Chapitre 9

Le bureau des opérations était une pièce rectangulaire, carrelée de blanc comme presque toute la Fourmilière. Elle contenait une table et des chaises pouvant accueillir une dizaine de personnes, un ordinateur et un vidéoprojecteur au plafond. Rien de bien sensationnel, donc.

Catherine Maliski et Félix Castel s'étaient déjà installés à notre arrivée, et ce dernier nous salua d'un hochement de tête. Discret, professionnel et surtout, très attaché au fait de plaire aux jumelles Maturet, le responsable de la sécurité de la base n'était pas des plus bavards. Il avait également tendance à transformer sa crainte des GEN et son malaise quand il se sentait intimidé en agressivité. Trapu, de taille moyenne, il avait au moins cinquante ans et ses cheveux se faisaient rares sur certaines zones de son crâne. Son teint olivâtre prenait une drôle de couleur sous les néons et sa barbe poivre et sel aurait mérité un bon coup de tondeuse.

Catherine, quant à elle, était blanche comme un linge sous ses cheveux blonds, et ses yeux cernés trahissaient sa fatigue. Les demi-GEN étaient plus résistants que des humains, avec des défenses naturelles contre les maladies et les infections, mais ne se régénéraient pas tous seuls. Etant donnée la plaie bandée de l'épaule au coude et la couleur rosée des compresses, elle devait sacrément souffrir et avoir perdu pas mal de sang.

- Salut, les gars, dit-elle malgré tout, un petit sourire aux lèvres.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? demandai-je en prenant une chaise.

- On était attendus chez Langlais, soupira la chef d'unité. Il a fallu faire le ménage avant d'entrer fouiller la maison, et l'un de ces salauds m'a sauté dessus avec un poignard. J'ai eu de la chance, il n'y avait pas de poison dessus.

- Tu devrais être en train de te reposer. Où est Niels ?

J'eus ma réponse dans un grincement de porte et Albert Niels, flanqué d'Annabelle, fit son entrée. Il dévisagea tout le monde en prenant place, puis se racla la gorge.

- Bien, nous sommes tous là. Nous n'allons pas nous attarder sur les détails de vos missions respectives puisque le lieutenant Maliski doit rejoindre l'unité de soins rapidement si je ne veux pas me faire taper sur les doigts par le docteur Firell, mais nous allons aller droit au but. Avez-vous trouvé le disque dur ?

Catherine secoua négativement la tête ce qui la fit grimacer :

- Il n'y avait rien au domicile de Bart Langlais. En revanche, vu le comité d'accueil que nous avons trouvé, je pense que l'Institut n'avait pas seulement prévu notre venue.

- Ces Soldats Noirs étaient là pour supprimer un élément gênant, traduisit Castel avec empressement. Langlais devrait se faire oublier quelques temps s'il ne veut pas finir entre quatre planches. Nous devrions...

- Nous l'avons, coupai-je. Le disque est là.

Je le posai sur la table et Annabelle le prit, soulagée. Au moins, les données sensibles qu'il devait contenir n'étaient plus dans la nature. D'après nos informations, il s'agissait en plus d'un nouvel armement.

- Vous l'avez gardé avec vous depuis ce matin ? s'offusqua Félix Castel, vexé par mon intervention.

- Que vouliez-vous que j'en fasse ? rétorquai-je. Je ne l'ai pas perdu, que je sache, donc il n'y a aucun problème.

- Nous allons voir ce qu'il y a dessus, lâcha Niels.

Annie Maturet se dirigea vers l'ordinateur et brancha l'engin dessus. Le chef des Revenants et son responsable de la sécurité ne respiraient presque plus et j'échangeai un regard avec Gaspard.

L'image s'afficha, d'abord floue sur le pan de mur vers lequel était dirigé le projecteur. Ici, il n'y avait pas d'intelligence artificielle capable de tout régir, ni d'affichages 3D ultraperfectionnés à tous les coins de porte. Le matériel était plus que daté, sauf dans la salle informatique des informations stratégiques.

C'était un plan réalisé par ordinateur. Il représentait un objet long, cylindrique, avec un bout pointu. Une ogive, en somme. Un missile.

- Nom de Dieu, laissa tomber Félix. C'est quoi ce truc ?

Je détaillai l'image qui se mit à bouger pour présenter une vue interne de l'objet, avec plusieurs couches, puis elle reprit sa place initiale. C'était tout.

- Je ne sais pas exactement ce que c'est, me devança Gaspard, mais ce fichier n'est pas utilisable. Il n'y a aucune légende, aucune indication sur les dimensions ou les matériaux utilisés.

- Exact, confirmai-je. Ça pourrait aussi bien être un dessin à la main, on ne pourra rien en faire.

Niels demeura muet et se rapprocha du plan, comme si cela allait en tirer des secrets, mais il n'en fut évidemment rien. Le missile avait l'air de grande taille, mais au final, il pouvait très bien s'agir d'un modèle agrandi de balle. Pour l'arme destructrice des GEN, c'était loupé.

- Je vais confier le disque à nos informaticiens, suggéra Annabelle qui masquait mieux sa déception. Peut-être retrouveront-ils au moins la source du dossier.

- Je doute qu'ils arrivent à quelque chose, l'avertis-je. A mon avis, nos informations de départ étaient fausses, et quelqu'un s'est bien payé notre tête en nous envoyant sur une fausse piste, Niels. J'ignore qui de l'Institut ou du cyberpirate est responsable, mais nous en sommes une fois de plus au point de départ.

