11.
Trois jours sont passés depuis que nous sommes allés au laboratoire. Nous avons rempli le carnet de dates fausses puisque nous n'avons rien fait. C'est mercredi, Edan se lève pour aller au laboratoire et je me lève pour aller à l'agence de photo. Nous avons presque oublié ce qu'il s'est passé la semaine dernière, dans tous les cas, ils ne pourront pas nous forcer. Le gouvernement pourrait prélever nos cellules reproductrices et faire des fécondation in vitro pour ensuite mettre la cellule fecondée dans une mère porteuse. Mais je pense que le gouvernement préfère les fécondations in vivo, c'est plus sur et cela augmente les chances de survie de l'embryon.
Nous nous installons avec nos bols de céréales et Edan prend la parole :
- Tu sais, depuis jeudi dernier, j'essaie de chercher des informations sur le gouvernement, sur les bannissements, sur sa façon de gouverner, mais je ne trouve rien. Je ne sais pas si nous vivons dans une société tyrannique ou démocratique. Je n'ai aucunes informations sur le Dr.Rose. Je ne sais même pas quelle est la maladie qui a ravagée presque toute l'humanité. J'ai découvert certaines choses comme une carte du monde et les autres villes qui sont répertoriées. Ou bien comme la façon qu'avaient nos ancêtres de gouverner avant la pandémie. Et plus j'y pense, plus je me demande qui nous dirige ? Qui prend les décisions pour la ville ?
Cela le perturbe vraiment, ses yeux me fixent intensément, il est réellement préoccupé. Je ne m'étais jamais posé la question. À l'orphelinat on nous enseigne seulement les rudiments du fonctionnement de la société : le gouvernement. Mais c'est vrai qu'on nous concentre plus sur notre rôle de Géniteur. Toutes les questions que se posent Edan sont sans réponses pour moi. Si on nous ne l'enseigne pas, c'est que ce n'est pas nécessaire.
- Edan arrête ça, ne cherche pas. Tu l'as dit toi même, il ne faut pas nous attirer les foudres du gouvernement. Comme tu le dis on ne sait pas ce qu'ils peuvent faire. Je ne tiens vraiment pas à ce que l'on soit séparé.
Il me regarde, dubitatif. Il semble peser le pour et le contre, puis il déclare :
- Tu as raison, je vais le faire plus discrètement. Je vais gagner la confiance du gouvernement et je vais obtenir un poste plus important, je pourrai ainsi récupérer des informations.
Il semble très sérieux, je ne sais pas pourquoi il s'obstine à ce point. Nous sommes heureux pour l'instant non ? Pourquoi tout chambouler ? Même si le Dr.Rose nous empoisonne un peu la vie, nous pouvons passer au-dessus.
- Pourquoi tu tiens vraiment à trouver ces informations ? Demandé-je.
- Ils préparent quelque chose, je le sens. Nous ne sommes pas en sécurité ici.
- Ce n'est pas à toi de sauver le monde Edan, ou du moins ne le fait pas tout seul.
- Tu ne comprends pas Aurore !
- Qu'est-ce que je ne comprends pas ?
J'essaie d'être douce dans mes paroles, même si son ton me perturbe.
Il se lève brutalement, renversant presque son bol, il fait quelques pas puis se retourne pour me regarder.
- Tu es manipulée par le gouvernement ! Tu considères que la société est juste et que cela fait parti de notre vie. Mais avant, rien n'était comme ça ! Avant, nous aurions pu passer notre vie ensemble en choisissant de ne pas avoir d'enfants. Je tiens à toi, je ne veux pas qu'ils te fassent du mal parce que nous refusons de faire ce qu'ils nous demandent. Si je dois tout endosser pour te protéger, je le ferai ! Mais il n'y a pas que ça, nous vivons dans le mystère, on ne sait rien de ce qu'il y a en dehors de la ville. Le gouvernement nous cache beaucoup trop de choses Aurore. Je veux savoir ce qu'ils ont fait de ma mère, ce qu'ils lui ont infligé !
