13.

Le lendemain matin, c'est Jude qui me réveille et pour cela, il n'a pas employé la manière douce : je reçois un énorme coup d'oreiller dans la tête et je me lève instantanément.

- Mais tu es malade ! J'ai failli mourrir !

Jude ne me répond pas, trop occupé à rire à gorge déployée. Pour me venger, je prends à mon tour mon oreiller et je le frappe contre la tête de Jude. S'en suis une bataille de polochon très drôle à travers la maison. Nous nous arrêtons seulement quand Jude, qui me frappait avec un coussin, s'aperçoit que celui-ci sème des plumes. Suite à cet incident, nous nous installons pour manger.

- Tu veux qu'on fasse quoi aujourd'hui ? Demande Jude.

- Je voulais retourner au Gouvernement, dis-je en observant la réaction de Jude.

Il soupire et plante son regard dans le mien.

- Ok, répond-il douteux.

- Et après, je t'emmènerai quelque part.

Je pense à la clairière, j'aimerais découvrir plus de choses sur sa relation avec Edan. Son visage s'illumine puis il dit à son tour :

- Et je t'emmènerai quelque part aussi.

Il me fait un clin d'oeil et nous continuons de manger. Je ne sais pas trop si je dois lui faire confiance, son comportement inspire la sécurité mais je ne le connais pas assez pour en être sûre. Nous montons tous deux pour nous préparer, j'enfile une tenue confortable et Jude fait de même. Nous partons de la maison et nous prenons exactement le même chemin que l'autre soir.

- Tu comptes t'y prendre comment, demande Jude.

J'hausse les épaules.

- Je ne sais pas trop encore ... Le mariage ça me semble bien, et Edan serait un de nos témoins. Du coup j'aurai besoin de son adresse tu vois, d'un lieu où le trouver.

Jude hoche la tête.

- Mais tu savais qu'on ne peut plus se marier ?

- Oui, mais je ne sais pas tu n'as qu'à prétexter que je suis un peu folle et que je n'accepterai d'avoir des enfants seulement si nous sommes mariés.

- Ça me va, dit-il.

Nous arrivons devant le Gouvernement et Jude me prend la main, je tressaille.

- Nous devons avoir un peu de crédibilité non ?

J'acquiesce silencieusement et nous nous dirigeons à l'intérieur du bâtiment. Lorsque nous franchissons les portes, je suis bouche-bée par la beauté du lieu. La hauteur du plafonds est incroyable, faisant apparaître en haut de superbes fresques. Les luminaires sont plus imposants les uns que les autres, et la pièce est décorée de magnifiques peintures. L'escalier en face de nous est recouvert d'une moquette rouge et se sépare en deux à la moitié, comme les escaliers de grands châteaux datants d'avant la pandémie. Les rampes de escaliers semblent être plaquées or. À notre gauche, un petit comptoir et disposé où une femme nous regarde avec curiosité. Jude nous dirige vers elle et je dois reprendre un peu confiance et arborer une expression de joie.

- Bonjour, que puis-je faire pour vous ?

Elle semble très blasée, on dirait qu'elle prononce cette phrase à longueur de journée. Je souris de toutes mes dents et je dis sur un ton assez aigu.

- Nous voulons nous marier !

Elle nous regarde, toujours aussi déprimée.

- Je suis désolée jeunes gens, mais les mariages sont interdits de nos jours.

Je garde mon expression de niaise parfaite et Jude prend la parole en se baissant vers la dame.

- Je suis désolé madame, mais ma partenaire à des problèmes psychologiques et si nous ne nous marions pas, elle refusera de faire des enfants. Ce n'est évidemment pas ce que vous voulez non ?

Elle nous regarde à tour de rôle de manière suspecte puis elle déclare :

- Très bien, prénoms s'il vous plait.

- Jude et Aurore, dis-je.

Elle note ces informations sur un bourreau de papier. Je l'interrompts :

- Nous voulons des témoins, ce sera Louise et Edan pour moi et Paul et Sophia pour Jude.

Il me regarde avec des yeux ronds, les deux prénoms sont sortis tout seul de ma bouche, sauf Sophia qui est la mannequin. La dame me regarde de travers mais je reprends :

- Il nous faudrait leur adresse pour pouvoir les contacter.

