15.
Je n'en peux plus. Mon cerveau a subi trop de traumatismes. Tout d'abord le départ d'Edan, puis l'arrivée de Jude et de toutes les révélations qui vont avec. Edan n'existe plus. Ou du moins, pour le gouvernement. Je suis dans les bras de Jude, en train de réaliser peu à peu ce que tout cela veut dire.
- Edan n'existe plus, dis-je en étouffant un sanglot.
Jude resserre son étreinte.
- Non il est toujours là, je suis sûr que tout se passe bien pour lui. Fais moi confiance.
Je secoue la tête. Comment peut-il en être si sûr ?
- Il faut que l'on reste discret Aurore, on doit se fondre dans la masse, agir comme de vrais partenaires. Je sais que ça va être dur pour toi.
Je presse mes yeux, vaine tentative pour empêcher mes larmes de couler.
- Explique-moi, murmuré-je.
Il prend sa respiration et frotte mon dos de façon délicate.
- Les deux femmes m'ont tout expliqué. Edan à disparu, ils ont donc rayé son nom de la liste des habitants de la ville. Apparemment cela ne les perturbait pas plus que ça, peut-être que les disparitions sont plus courantes que l'on pense. Je suis là pour le remplacer car j'étais censé être ton prochain partenaire. Elles m'ont dit que si nous avons des nouvelles de lui, il faut aller voir le Gouvernement et demander le Service de Repérages.
Je me relève, je sais qu'il ne m'aurait pas abandonné. Je m'accroche à cette pensée et j'arrive à me dire qu'il est en bonne santé et que tout va bien.
- Merci Jude, lui dis-je à l'oreille pour qu'il entende mon chuchotements, merci pour tout.
Mes yeux sont toujours fermés. Je sens sa main caresser mes cheveux et j'enfouis ma tête dans le creux de son cou. Il ne me répond pas. Nous restons sous le saule un moment. Moi sur ses genoux, la tête sur ses épaules et lui une main dans mon dos et une autre touchant mes cheveux. J'aurai besoin de lui et de son attention, du réconfort qu'il pourra m'apporter et de son immense tendresse à son égard.
***
Maintenant que j'ai trouvé un boulot au Gouvernement, je vais pouvoir entamer mes recherches sur la société. C'est donc d'un pas déterminé que je me dirige vers le Gouvernement en ce mardi matin. Je me présente à l'accueil où l'hôtesse me lance ce même regard hautain. Je vais dans les vestiaires et j'enfile ma tenue. Je prends ensuite tout le matériel, et je monte au premier étage en prenant l'escalier de gauche. Dans les escaliers la peste m'interpelle :
- Au fait, certaines portes sont fermées, tu n'y touche pas.
Je la regarde et je réponds :
- Évidemment.
Mon chariot est lourd et assez laborieux à monter, et c'est avec un soulagement incomparable que j'arrive en haut. Je me plante devant le plan de l'étage. C'est tout est simplement immense. Comment un bâtiment qui semble petit de l'extérieur peut se trouver aussi gigantesque à l'intérieur ? Le long couloir forme un carré qui part de l'escalier de gauche et rejoint l'escalier de droite. Dans le premier couloir, des pièces se trouvent de chaque côté de celui-ci. Dans le deuxième et le troisième, les pièces sont seulement sur le mur intérieur ce qui fait que de grandes baies vitrées se trouvent sur l'autre pan de mur du couloir. Le quatrième couloir porte la même configuration que le premier. Tout est symétrique dans ce bâtiment, comme si un miroir était positionné en diagonale du couloir carré. Sur le plan, les pièces ne portent pas de noms, mais une plaquette en or avec des inscriptions est posée sur chaques portes. Je croyais que le Gouvernement possédait plusieurs étages mais je ne vois pas d'autres escaliers sur le plan. Après cette inspection minutieuse, je me lance et je vais dans la première pièce, l'écriteau sur la porte indique que c'est le Service des Métiers et des Emplois. Rien qui puisse m'intéresser dans cette pièce. Je m'applique néanmoins à faire le ménage. C'est une pièce avec des étagères au fond et un bureau au centre, une grande armoire se trouve sur le côté mais je remarque un verrou. Par curiosité, j'essaie de l'ouvrir mais comme je m'en doutais, c'est fermé. Je continue de récurer les pièces du premier couloir. Je n'y trouve rien d'intéressant. Il y a juste le Service de l'Éducation qui pouvait me donner quelques renseignements, mais la porte était fermée à clé.