La tristesse se lit dans ses yeux, il tient vraiment à percer les secrets de la société.
- Laisse moi t'aider Edan, on y arrivera tous les deux, je le supplie presque.
- Non Aurore, je ne veux pas te mettre en danger ! Je vois des choses horribles au laboratoire, ils possèdent une multitude de moyens pour nous faire souffrir, laisse moi gérer ça tout seul.
Il me prend les mains, comme pour me rassurer.
- Je ne comprends pas ton obstination ! Tu ne trouves pas que nous sommes bien tous les deux ? Tu ne trouves pas que même si nous sommes un peu oppressés, tout peu facilement s'arranger, il suffit de remplir ce bon-dieu de carnet !
- Non Aurore ! Ce n'est pas aussi simple ! La société est complexe et le gouvernement nous observe. Ce n'est pas en ignorant leurs ordres que tout va s'arranger, au contraire même ! Tu ne comprends pas le pouvoir de manipulation qu'ils ont sur nous ! Tu ne comprends pas qu'ils prévoient tout dans les moindres détails ! Tu n'imagines même pas le mal qu'ils peuvent nous faire ! Tu ne comprends pas beaucoup trop de choses, c'est ça le problème. Tu as été manipulé et je ne peux rien faire pour toi.
Ses paroles sont glaciales, elles me fendent le cœur. Il se retourne et s'en va, en claquant violemment la porte derrière lui. Ses paroles m'ont frappé de plein fouet, laissant derrière elles une plaie rouge et saignante. Je n'ai jamais vu Edan dans un état pareil. Il semblait exténué, à bout de nerfs. Et il m'en voulait, la flamme de repproche brûlait dans ses yeux remplis de colère. Sous le choc, je pars au travail sans même débarrasser la table.
Le chemin se fait long, je regarde par terre et ma culpabilité m'écrase, j'aurais du voir sa souffrance. J'aurais du l'écouter. J'aurais du faire attention. J'aurais du deviner.
Le soir, je rentre à la maison, j'ai honte de moi. La journée à été morne et je n'ai presque pas parlé, seulement pour donner des ordres comme "relever un peu la tête", "baisser le menton", "tenez-vous droit". Lucille semblait attentive à ce que je faisais, elle avait du remarquer mon humeur et elle m'avait demandé à plusieurs reprises si j'allais bien.
Je suis enfin devant la porte, je respire un grand coup puis j'entre. Je m'attends à voir Edan sur le canapé, mais il n'y est pas. Je fais le tour de la maison à sa recherche mais il n'y a aucune trace de lui. Généralement, il s'organise pour arriver un peu avant moi, il faut croire qu'il n'avait pas envie de faire des efforts pour moi aujourd'hui. Je monte chercher un bouquin et je vais me mettre dans le jardin pour lire. Tout est de ma faute, si j'avais fait plus attention à lui, si j'avais vu sa détresse nous aurions évité cela. Je lis jusqu'au couché du soleil et pour une journée d'été, cela veut dire qu'il est plus de vingt-deux heures. Je n'ai toujours aucun signe d'Edan. Je vais m'asseoir sur le pas de la porte, j'observe la rue et les quelques passants me regardent avec pitié. Alors je m'effondre enfin. Les larmes jaillissent de mes yeux, mouillant mes joues et mon chemisier. Je pleure car je suis en colère. Je pleure car je suis triste. Je pleure car Edan me manque déjà. Je reste ici longtemps, à vider mon corps de larmes, à vider mon corps de toute son eau. Edan ne reviendra pas pour aujourd'hui.
Je me lève et je vais dans la chambre. Je m'allonge sur le lit et je m'endors, seule.