La dame hésite, mais sous le regard insistant de Jude, elle fouille dans sa paperasse et en extirpe quatre adresses, celle de Louise, la mienne et deux autres que je ne connais pas. Je suis sous le choc, pour le gouvernement, j'ai donc deux partenaires, Edan qui habite avec moi et Jude qui est son remplaçant. Nous terminons très rapidement la procédure et nous partons. Nous nous arrêtons quelques rues plus loin pour faire le point.

- Edan est toujours censé vivre avec toi, dit Jude.

J'hoche la tête. Où peut-il bien être bon sang ?!

- Il faut qu'on aille au laboratoire, maintenant.

Jude ne semble pas du même avis que moi.

- Et tu comptes trouver quoi là-bas ? Tu vas pas rentrer et demander à voir Edan, il va pas arriver, comme ça tout pimpant, en te demandant ce qu'il se passe.

- Je sais très bien Jude ! Mais je veux savoir s'il travaille toujours là-bas, s'il n'y travaille plus c'est qu'il a dû découvrir des choses pour lesquelles il a été viré. Ça veut dire qu'il se cache mais qu'il va sûrement vouloir reprendre contact avec moi pour me dire ce qu'il a découvert !

Jude soupire et me regarde, tout comme l'autre jour, il est tiraillé par deux parts de lui-même.

- S'il te plait Jude, fait un effort et essaie d'oublier tout ce qu'il a pu te faire. S'il te plait.

Je le supplie presque.

- Ce n'est pas facile Aurore, dit-il d'un ton ferme.

Sur ces paroles il tourne la tête et sa mâchoire se contracte.

- Aller vient sale con, dis-je en lui faisant un clin d'oeil.

Il me regarde, me souris et finalement il me suis à travers les ruelles.

Lorsque nous arrivons enfin devant le laboratoire, je dis à Jude de rester dehors car cette fois-ci je vais me faire passer pour la partenaire d'Edan. Je rentre et je me dirige vers l'accueil.

- Bonjour madame, je voulais savoir si Edan mon partenaire était venu travailler depuis jeudi ?

Elle me regarde puis demande mon prénom.

- Je suis Aurore sa partenaire, dis-je dans un sourire.

Elle obtempère et elle regarde sur sa fiche d'absence.

- Je suis désolée mademoiselle, mais votre partenaire ne figure pas sur ma fiche des employés, dit-elle désolée.

Je la remercie et je repars rejoindre Jude dehors.

- Il a été viré !

Il fronce les sourcils.

- Tu trouves que c'est une bonne nouvelle ?

Je roule des yeux.

- Non bien sur que non, mais cela veut dire qu'il a du découvrir quelque chose et qu'il se cache volontairement.

Il ne semble pas convaincu, il secoue la tête et dit :

- S'il a découvert quelque chose de vraiment important, ça m'étonnerai que le gouvernement ai décidé de le laisser dans la nature ...

Je me décompose. Jude à raison, Edan est peut-être enfermé dans un cachot minable au fin fond du Gouvernement. Jude me regarde avec tristesse.

- Après tu as peut-être raison mais tu as bien dis que mercredi il ne savait rien. Peut-être que le gouvernement a su que vous ne faisiez pas ce qu'il vous demandait et il a puni Edan en le remplaçant par moi. Le gouvernement a peut-être fait du chantage à Edan et il a dû être obligé de s'éloigner.

Je fais demi-tour et je commence à marcher. Je ne sais plus quoi penser. Toutes ces théories sont bonnes et si je continue à chercher et qu'Edan se cache du gouvernement, je vais les mener à lui. Mais peut-être qu'il veut que je le trouve. J'entends Jude me rejoindre.

- Et qu'est-ce que je suis censée faire là ? Demandé-je un peu de façon agressive.

Jude se contente de hausser les épaules.

- Bon, je t'avais promis que je t'emmènerai quelque part, je vais tenir ma parole, dis-je.

La traversée de la ville se fait dans un silence total et lorsque nous arrivons près de la forêt, Jude s'arrête et me regarde.

- Comment tu savais que j'allai t'emmener là-bas ?

C'est à mon tour de hausser les épaules.

- Edan m'a déjà montré cet endroit, j'y ai appris ton existence.

Je souris tant bien que mal.

- Suis moi, dit Jude.

