25.
Aujourd'hui fut une journée simple et nostalgique. J'ai passé toute ma journée avec Edan, nous avons beaucoup parlé. De tout, de rien, comme samedi soir, ce genre de moments privilégiés avec lui n'ont pas de prix.
Jude à passé la majeure partie de son temps dans le jardin, sous le saule. Il réfléchissait. J'arrivais à le voir par son air concentré qu'il porte comme quand il m'avait appris à nager. Ça m'a rendu triste de le voir si peu joyeux. Il avait l'habitude de dire toutes sortes de conneries et de revêtir toujours la même expression espiègle si craquante. Mais plus maintenant, et ce depuis qu'Edan est revenu.
Alors que je m'en faisais une joie, Jude lui, est devenu plus maussade. C'est triste à dire mais c'est aujourd'hui que je me suis rendu compte que le bonheur des uns fait le malheur des autres ...
- Aurore ?
Edan me sort de mes pensées. Il passe sa tête à travers la porte.
- Oui ?
Je suis assise dans le salon en train de contempler l'écran noir de la télé.
- Tu vas devoir démissionner ...
Oh.
Je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai. La photographie va me manquer.
- Euh ... j'irais voir Lucille demain, dis-je en souriant.
Pourquoi je souris ?
Ce n'est pas comme si Edan n'était pas au courant que je suis triste de partir.
- Tu voudras que je t'accompagne ?
Son regard se fait soucieux, comme s'il avait deviné mes pensées.
- Non merci, je réponds en souriant encore. Je pensais aller voir Louise après. Je lui proposerai de venir manger avec Nhoa.
Il hoche la tête.
- Super !
Il retourne à ses occupations et je retourne aussi à la contemplation de la petite lucarne noire.
***
La cloche tinte pour signifier mon arrivée. Pour une fois, je ne retire pas mon manteau, je vais juste voir Lucille dans le studio.
- Lucille ? Demandé-je.
- Ah bonjour Aurore ! Tu vas bien ? J'ai l'impression que ça fait une éternité que je ne t'ai pas vu !
Elle rigole et je souris simplement face à l'ironie de la situation.
- Je te laisse découvrir le programme de la journée, dit-elle. Ne t'inquiètes pas, tu n'as pas grand chose à faire aujourd'hui !
Je ne sais pas comment aborder le sujet. C'est une situation très embarrassante. Finalement, je regrette de ne pas être venue avec Edan, il aurait sûrement trouvé quelque chose ...
- En fait Lucille, je ne vais pas travailler aujourd'hui ...
Elle se tourne brusquement et arrête ce qu'elle fait instantanément. Elle se rapproche.
- Tu es malade ? C'est vrai qu'il commence à faire froid en ce moment ! On regrette la période estivale n'est-ce pas ?
Elle rigole de nouveau. Cette femme à une joie de vivre impressionnante.
- C'est un peu délicat à dire Lucille mais je démissionne.
Je prends une expression désolée et je la vois se raidir d'un coup.
- Pourquoi donc ? Je ne te laisse pas assez de liberté c'est ça ? Je suis désolée vraiment, je ne voulais pas t'étouffer.
- Non ce n'est pas ça, tout va bien vous n'avez rien fait je vous assure mais ... Je suis enceinte.
C'est sorti tout seul.
Je ne sais pas vraiment ce qu'il m'a pris.
Le visage de Lucille s'illumine néanmoins.
- Oh mais c'est génial Aurore !
Elle me prend dans ses bras et m'embrasse les joues. Je ne peux qu'approuver.
- C'est absolument fantastique ! Je dois avouer que tu m'as fais peur, j'ai cru que tu ne te plaisais plus ici.
Elle montre la boutique en levant ses bras et je m'empresse de la contredire.
- Non ! Vraiment ! C'était génial de travailler avec vous, j'ai appris beaucoup de choses !
- J'en suis ravie, dit-elle avec une expression maternelle. Tu vas venir me donner de tes nouvelles quelques fois quand même ?
Je ne veux pas la blesser ou lui dire que je m'en vais pour de bon alors je réussi seulement à bouger ma tête de haut en bas.
Elle me prend de nouveau dans ses bras puis après de nombreuses embrassades je sors dans la rue.
Je souffle un bon coup avant de prendre le chemin qui va me mener jusqu'à la maison de Louise et Nhoa.
J'arrive sur le perron et je frappe à la porte. Est avec étonnement que je vois Nhoa ouvrir la porte.
