17.
Je m'engouffre dans les rues silencieuses en slalomant à travers des obstacles invisibles. Il fait vraiment noire et la lune n'apparaît qu'en un faible croissant. J'ai mal choisi mon jour.
Pour cette nuit, je décide que je vais simplement essayer de faire le tour du bâtiment, pour ainsi connaître ses limites. J'arrive devant l'entrée principale, je vais en faire le tour dans le sens des aiguilles d'une montre, je pars donc à gauche. De l'extérieur, le Gouvernement est étouffé par les habitations aux alentours. Je ne comprends pas vraiment son architecture, si l'intérieur est parfaitement symétrique, l'aspect extérieur lui est totalement désordonné. Les maisons sont toutes mitoyennes et elles ne dévoilent aucuns passages, j'arrive à voir le haut du Gouvernement seulement dans des endroits bien précis. Je vérifie plusieurs fois pour m'assurer que je ne m'éloigne pas trop. Les maisons forment un grand rempart et c'est une technique vraiment efficace car on ne se doute pas que derrières ces petites maisons pittoresques peut se trouver le bâtiment le plus important de la ville.
On nous a toujours enseigné que notre ville datait de bien avant la pandémie, ce qui explique les routes biscornues aux angles étranges. D'autres villes plus jeunes sont quadrillées et les routes forment des angles droits. J'aime beaucoup le charme de ma ville, mais je dois avouer qu'elle reste assez mystérieuse.
J'essaie de garder les yeux ouverts, mes paupières sont alourdies par la fatigue. Je baille à plusieurs reprises. Je finis le tour du bâtiments et comme je l'avais imaginé, il n'y a aucunes failles. Je n'ai décelé aucun endroit propice à une autre entrée. Je trouve ça très curieux, mais en voyant le ciel devenir plus clair, je décide de rentrer le plus vite possible. Il ne faudrait pas que Jude se réveille et qu'il découvre que je ne suis pas là.
J'actionne délicatement la poignée de la porte d'entrée et j'enlève mes chaussures. Je monte les escaliers et c'est avec soulagement que je vois Jude dormir. Le sommeil lui va bien car il adoucit ses traits. Je me change en vitesse dans la salle de bain et je regarde l'heure, il est quatre heures quarante. Je n'ai pas vu le temps passer. Je me faufile dans le lit et je savoure le contact des draps avec ma peau. Je ne mets pas longtemps à m'endormir.
***
Le réveil est dur ce matin, je m'y attendais évidemment. La journée risque d'être bien longue. Pendant le petit-déjeuner, Jude ne me quitte pas des yeux, toujours un sourire collé aux lèvres.
- T'as vraiment l'air d'un débile avec cette tronche, lui lancé-je.
Il semble outré mais je ne mets pas longtemps à me rendre compte qu'il fait exprès. Je pense que la meilleure des solutions est de l'ignorer.
Je pars pour la boutique peu de temps après. L'attitude de Jude me rend un peu triste, je l'aime bien et je n'ai vraiment pas envie qu'on se dispute pour ce genre de balivernes, mais je croyais vraiment qu'il était pret à m'aider.
La journée est très fatigante, et c'est notamment à cause de ma sortie nocturne. Je ne sais vraiment pas comment je vais trouver cette fenêtre !
Le soir venu, Jude à toujours la même attitude avec moi. Il est vraiment très attentionné. Finalement, même s'il partage beaucoup de point communs avec Edan, ils restent tout de même très différents l'un de l'autre. Jude, contrairement à Edan, est plutôt bavard, il est très honnête et il n'hésite pas à dire ce qu'il pense. Au moins, on ne s'ennuie pas ! Et d'après ce que je vois, il n'est pas rancunier non plus. Je tente de renouer le dialogue.
- Tu voudrais manger quoi ce soir ?
Il me regarde, un peu surpris, il fait un petit sourire et il plisse légèrement les yeux.