Je me réveille en sursaut. Je regarde autour de moi, mes sens en alerte, mais Edan n'est pas là. La place à ma gauche est froide. Je me rallonge, je suis désemparée. Je repense à notre dispute d'hier. C'est assez curieux que ça soit venu d'un coup, sans prévenir. Je décide donc qu'aujourd'hui, je vais mener mes recherches. Je m'habille de façon confortable en enfilant un short blanc et un t-shirt simple. Je prends un sac où je mets mon appareil photo, une bouteille d'eau et des sandwichs que j'ai préparé. C'est peut-être ridicule mais s'il n'est pas avec moi, il doit quand même être autre part et je compte bien le retrouver.
Je sors de la maison direction le laboratoire. Je marche vivement et j'arrive assez vite à son lieu de travail, je me présente à l'hôtesse :
- Bonjour, je suis Aurore la partenaire d'Edan, est-ce que je pourrais le voir s'il-vous plait ?
Elle fouille dans sa paperasse et elle me dit qu'Edan ne travaille pas le Jeudi. Quelle idiote, c'est vrai que nous avons les mêmes horaires.
- Il est parti à quelle heure hier ?
Elle hausse un sourcil.
- Comme d'habitude madame, vers seize heures cinquante.
Son regard est interrogateur mais je ne prends pas le temps de lui poser d'autres questions. S'il est parti à l'heure habituelle c'est qu'il comptait rentrer à l'heure habituelle. Quelque chose a dû se passer pour qu'il change d'avis. Je remonte le chemin en direction de la maison mais plus doucement cette fois : je fais attention à tout ce qui a pu troubler Edan. Il est intelligent, il n'a pas du faire les choses au hasard. Malheureusement, rien ne m'alarme. Penaude, je m'arrête et finalement, je repense à la clairière dans les bois. Je vais my rendre, le problème c'est que le chemin est encore flou dans ma tête. Je me dirige vers la lisière de la forêt et j'empreinte le sentier. Ma marche est déterminée, s'il n'est pas à la clairière, je crains qu'il ne veuille simplement pas que je le retrouve. Je dépasse l'arbre au tronc fendu et je bifurque à gauche. Je m'enfonce dans la noirceur de la forêt mais en plein jour, elle est plus rassurante. Je m'immobilise, essoufflée. Je tends l'oreille et je capte le bruit de l'eau, je décide de suivre ce bruit, je retomberai bien sur la source il me suffira ensuite de suivre le ruisseau. J'arrive enfin au ruisseau, je découvre une petite cascade de deux mètres, le ruisseau continue de couler en contrebas. Je remonte la cascade par un petit chemin et je suis le cours de l'eau dans le sens inverse. Au loin, je vois que la lumière est plus vive et je presse le pas. Me voilà dans la clairière, vide. Je m'effondre au sol, exténuée par ma marche. Il n'est pas au travail et il n'est pas ici. Je ne sais absolument pas où il pourrais être. Je m'allonge et j'essaie de reprendre mon souffle. Je sors mes sandwichs et je mange le premier, puis le deuxième. Pendant ce temps je réfléchis. Où à-t-il dormi hier soir ? Je ne sais pas si la ville fourni des logements à ceux qui le demandent. Je ne pense pas, mais comme l'a très bien dit Edan, il y a beaucoup trop de choses que j'ignore. Une larme coule sur ma joue mais je l'essuie rapidement, je ne dois pas me laisser abattre. Je me souviens alors du lac, c'est l'endroit où il m'avait confié son secret. Je me lève précipitamment, je ramasse tout ce que j'ai laissé et je repars vite. Je reprends le chemin inverse : je suis le ruisseau, arrivée à la cascade je m'éloigne et je rejoins l'arbre au tronc fendu. Je remonte le chemin en courant et je me dépêche de rejoindre le lac. La journée est bien avancée et il est plus de treize heures sur ma montre. J'ai l'impression de participer à une chasse au trésor. Je passe devant la boutique pour aller au lac. Mes jambes commencent à me brûler à force de courir, mais je continue. S'il n'est pas là, c'est qu'il de donne beaucoup de mal pour se cacher de moi. J'ai énormément de questions à lui poser et je regrette d'avoir attendu autant de temps pour le faire. Lorsque j'arrive près de l'eau je vais vers le rocher et je grimpe dessus. Arrivée en haut, c'est presque sans surprise que je vois qu'Edan n'est pas là. Je pose mes mains sur mes hanches et je me penche vers l'avant, une pointe de côté me transperce le ventre. Je suis essoufflée, je n'en peux plus, tous mes efforts ont été vains. Edan se cache, il ne veut plus me voir. Je m'assoie et je laisse mes jambes pendre au-dessus de l'eau. Je regarde la ville au loin, en me demandant où il peut bien se cacher. Finalement je me souviens que j'ai prit mon appareil photo avec moi. Je le sors de mon sac puis de son étui. Je commence à prendre des photos et cela me détend au fur et à mesure. Je décide de rentrer quand je vois que le soleil commence à décliner, mais je garde mon appareil sur moi pour prendre quelques photos sur le chemin.