- Salut Aurore, entre.
Je souris et je le salue en retour. Il m'escorte jusque dans le salon où je m'assieds à ma place habituelle et il se place en face de moi.
- Louise n'est pas là ? Je demande.
- Non elle est partie au Gouvernement pour déclarer sa grossesse, tu le sais j'espère ? Enfin, qu'elle est enceinte ?
Je lâche un petit rire.
- Bien sûr que je le sais ! Je l'ai même su avant toi !
Il se détend et me regarde avec soulagement.
- Félicitations ! Vous êtes un couple magnifique, je pense que tout va bien se passer.
Il rougit et hausse simplement les épaules avant de se lever pour me proposer un café. J'accepte volontier et je l'attends à ma place.
Nhoa est très timide, c'est dans sa nature. Mais je lui fais confiance, je vois qu'il prend soin de Louise est qu'elle heureuse alors c'est tout ce qui compte.
Il arrive quelques minutes plus tard avec deux tasses de café dans les mains qu'il pose ensuite sur la table basse entre nous. Je ne le connais pas beaucoup alors je ne sais pas quoi lui dire.
- Louise m'a tout raconté, lâche-t-il. En fait, je crois qu'elle me dit toujours tout ou presque.
Il secoue la tête et rigole.
- Toujours est-il qu'elle m'a dit qu'Edan est revenu.
Il me regarde avec une expression que je ne saurais pas déchiffrer et j'acquiesce en souriant.
- Je suis content pour toi, c'est vraiment génial !
Il accompagne ses paroles d'un grand sourire.
- Oui, c'est génial comme tu dis.
Le silence s'installe ensuite. Je suis assez mal à l'aise.
- Louise revient quand ? Demandé-je.
- Je pense qu'elle va arriver d'une minute à l'autre, ça fait déjà une heure qu'elle est partie.
J'hoche la tête, soulagée de pouvoir voir Louise.
Comme pour confirmer ses dires, Louise arrive cinq minutes plus tard. En entrant dans le salon, elle me regarde directement, tend les bras et affiche un merveilleux sourire. Je réponds à sa demande muette en le prenant dans mes bras. Je lui chuchote tout bas :
- Tu vas bien ?
- Oui oui Aurore, je vais bien ne t'en fais pas pour moi.
Nous nous detâchons et quand je me retourne pour reprendre ma place, je vois que Nhoa s'est éclipsé. Louise remarque mon air étonné et secoue la tête en souriant et en levant les yeux aux ciel.
- Je pense qu'il a compris que c'est important que nous soyons seules à chaque fois.
J'hoche la tête et je m'assieds confortablement. Je termine ma tasse de café tout en écoutant Louise me parler de l'arrogante hôtesse d'accueil du Gouvernement et j'éclate de rire quand elle me dit qu'elle était endormie quand elle est arrivée. Je la félicite encore et je n'oublie pas de la féliciter de la part d'Edan et de Jude, même si ce dernier ne me l'a pas demandé.
Finalement elle aborde le sujet avec un naturel désarmant.
- Tu vas partir ?
Je baisse les yeux instantanément.
J'ai du mal à réaliser que je vais partir, je ne sais pas ce qui m'attend en dehors de la ville.
Sans la regarder, je lui réponds :
- Oui. Je suis désolée Louise, je ne veux pas que tu te sentes abandonnée.
Elle vient s'asseoir à côté de moi et je relève la tête.
- Je comprends exactement les raisons qui t'ont poussé à partir, si je n'étais pas enceinte, je serais venue. Vraiment. Mais la vie n'en fait qu'à sa tête, c'est trop dangereux pour que je t'accompagne.
Je ma remercie en silence d'être dotée d'une telle empathie.
- Nous partons mercredi, à l'aube, dis-je. Je viendrai te voir, je te le promets.
- Je te fais confiance, répond Louise.
Puis nous nous faisons un câlin. Je ne sais pas combien de fois je l'ai serré dans mes bras depuis qu'Edan est revenu, quoi qu'il en soit, je suis sûre que nous avons établi un nouveau record.
Au moment de partir, Nhoa nous rejoint et nous nous disons au revoir.
Ou peut-être adieu.
Mais je ne préfère pas y penser.
En franchissant la porte d'entrée de notre pavillon, je suis anxieuse à l'idée de retrouver Jude ou Edan dans un état qui nécessiterait des soins. Or, j'entends des éclats de voix s'échapper du salon et c'est donc avec intérêt que je m'y dirige. Je vois que Samuel et Judith sont confortablement installés en compagnie d'Edan et d'un Jude qui fait visiblement la gueule.