Je ne bronche pas et je le suis à travers les méandres de la forêt. Le chemin qu'il empreinte est ma foi beaucoup plus rapide que le mien. Il me semble qu'il a utilisé le même qu'Edan. Nous arrivons dans la même splendide clairière où un parfum diffus de fleurs flotte continuellement dans l'air. Jude trouve un endroit près de l'eau et il enlève ses chaussures pour se retrouver pieds-nus et ainsi les mettre dans l'eau. Je le regarde faire distraitement.

- Est-ce que tu peux m'expliquer ce qu'il s'est passé entre toi et Edan ? Demandé-je doucement.

Ses yeux clos se sont ouverts et il a dirigé ses orbes bruns sur les miens. Il a sourit, me dévoilant ses fossettes absolument craquantes.

- Tu as mis exactement deux cents soixante-huit secondes depuis qu'on est arrivé pour me poser cette question gazelle, remarque-t-il.

- Oui et si tu continues je vais mettre moins d'une seconde avant de te frapper. Fort.

Son rire emplit l'atmosphère d'une joie de vivre intense.

- C'est des histoires d'adolescents de quinze ans Aurore et je suis sûr qu'après mon histoire tu nous considéreras comme des pauvres gosses de huit ans tellement je trouve ça pathétique et puéril, commence-t-il.

Ses yeux se sont de nouveau fermés et il a passé son bras par-dessus ses paupières, son coude en l'air. Il reprend ensuite :

- Edan t'as sûrement raconté toutes nos petites virées pendant la nuit. Particulièrement celle où on a découvert cet endroit. À partir de ce moment, Edan et moi étions vraiment les meilleurs potes, on avait douze ans je crois. Pendant plus de trois ans, on enchaînait les sorties tard le soir, et plus on grandissait, plus c'est devenu risqué, par contre on a jamais dépassé la clôture pour aller du côté des filles. Mais crois moi, on en a fait des sales coups.

Il se met à sourire, les effluves de souvenirs arrivant peu à peu dans son esprit. Il reprend calmement son histoire :

- Une nuit, on est entré par effraction dans une maison ; les idiots n'avaient pas fermé leur fenêtre du salon. On est donc rentré, d'abord tous les deux, et on est monté à l'étage. Je dois te dire que ce qu'ils faisaient dans la chambre était bruyant ! Qu'est-ce qu'on s'est marré ! Les amoureux ne nous ont même pas entendu. On est redescendu, plié de rire, et les autres sont rentrés pour écouter leurs ébats au fur et à mesure. C'était génial. Un autre soir, on est allé au Gouvernement, c'était notre sortie la plus risquée. On était que tous les deux avec Edan. Les autres s'étaient dégonflés. On a couru à travers la ville tant bien que mal, et à un moment, on est tombé sur un grand bâtiment. C'était ça. On a fait le tour du pâté de maison pour voir s'il n'y avait pas d'autres issues. On a du escalader les maisons pour retomber dans leur jardin, c'était fou. On avait quinze ans à cette époque, c'était peu avant la "révélation". À un moment, on a vu une fenêtre qui donnait sur le jardin dans lequel on était. Mais elle était pas facile d'accès et on était même pas sûre qu'elle soit ouverte. On est monté tous les deux sur la palissade qui était collée au mur du Gouvernement, et je suis monté sur les épaules d'Edan. Mais même comme ça, on en a chié pour ouvrir cette satanée fenêtre. Mais en procédant par ordre et méthode, on a réussi. On est monté donc rentré dans le Gouvernement par effraction ! Tu te rends compte ! On était hyper contents, sauf que ça n'a pas été long car comme tous les lieux sécurisés, il y avait une alarme. C'était horrible, j'avais les tympans en feu. Puis on a entendu des pas et Edan m'a dit :"Vas-y saute ! T'es le chef, tu vaux mieux que moi" alors je l'ai écouté et j'ai sauté. J'ai attendu que l'alarme se calme pour repartir du jardin. Je ne savais pas ce qu'il se passait, l'alarme était trop forte pour que je puisse entendre. Quand elle s'est arrêtée il n'y avait plus aucun bruit à l'intérieur. J'ai couru tout ce que je pouvais, j'étais essoufflé et mes jambes me brûlaient. Je suis retourné à l'orphelinat et j'ai attendu le lendemain pour voir s'ils allaient ramener Edan. Et en effet, dans la mâtiné je l'ai vu arriver. J'étais hyper heureux de le voir, et quand j'ai sauté sur lui pour lui faire une tape dans le dos, il s'est littéralement effondré au sol. Puis il s'est mis à courir jusque dans sa chambre. Quand je suis rentré, il était en caleçon et son corps était entièrement rouge ; je crois qu'ils l'ont fouetté pour voir s'il avait obtenu des informations, mais on n'avait pas eu le temps de trouver quoi que ce soit ! Il ne pleurait pas mais quand je me suis approché, une larme coulait sur sa joue. J'avais honte, c'était horrible. J'ai du bafouillé un "Pardon" minable et je suis parti. Je n'en sais pas plus, je ne sais rien de ce qu'il s'est passé cette nuit là pour Edan. Je sais juste qu'aujourd'hui qu'il a gardé une cicatrice de ses coups en bas du dos.

