence lorsque nous étions petites. J'arrive à rire quelques fois et nous passons un bon moment. J'en oublie presque mon départ.
C'est trois coups à la porte qui me font émerger. Louise se lève alors et je la suis dans l'entrée. J'ouvre la porte pour découvrir Edan et Jude sur le palier. Je leur dis que j'arrive et je referme la porte. Je me retourne ensuite vers Louise et je tends les bras. Nous nous serrons dans une étreinte. Je respire l'odeur de ses cheveux parfumés à la pêche.
Elle va me manquer plus que tout.
- Tu m'oublies pas hein ? Demande-t-elle.

Ses paroles me font penser à celles qu'elles m'avaient dit le jour de mon Attribution. Je rigole et je roule des yeux. Je retiens mes larmes le plus possible.

- Jamais, lui dis-je.

Nous nous embrassons encore une fois puis je sors de la maison en lui faisant un signe de la main auquel elle répond par un bisou papillon. Je referme ensuite la porte et je retrouve Jude et Edan aux pieds des marches.
Ils posent sur moi des regards interrogateurs et en je souris faiblement à leur question muette.
Nous partons ensuite vers le nord de la ville. Edan ouvre la marche et je suis derrière avec Jude. Personne ne parle, je crois que nous sommes trop fatigués ou chamboulés.

Hier, Jude est allé dire au revoir à sa mère. Je l'ai accompagné mais je n'ai pas rencontré sa mère. Je voulais leur laisser leur intimité. Il n'avait pas l'air plus triste que ça. De nos jours, nos relations avec nos parents sont assez superficielles. Après tout, Jude est le septième d'une fratrie de quinze enfants. Il m'a dit que peu importait pour lui. Je ne sais pas quoi en penser. Je me sens affreusement coupable de l'arracher de ses parents, de sa mère en particulier. Mais il continue de soutenir qu'il n'en a que faire.

Plus nous nous éloignons du centre de la ville, plus les quartiers semblent délabrés. Les rues sentent les égouts, l'atmosphère est humide. Nous passons par des petites ruelles dont je ne soupçonnait même pas l'existence. Nous longeons ensuite un grand bâtiment en tôle entouré d'un grillage barbelé. L'ambiance est désagréable et assez effrayante. Nous contounons le bâtiment pour attendre Samuel et Judith à l'arrière, du côté de la forêt. Je vais voir Edan avec qui je n'ai pas échangé un seul mot.

- Edan, dis-je pour l'interpeller.

Il se retourne au son de ma voix et semble y déceler un peu de désespoir car il se précipite vers moi pour me prendre dans ses bras. J'encercle mes bras autour de sa taille et je presse mon corps contre le sien. Il répond à mon étreinte. Je relève ma tête et je l'embrasse.

- Ça va être dur, avoué-je.

Il rigole doucement et caresse mes cheveux.

- Oui, mais tu vas être heureuse, déclare-t-il.

Je l'embrasse de nouveau et je me détache. Nous attendons ensuite en silence les jumeaux. Jude s'est rapproché. La tension entre lui et Edan s'est un peu apaisée, à présent, ils s'ignorent. Ce qui est plutôt une bonne option, même si je préférerais qu'ils puissent se parler. Mais on ne peut pas tout avoir.

Judith et Samuel mettent un certain temps à arriver. Il fait de plus en plus clair. Edan tape du pieds pour manifester son empressement alors que Jude observe attentivement les alentours.
Finalement, des bruits de pas nous interpellent et nous voyons arriver les jumeaux. Chacun se salue et nous nous engouffrons dans la forêt. Edan et Samuel ouvrent la marche, je me trouve derrière eux avec Judith. Jude est derrière, il s'assure que nous suivons le rythme et c'est une certaine façon de nous protéger.
Dans les premiers temps, nous échangeons quelques mots, et puis nous marchons de plus en plus vite, ce qui laisse peu de place à toutes discutions. Les seuls bruits perceptibles sont l'écho de nos pas et les animaux qui se réveillent au fur et à mesure que le soleil monte dans le ciel.

Nous marchons, encore et encore. J'ai l'impression de regarder ma montre à intervalle regulier, pourtant des périodes plus ou moins longues se passent entre chaque consultations. Je ne sais pas comment Edan réussi à se repérer dans la forêt. Tout se ressemble, c'est comme si nous tournions en rond.