- Comme tu veux ! De toute façon, tu fais toujours des trucs bons.
Son ton naturel me fait rire.
Je décide finalement de faire une salade de riz avec du maïs.
Le repas se fait dans le silence, mais j'ai l'impression que la tension habituelle à disparu pour laisser place à une atmosphère sereine.
***
Je pars pour le Gouvernement dans les temps. Pendant le trajet, je réfléchis à mon plan. J'ai perdu une nuit de sommeil et je n'ai pas vraiment envie que ça recommence. Lorsque que je franchi les portes du bâtiment et que je vois les yeux assassins de l'hôtesse je devine qu'elle doit savoir un paquet de trucs sur notre système. Il faut que j'aille fouiller dans les bureaux qui sont au même endroit que les vestiaires. Je dépose donc mes affaires en vitesse et je me change rapidement. Au lieu de tourner à droite pour rejoindre le grand hall de réception, je prends à gauche et je m'enfonce dans les méandres des couloirs. C'est risqué, je sais et je suis sûre que si Jude était là il m'étriperait. Des bureaux s'étendent de chaque côté du couloir. Je suis indécise, je ne sais pas quelle porte ouvrir. Je n'ai pas le droit à l'erreur car si quelqu'un se trouve dans la pièce, je suis dans de beaux draps. Je sens mon cœur battre. Soudain, un écriteau retient mon attention sur ma gauche. Les lettres gravées sur la porte forment le mot "bibliothèque". Je regarde autour de moi, l'adrénaline court dans mes veines. Je pose ma main sur la poignée et quand j'appuie dessus, j'entends le loquet se déclencher. Oh c'est ouvert ! Je pousse rapidement la porte et j'entre dans la pièce sombre. Je referme vite la porte derrière moi et je suis plongée dans le noir le plus total. Une vieille odeur de poussière plane dans l'air. Et ça sent aussi le renfermé, comme s'il y avait de la moisissure. Ça ne m'étonnerait pas car l'atmosphère est humide. Mes yeux mettent trop de temps à s'habituer à l'obscurité et la peur à maintenant remplacé l'adrénaline. Ma respiration se fait plus lourde. Un bruit suspect fini de m'effrayer. Comme si quelqu'un avait poussé un livre a travers une étagère pour mieux m'observer. J'ouvre grand la porte et je cours dans le couloir en sens inverse. Je déboule dans le hall essoufflé, l'hôtesse me jette un regard noir et j'essaie de reprendre un peu de contenance. Je vais au premier étage et je continue mon boulot là où je l'avais arrêté. J'ai vraiment eu peur, c'était une mauvaise idée je crois ...
Je me laisse emporter par mes pensées.
La sonnerie retentit sans les couloirs, annonçant la pause déjeuner. Je rejoins Judith et Samuel qui arrivent toujours avant moi. Nous échangeons des banalités habituelles. Enfin, Judith pose la question que je redoutais :
- C'est quoi ton plan ?
Je ne la regarde pas, je reste concentrée sur mon assiette. Je sens leurs yeux rivés sur moi. Je prends une grande inspiration et je leur révèle mon plan d'une traite :
- J'ai besoin d'informations : l'origine de la pandémie, qui gouverne notre ville, ce genre de trucs. J'ai trouvé un moyen d'entrer ici et je pourrais voler toutes ces infos.
C'est peut-être une mauvaise idée de les mettre au courant de mes intentions, mais il est trop tard pour faire marche arrière. Jude va littéralement me tuer s'il apprend ça.
Les jumeaux se regardent, ils ont des étincelles dans les yeux.
- C'est génial ! Cri Judith, c'est absolument fabuleux !
- Chut Judith ! Je ne tiens pas à ce tous les employés le découvre !
Samuel semble un petit peu moins enthousiaste, mais il partage quand même la joie de Judith.
- Quand est-ce que tu comptes venir ici pour dérober ces infos ? Me demande-t-elle.