- Aurore ! Lance Judith en me voyant. Tu vas bien ?
Elle se lève pour venir à ma rencontre et elle m'embrasse.
- Très bien ! Dis-je.
Je me dirige ensuite vers Samuel pour le saluer et je vais m'assoire à côté d'Edan.
- Je les ai invité à manger, pour parler de l'organisation, tout ça. Et puis je me suis aussi dit que ça pourrait te détendre.
Il me regarde avec des yeux de merlans fris et je l'embrasse pour le remercier.
Judith est rayonnante et je la sens heureuse, c'est vrai que s'enfuir lui offre une nouvelle perspective de vie qui doit sûrement être meilleure que celle qu'elle vivait. Samuel est toujours aussi enjoué. Le fait qu'ils soient plus âgés que nous apporte une certaine maturité et une sagesse au sein du "groupe".
- Vous saviez que les Sauvages existaient ? Demandé-je.
Tous deux secouent la tête.
- Pas du tout ! S'exclame Samuel. Cela correspondait plus à une sorte de fantasme, une utopie. On avait entendu des rumeurs, comme à peu près tous les Bannis, mais rien de fondé et concret.
Judith acquiesce à côté de lui.
- C'est une haubaine pour nous, complète-t-elle. Les travaux qu'on nous attribuait étaient éprouvants. En tant que Bannis, nous n'avons pas le droit de démissionner, mais je doute que notre disparition les préoccupe. Je pense que ça va les libérer d'un fardeau.
C'est horrible de considérer des humains comme des fardeaux dont on ne peut pas se débarrasser.
C'est abominable.
- Je ne comprends pas, déclaré-je. Comment se fait-il que la société ne puisse pas trouver des partenaires pour tout le monde ?
Ma question s'adresse plus particulièrement à Edan qui travaille au laboratoire. Mais il hausse les épaules visiblement aussi préoccupé que moi.
Judith prend de nouveau la parole.
- L'inconvénient d'être faux jumeaux, c'est que les tests n'arrivent qu'à une seule conclusion : le partenaire idéal est notre jumeau. Sauf que la consanguinité, ne permet vraiment pas d'avoir des enfants "optimaux".
Il mime des guillemets quand elle prononcé le dernier mot.
- C'est d'ailleurs curieux que les tests ne prennent pas en compte ça, ajoute Samuel.
Cette phrase instaure le silence dans le salon, nous réfléchissons tous au pourquoi du comment quand enfin Jude prononce les premières paroles que j'entends de lui de la journée.
- Sûrement parce que nous sommes encore trop peu et que faire des enfants avec tout le monde est tout sauf bien. Nous ne savons plus qui sont nos cousins, nos frères ou nos soeurs. Le gouvernement nous embrouille pour mieux nous manipuler.
Ses yeux n'ont pas arrêté de fixer ses mains. C'est un geste nerveux chez Jude.
Nous restons bouche bée.
Jude à raison. Mais dans tous les cas, nous revenons toujours au même point : le gouvernement nous manipule et dirige notre vie sans même rencontrer la moindre opposition de notre part. Et il faut que cela change.
Voilà pourquoi je pars, voilà pourquoi les Sauvages existent.
Dans tous systèmes, il y aura toujours des personnes qui ne seront pas d'accord, qui seront hostiles. Mais finalement, c'est que qui fait la diversité et l'éclectisme du monde.
L'un sans l'autre, les contraires ne peuvent pas exister. Le mal existe car le bien existe. La haine existe car l'amour existe. C'est peut-être triste à dire mais sans haine, quelle serait la définition de l'amour ?
Que serait la vie sans la mort ?
C'est d'ailleurs sûrement pour ça que l'on dit que la ligne est mince entre l'amour et la haine.
Quoi qu'on en dise, les opposés se ressemblent, ils sont complémentaires.
Chaque état d'esprit, chaque sentiment, chaque action est défini par son contraire. Sinon, tout perd de son sens.
Je sors de mes pensées profondes en voyant les regards interloqués de Judith et Samuel mais aussi d'Edan et de Jude.
- Tout va bien, j'étais juste dans mes pensées, dis-je pour les rassurer.
Cela fait effet car les conversations reprennent de plus belle et je pends soin d'y participer pour ne pas paraître étrange.