Vient ma pause de midi, une sonnerie retentit dans le bâtiment et le personnel est prié de descendre au rez-de-chaussée. À ma grande surprise, nous sommes très peu à travailler dans le nettoyage du bâtiments. Beaucoup d'employés sont des hôtesses ou des secrétaires. Je n'ai jamais croisé une seule personne pouvant faire partie du gouvernement dans les pièces où je me suis rendue, à croire que les gouverneurs ne travaillent pas. Les gouverneurs sont ceux qui s'occupent d'un Service précis. Mes connaissances sont très limitées sur ce sujet, on nous apprend très peu de choses sur le gouvernement. Je suppose que c'est pour mieux nous manipuler, comme me l'a fait remarquer Edan. Je chasse rapidement ces pensée de mon esprit.
Le personnel s'engouffre dans une salle, qui doit être la salle de restauration je suppose. Les places sont atitrées par poste, et en tant que femme de ménage, je me retrouve tout au fond, à côté d'une certaine Judith et en face d'un certain Samuel. Nos assiettes sont déjà garnies, il suffit de manger directement. Une silhouette s'approche et un homme s'assied face à moi. Il me dévisage longuement avant de me dire :
- Samuel, enchanté. Tu es nouvelle ?
Je n'ai pas le temps de répondre qu'une fille vient à côté de moi et dit à son tour :
- À ton avis ? On ne l'a jamais vu. Je suis Judith, et toi ?
Je repose ma fourchette.
- Aurore, répondis-je intimidée.
Ses yeux sont d'un marron banal et ses cheveux chatains lisses sont attachés en une queue de cheval haute. Ses traits semblent fatigués mais elle a de jolies joues rosés et ses lèvres sont pulpeuses. Je ne lui trouve rien de particulier, mais la banalité de ses traits lui confèrent un charme simple. Je pense qu'elle doit avoir plus de vingt-cinq ans, mais moins de trente.
- Voici Samuel, dit-elle en pointant du doigts l'homme face à moi, il est un peu simplet mais il a un cœur un or.
Sa voix est admirative.
- Tais-toi Judith, dit-il d'un air blasé.
Samuel doit avoir à peu près le même âge qu'elle et leur ressemblance est troublante mais pas flagrantes. Ils possèdent les mêmes yeux, les joues de Samuel sont moins rebondies et ses lèvres moins roses que celles de Judith.
- Vous êtes partenaires ? Demandé-je.
Judith regarde Samuel et tous les deux, ils éclatent de rire. Je suis gênée face à leur réaction, ils vont plutôt bien ensemble et ils sont complices.
- Non nous sommes jumeaux, précise Judith en essuyant une larme de sa joue tellement elle a rit.
- Ah d'accord.
Le silence s'installe et je recommence à manger la purée dans mon assiette.
- Et toi, me demande Judith, pourquoi tu es là ?
- Je travaille ici, dis-je simplement.
Ils hochent tous deux la tête.
- Et vous ?
Ils réfléchissent quelques secondes en se regardant puis Samuel dit :
- Nous sommes des sans partenaires des Bannis si tu préfères. Notre profil ne correspond à personne et personne ne correspond à notre profil.
Je ne savais pas que c'était possible, l'étonnement doit se voir sur mon visage puisque Judith étouffe un rire.
- Si tu travailles c'est que ça doit être la même chose pour toi non ? Demande-t-elle.
Je secoue la tête, à court de mots. Ils se regardent de nouveau puis se reconcentrent sur moi.
- Tu as un partenaire ?
- Oui.
- Et tu travailles ?
- Oui.
Judith est incrédule et elle se baisse pour me chuchoter à l'oreille :
- Il est moche c'est ça ?
Je rigole et elle m'imite. Surtout que Jude est loin d'être moche ...
- Non, mais je m'ennuie lorsque je ne fais rien, alors j'ai décidé de travailler.
Ils me scrutent. Je ne peux pas leur révéler mes vraies motivations de mon travail ici.