- Je ne sais pas, répondis-je, les détails ne sont pas encore réglés.
Je me sens mal de lui mentir, j'ai toujours été plus ou moins honnête. J'ai prévu d'agir vendredi soir : nous serons le treize août et apparemment, les vendredis treize portent chance.
Elle hoche la tête.
- S'il te plait, tiens nous au courant !
- Ok, je le ferai, dis-je en souriant.
La cloche sonne et nous repartons travailler. Je ne sais pas pourquoi, mais la réaction de Judith me perturbe. Elle avait l'air tellement heureuse, mais en même temps, sa relation était très disproportionnée. Tout ça paraît très malsain. Je sens que j'ai vraiment fait une gaffe.
Je reprends mon travail, toujours dans mes pensées.
Sur la route pour rentrer à la maison, je repense à la bibliothèque de ce matin. Enfin, seulement si c'était une véritable bibliothèque. Peut-être que c'était la salle des archives, ou tout simplement un vieux débarras comme il y en a beaucoup au premier étage. Mais je trouve ça tout de même louche. Mon courage m'a fait défaut, je n'ai même pas pris le temps de chercher un interrupteur. Je suis pathétique. Le plus important c'est que je trouve cette bon dieu de fenêtre et que je rentre dans le Gouvernement pendant la nuit sans vendredi à samedi. Je ne sais pas vraiment ce que je vais trouver derrière cette mystérieuse fenêtre, mais je suis sûre que tout ce dont j'ai besoin de savoir va s'y trouver. Ou du moins, je l'espère.
Ça me fend le coeur de devoir laisser Jude de côté, j'aimerais beaucoup qu'il m'aide et qu'on trouve une solution ensemble. Nous sommes partenaire dorénavant, nous formons une équipe ! Mais je ne veux pas non plus le forcer car même si je ne pense pas connaître tous les détails de ses disputes avec Edan, je vois dans ses yeux que c'était dur. Dans les yeux de Jude, Edan me paraît beaucoup plus vulnérable que lorsque nous sommes ensemble, comme s'il arrivait à percer sa carapace de secret. Je me sens vraiment coupable d'en connaître si peu sur Edan, mais finalement, nous laisse-t-on le choix ? Je me rassure en me disant que la société et le gouvernement font tout pour que les simples échanges que l'on ait avec notre partenaire soient d'ordre sexuel. Mais ce n'est pas suffisant. Je le connais si peu mais je l'aime tant. Il me manque tellement. J'aimerais beaucoup savoir quelles sont les raisons qui l'ont poussé à partir. Est-ce que c'est moi ? Avec ma maladresse et ma crédulité ? Avec ma confiance envers le gouvernement ? Ses paroles me font toujours le même effet, et si j'ai pu presque les ignorer jusque là, je commence à me dire maintenant que c'est moi qui l'ai fait fuir. Oh mon dieu ! Il faut que j'arrête de réfléchir ! Mes paroles empestent l'égoïsme ! Je suis ridicule. Jude m'a dit qu'Edan est parti pour en découvrir plus sur sa mère. J'espère qu'il a raison mais en même temps, c'est assez vexant de savoir qu'Edan n'a pas du tout pensé à moi et qu'il est parti simplement pour répondre à ses interrogations concernant sa mère.
"Edan s'il te plaît revient. Revient près de moi. Tu me manque. Je t'aime."
Je répète cette sentence en boucle jusqu'au moment où je dépasse le seuil de la porte d'entrée.
Jude est dehors, les yeux fermés, pensif et calme.
- Jude ?
Il ouvre les yeux et tourne la tête dans ma direction.
- Hey, ça va ? Tu veux me dire quelque chose ?
Il fronce les sourcils et il semble soucieux.
- Non non ne t'inquiète pas, tout va bien, dis-je.
- Super alors.