Lorsque j'arrive devant la maison, je vois une ombre passer derrière les rideaux et tout s'éclaire autour de moi. Je me précipite à l'intérieur de la maison et je vois un homme que je ne connais pas dans le salon. Mon arrivée fracassante à du l'alerter car il s'est retourné. Je recule un peu, sous le choc. C'est un homme blond aux yeux bruns, ce qui fait un magnifique contraste. Il doit faire ma taille. Il me regarde, impassible, puis il me sourit, me dévoilant de superbes fossettes sur ses joues. Je suis incapable de prononcer quelque chose alors il s'en charge :
- Euh salut Aurore, je me suis permis d'entrer ...
Je ne dis rien, qu'est-ce qu'il fait là ?!
- Tu vas bien ?
- Qu'est-ce que tu fais là ? Demandé-je soudainement.
- Je suis ton nouveau partenaire, je pensais que tu étais au courant ...
- Et bien non je n'étais pas au courant ! Pourquoi t'es là ?!
Je suis perdue, pourquoi m'ont-ils envoyé un nouveau partenaire ?
- Je ne sais pas, dit-il, on m'a dit que je devais venir ici, que j'allais avoir une partenaire du nom de Aurore et que j'allais vivre avec elle.
Je m'approche doucement de lui, il semble tout aussi perdu que moi et cela me rassure.
- Qui t'as dit ça, je demande.
Il hausse les épaules.
- Les gens du gouvernement je suppose.
J'ai des frissons au mot "gouvernement".
- Tu ne sais pas ?
- Non pas vraiment, on m'a contacté ce matin et j'ai tout en juste eu le temps de me préparer. Je n'ai même pas passé mes tests ...
Enfin je comprends.
Ils m'ont débarrassé d'Edan. Ils veulent que je change de partenaire. Ils vont tout faire pour que j'ai des enfants. Je suis dans un cauchemar, je ferme les yeux et je me laisse tomber. Réveille-toi bon sang ! Mais lorsque je heurte le parquet rien ne se passe. J'entends juste l'homme se précipiter vers moi et me soulever pour me mettre sur le canapé.
- Aurore ! Aurore tu vas bien ?
J'ouvre les yeux. Je suis pathétique. Je me suis fait mal en tombant mais cela restait supportable. Je me lève soudainement, il doit me prendre pour une hystérique.
- Viens avec moi, on va voir le gouvernement, dis-je, tu t'appelles comment déjà ?
Je pensais qu'il m'avait déjà dit son prénom mais quand je l'entends je me stoppe sur le pas de la porte. Je me retourne pour mieux observer son visage, ses cheveux blonds mal coiffés, ses lèvres roses et ses yeux bruns profonds.
- Bonjour Jude, dis-je finalement.
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