- Comment se passe la vie là-bas Edan ? Demande Samuel.
Celui-ci fait une moue et hausse les épaules.
- Ce n'est pas tout confort, mais le village est construit sur d'anciennes ruines. Il n'y a pas d'eau courante, pas d'électricité. Rien ne ressemble à ça.
Il désigne la pièce de ses bras.
Cette fois-ci, même Jude écoute attentivement.
Judith pose une autre question :
- Nous devrons emmener quoi ? Comme affaires je veux dire.
- Pas grand chose, quelques vêtements même s'ils ont ce qu'il faut là-bas. Il faudra surtout emmener des vivres pour le voyage et des gourdes d'eau. Autrement tout est prévu sur place. Lorsque nous arriverons, le Grand-Maître nous attribuera un métier pour pouvoir faire fonctionner la communauté. J'étais chasseur alors je pense reprendre le même poste, pour les gars, ce sont surtout des métiers de force comme maçons par exemple. Pour les filles, ce sont des choses qui ne nécessitent pas beaucoup de force, il y a des tisseuses qui s'occupent de tisser le lin récolté par les cueuilleurs. C'est une organisations incroyable même s'il ne sont qu'une cinquantaine.
Nous hochons tous la tête d'admiration.
C'est incroyable qu'une telle communauté prospère encore.
- Tu m'as dit que le Gouvernement en parlait ? Ils sont au courant ? Je demande.
- Malheureusement oui, ils savent qu'il existe une communauté comme les Sauvages. En revanche ils sont incapables de la situer et de connaître le nombre de Sauvages.
Devant mon regard apeuré il change d'expression pour me regarder avec douceur.
- Mais ne t'inquiètes pas, nous serons plus en sécurité là-bas qu'ici. Fais moi confiance.
Je lui souris. Je lui fais confiance, il n'y a pas de doutes, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir une certaine appréhension.
Nous mangeons en compagnie des jumeaux et cela redonne beaucoup de peps et de joie de vivre à la maison. Jude semble s'être détendu et tout le monde passe un bon moment.
Quand les enfants du Soleil décident de partir, il est quinze heures passée. Nous avons organisé notre départ minutieusement.
Nous nous réveillerons à cinq heures pour pouvoir partir à six heures. J'ai prévenu Edan que je devrai aller voir Louise, il nous a laissé une demie-heure, de cinq heures trente à six heures, je pense que ce sera suffisant. Il passera donc me chercher à six heures avec Jude et nous partirons vers le nord de la ville. La clairière se trouve à l'est mais par souci de sécurité, nous allons faire un petit détour. Nous retrouverons donc les jumeaux près des bâtiments les plus pauvres de la ville et nous commencerons donc notre expédition vers la communauté Sauvage.
Je répète le plan en boucle dans ma tête jusqu'à ce qu'Edan me rejoigne dans le lit.
- Ça va ? Me demande-t-il.
- Oui, tu es avec moi, tout va bien.
Il doit être un peu surpris par ma révélation car il attend quelques secondes avant de se tourner vers moi pour m'embrasser avec passion. Sa bouche chaude pressée contre la mienne me réconforte et la danse de nos langues me fait oublier tout ce qu'il se passe. A cet instant il n'y a qu'Edan et moi.
Nous arrêtons de nous embrasser à bout de souffle et Edan me rapproche de son corps brûlant. Je m'abandonne à la sensation du contact entre nos épidermes.
- Tu sais que ça ne va pas être facile au début ?
J'hoche la tête.
En effet, j'en suis consciente.
- Si tu restes avec moi et que nous sommes tous les deux, je pense pouvoir passer au-dessus.
Il embrasse le haut de mon crâne.
- Je t'aime plus que tout Aurore, mais je ne pense pas que je pourrais tolérer le fait de te voir triste, désemparée ou déstabilisée par la situation.
- Je te promets que ça ira, dis-je. Je veux partir de cet endroit répugnant ! Je veux vivre la vie que j'ai choisi, pas celle que l'on m'a attribué.
Je me penche pour l'embrasser longuement et doucement.
Edan me bascule et je me retrouve allongée sur lui. Il me lance un regard plein de sous-entendus avec son sourire en coin. Des frissons remontent le long de ma colonne vertébrale et une bouffée de chaleur m'envahit.
- Profites-en, les lits ne sont pas aussi confortables là-bas.
Je roule des yeux et je continue de l'embrasser avec tout l'amour que je suis capable de lui transmettre.
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