Je suis extrêmement choquée par ce que viens de me dire Jude. Ma respiration est saccadée et je comprends maintenant sa volonté de savoir ce qui est arrivé à sa mère. Si le gouvernement a infligé cette horreur à un gosse de quinze ans que ferait-il sur une femme de vingt ans ? Jude se met assis en face de moi. Ses yeux me renvoient la tristesse et le remord qu'il éprouve à l'instant.

- Je lui dois toujours quelque chose, il a endossé à ma place ce rôle de bouc-émissaire, alors qu'en tant que chef, c'est moi qui devait payer. Depuis ce jour là, je me suis toujours plus ou moins soumis à Edan. Mais depuis ce jour-là aussi, notre relation s'est dégradée et ça a commencé avec le jour des révélations. J'ai découvert que nous avions le même père.

Ses yeux deviennent légèrement vitreux et je comprends que leur ressemblance vient de là. Non seulement au niveau du comportement, mais aussi de l'apparence : leurs façons de se déplacer sont similaires et tous plein d'autres détails. Je plonge mes yeux dans ceux de Jude et il continue :

- On s'est embrouillé à partir de là. Je ne vais pas te raconter en détail quelles étaient nos disputes, mais c'était très très violent. Mon père à continué sa vie alors que plus personne n'a entendu parler de sa mère, il trouvait ça injuste. Et puis un jour, nous avons complètement perdu contact. Je n'ai plus jamais entendu parler de lui jusqu'au bal. Au fait, vous étiez les gagnants.

Il me fait un sourire qui veut tout dire et je rougis violemment. Mais je reprends vite une expression désolée.

- Je suis désolée, dis-je dans un souffle.

Il hausse les épaules comme s'il était indifférent.

- Je ne l'ai pas encore vu, je ne sais pas ce qu'il se passera au moment où nos regards vont se croiser. Mais je n'oublie pas que je lui en dois une.

Cette fois-ci son regard me transperce et m'étudie.
C'est ça, il doit prendre soin de moi.

- C'est lui qui t'envoie ? Demandé-je en me levant.

Il baisse les yeux et hoche la tête.

- Sale con ! Tu aurais du me le dire plus tôt ! Tu ne te rends même pas compte à quel point je me suis inquiétée ! Et puis tu ne t'es pas gêné pour faire semblant d'être choqué quand tu as su qu'Edan était mon partenaire ! Bien joué l'acteur !

Je me baisse et je le gifle violemment. Il réplique aussitôt et se lève brusquement.

- Je te signale que je ne fais que suivre ses instructions espèce de folle ! Si t ...

Je le gifle de nouveau.

- Ne m'appelle pas "folle" !

Mon cri résonne dans la forêt, quelques oiseaux s'envolent. Jude me regarde et soupire longuement. Ses yeux se posent sur les miens et la honte me prend.

- C'est bon, tu es calmée ? Demande Jude.

Je grogne et il continue :

- Bon, on va gentiment rentrer et je te dirai tout ce que tu voudras à la maison, mais je te préviens qu'il m'a seulement laissé une note qu'il n'a même pas signé et me disant "Prends soin d'elle." Alors avant de m'insulter, prends en considération tout ce que je viens de te dire !

Je lui tourne le dos et je commence à partir. Mes sentiments sont partagés entre le soulagement et la colère. Edan va bien, et c'est la meilleure chose qu'il soit.

- C'est pas par là, me dit Jude, suis moi.

Nous nous engouffrons à nouveau dans l'épaisse forêt et nous rentrons à la maison.

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