- Mais je ne travaille que deux jours dans la semaine !
Ils semblent soulagés.
- Ah d'accord, j'ai eu peur, dit Samuel.
- Oui moi aussi, renchérit Judith, je t'envie beaucoup petite !
J'esquisse un sourire et je continue de manger, toujours aussi gênée. Je n'avais jamais réfléchi au fait que certaines personnes n'avaient pas de partenaires. Mais finalement, c'est logique. Et voici leur sort : travailler toute leur vie.
Pendant le repas, j'ai appris qu'ils ont vingt-sept ans et que ça fait environ cinq ans qu'ils travaillent au Gouvernement. Avant ils étaient commis dans les cuisines des orphelinats. Malgré leur destin bafoué, ils sont d'une gentillesse extrême et ils possèdent tous les deux une joie de vivre incomparable. Ils se surnomment d'ailleurs eux-mêmes "enfants du soleil" et je suis particulièrement d'accord.
- Vous travaillez dans quel secteur ? Je demande curieuse ; je veux en savoir plus sur le Gouvernement.
C'est Judith qui me répond :
- Au troisième étage, là où se trouve le Service de la Médecine et le Service des Géniteurs. Il y a aussi la salle de réunion et le reste des Services, mais ils ne sont pas très importants.
J'acquiesce.
- Et toi ? Me demande Samuel.
- Premier étage, dis-je d'un ton très peu enjoué.
Ils rigolent.
- C'est vrai que tu es la petite nouvelle, complète Samuel.
Une question me vient à l'esprit.
- Comment vous faites pour aller au troisième étage ? Il n'y a qu'un seul escalier et il mène seulement au premier étage.
Ils échangent un regard complice et ils baissent la voix, comme s'ils allaient me dire un secret.
- Il y a un ascenseur.
- Il est caché car il se fond complètement dans le décor, intervient Judith.
- Il faut actionner un bouton et les portes s'ouvrent.
- Combien y a-t-il d'étages ? Je demande.
- Quatre, dit Samuel, mais le deuxième est inconnu. On ne sait pas comment y accéder ...
- Qu'est-ce qu'il y a au quatrième ?
- C'est la résidence des gouverneurs, répond Judith.
Mon intérêt est piqué par le deuxième étage. Cacher quelque chose est le moyen le plus sûr d'attirer les regards. Il est donc certain que le deuxième étage possède des données confidentielles très importantes.
- Je sais à quoi tu penses, dit Judith en interrompant mes pensées, tu veux te rendre au deuxième étage. Franchement ma belle, si tu le trouves on t'accompagne !
Malgré la situation sérieuse, j'arrive à rigoler de façon étouffée. Je peux leur faire confiance. Samuel et Judith se tapent dans la main et nous finissons notre repas. Ensuite, nous retournons travailler. Je fais attention à l'endroit où ils se placent pour attendre l'ascenseur. Je repars travailler seulement après avoir vu les portes coulisser et laisser derrières elles l'ombre des jumeaux.
***
En rentrant ce soir, je découvre que Jude a dressé la table et qu'il s'affaire en cuisine. Je sens de bonne odeurs de saumon qui est mon poisson préféré.
- Ça alors ! Qu'est-ce que tu fais de bon Jude ?
Mon ton est ironique et pour se venger, il m'asperge d'un peu d'eau qu'il avait sur les mains. Je m'éloigne en gloussant.
- J'ai fait du saumon, je sais que c'est ton poisson préféré, avec des pommes de terres à la vapeur et des poireaux à la crème !
Il est fier de lui, ça se voit car ses yeux bruns lancent des lueurs lumineuses. Ses cheveux blonds sont en bataille et son front laisse voir quelques minuscules gouttes de sueur. Son sourire est enfantin et l'envie me prend de tirer sur ses joues. Je ne sais pas combien de temps nous restons à nous regarder. Les pensées rationnelles me reviennent.
- Ce sera prêt quand ? Je demande.
- Dans quelques minutes, répond Jude tout sourire.
Je m'installe alors à table et je le regarde terminer de préparer le repas. Puis il me rejoint à table avec les magnifiques assiettes qu'il a en mains.
- Mademoiselle est servie.