Après plus de deux heures de marche, nous arrivons enfin à la clairière. Je retire mon sac et je m'étire. Si au début, les cinq kilos sur mon dos ne me dérangeaient pas, c'est une autre histoire maintenant. J'ai l'impression que l'on m'a rajouté un kilo tout les demies-heures ! Nous remplissons nos gourdes, tout ça dans un silence parfois interrompus de mots en monosyllabes.
Après ces quelques minutes de pause, nous reprenons la route.

La journée se passe sur ce même schéma. Nous ne parlons que très peu, comme si nous faisions le deuil d'une vie. Vers dix-huit heures, nous décidons de nous mettre en quête d'un endroit pour dormir. Nous n'avons pas mangé depuis ce matin et la boule d'appréhension dans mon ventre se mêle à la faim qui me tiraille l'estomac.
Nous trouvons finalement un espace dénué d'arbres ou d'autres plantes près de la rivière. Un soupire de soulagement s'échappe de mes lèvres lorsque mon sac atterri. Jude me regarde de façon amusée, je me dirige alors vers lui.

- Ça va ? Je lui demande.

Ma voix est rouillée et sonne très mal. Une journée sans parler laisse évidemment quelques séquelles. Il se racle la gorge.

- Très bien, répond-il en souriant. Pas trop lourd ton sac ?

- Si, avoué-je. Mais c'est supportable, on a tous la même punition.

Il hoche la tête et commence à vider son sac. Autour de nous, Samuel et Edan s'occupent de remplir les gourdes d'eau pour tout le monde alors que Judith installe les couvertures au sol. Je me penche pour vider aussi mon sac.

- Tu ne t'ennuies pas trop à marcher tout seul, derrière ?

Jude se met à rire, je le regarde assez surprise.

- Non, j'ai une belle vue, dit-il enfin.

Il me regarde avec toute la malice dont il est capable et je lui donne un petit coup de poing sur le torse ce qui le fait basculer en arrière.

- Tu n'es qu'un pervers ! Lui lancé-je sans contenir un petit sourire.

- Non, rétorque-t-il. J'aime les jolies choses.

Je roule des yeux tout en sortant une boîte de maïs qui va me faire office de dîner. Nous nous rassemblons tous en rond et je me mets à côtés de Judith et d'Edan. Le repas est silencieux, nous sommes trop exténués pour parler. Mes jambes sont lourdes et même après avoir mangé, mon ventre me fait mal.
Nous nous installons ensuite pour dormir lorsque la luminosité décroît. Nous dormons serrés les uns des autres pour nous réchauffer. Le bruit reposant de l'eau et la respiration calme de Judith à côté de moi ont raison de ma fatigue et je sombre dans un sommeil agité.

***

Lorsque je me réveille enfin à cause de la luminosité, j'entends encore la respiration régulière de mes acolytes. Je n'ai pas très bien dormi, mais ce n'est pas comme qui j'avais fait une nuit blanche. Je me mets en position assise et je masse mon cou endorli. Mes muscles sont tendus, mon cerveau à peut-être repris quelques forces mais mes muscles, eux, douloureux à cause de ma position.

Je tente de me mettre debout mais je titube et je dois me raccrocher à un arbre pour ne pas défaillir sous mon poids. Je me tiens bien droite et j'effectue quelques étirements qui font un miracle sur mes muscles. Je me détends petit à petit en regardant mes compagnons se réveiller au piaillements des oiseaux. Je m'assoie face à eux pour les regarder.
Si Jude et Edan dorment profondément et paisiblement, les jumeaux ont une expression tendue sur leurs visages. Judith ouvre enfin les yeux et s'étire, la position dans laquelle elle se trouvait ne devait pas lui convenir non plus car elle grimace quand elle lève ses bras.
Chacun se réveille doucement.

Nous prenons un petit-déjeuner consistant, c'est le repas le plus important de la journée et nous ne savons pas quand nous allons nous arrêter pour manger le déjeuner.
Nous remballons toutes nos affaires et nous partons en faisant bien attention de masquer au mieux notre passage.

Nous marchons, inlassablement. En échangeant presque aucune parole. J'ai des courbatures qui mitraillent les muscles de mes cuisses. Le seul avantage est que la boule dans mon ventre s'est dissipée.

Je prends soin de marcher à côté de Jude. Il a rigolé ce matin quand il s'est rendu compte que je l'attendais.