Il se retourne de nouveau et referme les yeux. Je me demande à quoi il pense, là, maintenant. Il est tellement distant en ce moment que c'en est presque insupportable. Je respire un bon coup et je rentre.
A huit heures, j'appelle Jude - qui est encore dans le jardin - pour manger. Il arrive tout sourire et à vrai dire, je suis déstabilisée par l'attitude qu'il a. Il me sourit chaleureusement lorsqu'il s'assied.
- Qu'as-tu fait de bon gazelle ?
- Rien, ce sont les restes, répondis-je dans un sourire.
Il hoche doucement la tête et je décide de ne pas aborder le sujet pour lequel nous sommes un peu en froid en ce moment. Je décide aussi de ne pas lui raconter ce que j'ai fait ce matin, ni du comportement bizarre de Judith ce midi. Je me rends soudain compte que je ne lui ai pas parlé du tout de Samuel et Judith.
- Au Gouvernement, j'ai trouvé des ... amis, déclaré-je hésitante.
- Ah oui ? Demande Jude visiblement étonné.
- Ne sois pas si surpris ! Ça t'étonne que je socialise ?
Il part d'un rire franc et ça fait du bien d'entendre à nouveau le son de la joie, alors je ris avec lui.
- Non Aurore, qui sont ces gens ?
- Ils s'appellent Samuel et Judith, ce sont des jumeaux !
- D'accord, dit-il en me faisant un clin d'oeil.
- En fait ils travaillent car le gouvernement n'a pas pu leur trouver de partenaire.
Jude prend un air plus grave.
- Oui j'avais entendu parler d'un truc comme ça, comme quoi les Bannis étaient voués à travailler toute leur vie.
- Tu savais qu'il y avait des Bannis ? Demandé-je surprise.
Il me regarde et fronce les sourcils.
- Bien sûr ! C'est logique non ?
J'hausse les épaules, honteuse de me dire que je pensais vivre dans un monde merveilleux où tout le monde était heureux. Je suis bien naïve, comme disait Edan. Finalement Jude dissipe ma gêne en changeant de sujet d'un revers de main.
- Même réchauffé c'est super bon, dit-il en désignant le plat de lasagnes.
Je souris et le remercie. Puis je me surprends à demander :
- A quoi tu pensais tout à l'heure dans le jardin ?
Il ne semble pas étonné par ma question et sans me regarder il marmonne :
- Je me demandais si je n'allais pas chercher un travail comme toi, je m'ennuie à mourir pendant la journée.
Le fait qu'il ne me regarde pas me semble étrange, comme s'il mentait. Mais au final, je m'en fous, je suis contente qu'il trouve une activité.
- Tu pencherais dans quel domaine ?
Il fait la moue.
- Je ne sais pas vraiment. J'aime beaucoup bricoler mais il me semble que les manufactures n'acceptent pas des employés aussi jeunes que moi et qui plus est, avec une partenaire. Comme je te l'ai dit plus tôt, ils préfèrent les Bannis. C'est une "valeur sûre" je suppose ...
Je vois bien que ça l'embête, je préfère donc ne pas approfondir la conversation dans ce sens. Je suis ravie que l'on se reparle de cette façon, dans une ambiance détendue.
- Autrement, ils sont sympas Samuel et Judith ? Demande Jude curieux.
- Oui ils sont vraiment gentils, ils sont plus vieux que nous mais je m'entends super bien avec eux donc ça va.
Je souris à Jude et il me fait un petit sourire en coin aussi.
- Tant mieux alors, tu voudras les inviter à manger un de ces quatre ?
- Oh non pas nécessairement. Tu sais, on entretient juste une relation professionnelle, c'est des collègues quoi.
Il hoche la tête et me regarde pendant quelques secondes. Puis il baisse la tête et nous continuons à manger toujours dans cette ambiance sereine.
Après le dîner nous montons dans la chambre et nous nous préparons pour dormir. Je m'endors très rapidement d'un sommeil réparateur et très profond. Ça faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi.
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