Il s'installe aussi et nous commençons à manger. Le poisson est cuit parfaitement, il fond dans la bouche et on y découvre des petites notes d'acidité. Les pommes de terre sont tout aussi bonnes, délicatement salées. Le poireaux est fondant lui aussi, son goût sucré est rehaussé par la crème. L'accord de l'acide, du salé et du sucre explose en bouche révélant des arômes cachés de la gastronomie.
- C'est délicieux, remarqué-je.
Il dévoile ses dents blanches, je pense que je ne m'habituerai jamais à la splendeur de son sourire, magnifié par ses jolies fossettes et sa mâchoire carrée.
- Merci, répond-il, tu as fait quoi au Gouvernement ?
- Le ménage ? Je laisse échapper un rire et Jude fait de même.
- Non sérieusement ?
Je me demande si je dois lui dire ce que je prépare, mais je n'hésite pas longtemps.
- Je travaille au premier étage et j'ai rencontré des jumeaux qui travaillent au troisième. Le quatrième est celui où les gouverneurs habitent. En revanche, personne ne sait où se trouve le deuxième étage.
- Il doit y avoir des trucs importants alors.
- Je suppose, oui.
- Ne cherche pas, me rappelle Jude, nous devons rester discrets.
Je soupire. Edan l'a bien fait, pourquoi pas moi ?
- Edan savait ce qu'il cherchait, dit-il, toi tu ne sais pas où tu vas ou ce que tu vas découvrir. C'est la façon la plus dangereuse d'aborder un problème.
- Je sais, mais je ne peux pas rester sans rien faire, tentais-je pour me justifier.
- Je dois prendre soin de toi, n'oublies pas. Si Edan apprend que quelque chose est arrivé, il m'en voudra pour toujours et je ne suis pas certain qu'il pourra me pardonner.
- Oui tu as raison mais avoue que c'est troublant ! Les réponses à toutes nos questions se trouvent peut-être là-bas.
- Je sais Aurore, mais je ne te laisserai pas faire ça ! Pense à Edan, laisse le se débrouiller. Je suis sûr qu'il va trouver les solutions tout seul.
- Oui mais à quel prix ? Qui sait ce qui va lui arriver ? Qui sait s'il reviendra ?
- Moi, déclare Jude sûr de lui, j'ai confiance en lui, tu devrais faire pareil.
Son assurance me clou le bec, je n'ai rien à rajouter et dans un sens il a raison.
- Aller gazelle ! Pense à autre chose ! Me dit-il en me faisant un clin d'oeil.
Je rigole, il ne perd pas le nord Jude.
- D'accord sale con.
Il rigole à son tour. Nous terminons le repas dans la même bonne humeur et j'en oublie presque tour ce qu'il s'est passé cette dernière semaine.
- Je me suis régalée ! Dis-je en me couchant, après ma douche.
- Ça me fait plaisir que tu ais aimé.
Il me tend les bras et je me sens obligée de me blottir contre lui. C'est vrai que nous dormons ensemble, la question ne s'est jamais vraiment posée finalement. Je ferme les yeux et je pose ma tête sur sa poitrine. Edan me manque, et j'ai peur de le remplacer. C'est vrai que la relation que j'entretiens avec Jude est étrange, je le connais à peine et pourtant j'ai partagé beaucoup de moments assez délicats avec lui. En prenant du recul sur la soirée que nous venons de passer, je me rends compte que Jude dégage une aura envoûtante. Il possède en charisme fou et il a beaucoup de charme. Je le revois, dans la cuisine, légèrement transpirant, avec ses cheveux ébouriffés. Je ne peux pas nier le fait qu'il est beau. Extrêmement beau. Cette pensée s'immisce doucement dans mon esprit. Et puis Edan me revient en mémoire, ses yeux bleus, sa carrure imposante et rassurante. En les comparant, le fait qu'ils partagent tous deux le même père renforce leurs ressemblances communes : leur nez droit et fin, leur sourire parfait, leur mâchoire définie, la courbe de leur cou, jusqu'à leur démarche. Soudain je me sens honteuse et je me décolle de Jude pour lui tourner le dos. Il semble surpris mais doucement, dans le silence de la nuit, je l'entends chuchoter :
- Désolé.
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