Je suis désormais impatiente de voir les Sauvages. Trop de questions sans réponses me taraudent même si je sais que je ne trouverai pas toutes les réponses là-bas. Je devrai les deviner par moi-même.
La vie n'y est sûrement pas très différente.

Je me demande quelle taille fait cette forêt. Notre ville est entourée de végétation, et au vu du peu d'humains qu'il reste sur Terre, je me demande si l'entièreté de la planète est recouverte de grandes et majestueuses forêts. C'est ridicule car je sais que par endroit, le collimateur ne permet pas d'avoir autant de faune et de flore.

***

Cette deuxième nuit à été moins reposante que la première. L'afflux de sang dans mes jambes et les ampoules dans mes pieds me brûlent tout le bas du corps. J'avais pris soin de prendre des chaussures dans lesquelles je me sentais bien et qui permettaient de faire de la randonnée. Mais même avec on bon équipement, je pense que l'on ne peut pas échapper à ce genre de désagréments.

En ce troisième jour de marche, nous ressentons tous la fatigue physique évidente. De plus nous constatons une évolution du terrain. Il est plus vallonné et nous montons actuellement une petite colline. Ou un montagne, qui sait.
Je devine que nous arrivons à la source de la rivière que nous suivons depuis le début. Je suis assez surprise de ne pas avoir remarqué cette chaîne de montagne plus tôt, mais les grands arbres nous empêchaient de voir quoi que ce soit.

L'ascension est éreintante. Plus nous avançons, plus la côte est pentue. Le rythme à légèrement ralenti, mais nous marchons avec toute la vigueur et la force que nous avons. Je me réconforte en me disant que nous arriverons dans la journée. Peut-être sommes nous proche ?

Le bruit de la rivière se fait plus fort et lorsque nous nous en approchons pour remplir nos gourdes de cette eau pures, Edan demande :

- Le village se trouve de l'autre côté de la colline. Il faut traverser la rivière et marcher pour atterrir de l'autre côté.

Nous hochons tous la tête, après tout, c'est lui le chef de l'expédition.

- Les Sauvages m'ont dit qu'ils avaient construit un pont pour faciliter le passage, mais je ne sais pas du tout où il se trouve.

Nous regardons tous la rivière comme pour lui demander de nous le dire.
Nous reprenons notre marche en longeant scrupuleusement la rivière.
Finalement, un pont se dessine au loin. Il semble solide mais l'endroit où se trouvent les points d'appuis ne sont pas stables. Nous hésitons un instant avant de le franchir, mais en contrebas la rivière n'est pas menaçante. Même si nous tombons, ce ne serait pas très grave. Edan s'aventure en premier et arrive sain et sauf de l'autre côté de la rive.
Nous suivons ensuite son exemple et la traversée se fait sans soucis. Nos ne nous attardons pas plus sur notre exploit et nous reprenons le rythme effréné de notre randonnée.

Après deux ou trois heures, je remarque que nous descendons. La forêt devient un peu plus dense au fur et à mesure que nous perdons de l'altitude mais un petit détail attire mon attention.
La souche d'un arbre.
La coupure n'est pas très nette mais suffisamment pour que cela soir l'oeuvre d'un homme.

- Regardez ! Crié-je. On est arrivé !

Mes yeux pétillent et tous les autres tournent leur tête vers le point que je leur montre. Edan me regarde ensuite et affirme :

- On est arrivé.

Il me sourit de toute ses dents et je le retiens de courir pour me jeter dans ses bras.
Mais je ne vois pas de village.
Aucun bâtiment n'est en vue.

Et puis, à travers les arbres, j'aperçois enfin les ruines d'une maison. Je ne suis pas là seule à l'avoir remarqué car nous ralentissons beaucoup notre rythme. Nos yeux ne sont plus fixés sur nos pieds, mais au loin, vers l'endroit que nous cherchons depuis trois jours.

Nous reprenons notre marche, cette fois-ci plus rapide. La joie inonde les pores sales de ma peau. Mon pull et mon jean sont déchirés à quelques endroits et je me sens crasseuse.
Mais j'efface tous ces désagréments pour le concentrer sur le sentiment de liberté qui m'envahit. Nous courons presque pour rejoindre le village qui se profile de plus en plus grand à chaque foulées.
Mes courbatures jetent leurs armes à Terre et nous déboulons en courant dans les rues peu animées de ce village.

Je me fige face à ce que je vois.

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