- Qu'entendez-vous par là, commandante ? protesta Castel.

- Lieutenant Maliski, je crois que vous devriez retourner vous coucher, s'interposa Niels. Olbec, accompagnez-la. Nous vous tiendrons au courant pour cette histoire de disque dur même si je ne fonde pas de grands espoirs dessus. Il est inutile de tergiverser à ce sujet. Luna, j'aimerais que vous restiez encore un instant.

- Bien, monsieur, opina Catherine avec soulagement.

Elle semblait tellement mal en point que même se rendre compte qu'elle s'était fait attaquer pour rien ne l'affectait pas.

J'obtempérai également de bonne grâce sans lâcher des yeux Félix qui me défiait du regard. Il fut forcé de se détourner rapidement, incapable de faire le poids et je réprimai une envie de rire. Ce type faisait bien son boulot mais ne m'était pas sympathique. Il faisait partie de ceux qui pensaient que j'étais dangereuse pour les Revenants et que Niels aurait dû me laisser mourir à petit feu au lieu de me sauver après mon empoisonnement.

Catherine ne demanda pas son reste et se mit sur ses jambes avec difficulté, soutenue par Gaspard qui faisait à peu près la même tête qu'un enfant écarté d'une conversation de grandes personnes.

- On se voit à l'entraînement, Luna. Général, lieutenant, à plus tard.

Gaspard s'en alla sans prendre la peine de parler à Félix qui se renfrogna encore un peu si c'était possible. Je m'aperçus que c'était l'une des rares fois où j'entendais quelqu'un appeler Niels « général ». Tout le monde se contentait de « chef » ou de son nom de famille, mais cela n'avait pas vraiment d'importance.

Sitôt le battant refermé, je me reconcentrai sur Félix, bien décidée à lui donner la réponse qu'il attendait comme si nous n'avions pas été interrompus :

- Inutile de faire comme si vous ne le saviez pas, Castel. Nous sommes au point mort depuis des semaines, incapables de prévoir les déplacements ennemis et leurs plans. Nous avions tous espoir que ce disque dur contiendrait enfin quelque chose qui nous permettrait d'avancer et de reprendre l'avantage. Nous ne savons pas ce que prépare Irina, et si elle décidait de frapper demain en menant une attaque sur Paris ou ailleurs, nos forces seraient insuffisantes pour la repousser.

- Nous avons besoin de temps pour nous réorganiser après l'évasion de l'Institut, affirma Annabelle qui s'était rapprochée de Félix. Nous avons perdu les yeux et les oreilles que nous avions chez l'ennemi en vous sortant de là.

- Nous n'avons pas de temps. Si la France tombe, le monde entier en souffrira. Les GEN ne sont plus une menace isolée, ils peuvent prendre le contrôle du pays d'un claquement de doigts.

- Nous aurions peut-être dû vous laisser là-bas, dans ce cas, cingla Félix. Si vous étiez restée infiltrée dans les rangs de l'Armée, vous nous auriez servi à quelque chose.

Je dardai sur lui un regard de glace. Si je ne m'abusais, il était cloué au lit avec une fièvre de cheval le jour de l'attaque à l'Institut Bollart et ne s'était pas battu. A sa place, j'aurais eu le bon sens de fermer mon clapet.

- Oh, oui, j'aurais sans doute été plus utile que vous lors de l'évasion, ricanai-je, mais inutile de ressasser le passé, Castel. Je suis ici, avec vous pour votre plus grand bonheur, et je ne peux pas retourner auprès des fidèles de la communauté GEN. Ce qui est fait est fait.

- Le sujet est clos, Félix, soupira Niels avec lassitude. Et la commandante Deveille n'a pas tort lorsqu'elle dit que nous sommes aveugles aux intentions ennemies, mais nous avons tout de même progressé.

Cette dernière phrase m'était destinée et je me tournai vers le demi-GEN. Il avait toute mon attention.

- Je vous écoute.

- Nous avons réussi à obtenir la venue du président ici, à la base. Il désire nous rencontrer et envisage de s'allier à nous, ce qui signifie, si nous parvenons à un accord, que l'armée française se joindra à nos troupes.

Ça, c'était pour le moins surprenant, et je croisai les mains sur la table tout en réfléchissant. Jusque-là, Hubert s'était méfié de tout ce qui ressemblait, de près ou de loin, à un GEN, ce qui se comprenait étant donnée son expérience avec Marx et moi. S'il acceptait de s'unir à Niels, c'était qu'il réalisait enfin le pétrin dans lequel il se trouvait – et surtout son incapacité à s'en sortir seul.

- Bonne nouvelle, dis-je. Il faudra former ces soldats à combattre les GEN, mais c'est un début.

- C'est prévu, précisa Annie. Mais nous n'en sommes pas encore là, Luna, et le président a posé une condition.

- Laquelle ?

Niels et Annabelle Maturet échangèrent un regard avant de daigner me répondre :

- Il désire vous rencontrer. Seul à seule.

Je haussai les sourcils sans retenue. Eric Hubert m'avait fait l'effet d'un homme solide – assez pour rester au pouvoir alors qu'une crise pareille menaçait son pays – mais de là à vouloir se retrouver une nouvelle fois en ma présence. Notre déjeuner en compagnie d'Ulrich Marx devait lui avoir laissé un meilleur souvenir que ce que je ne pensais.

- Plutôt étrange comme demande, commentai-je. Vous lui avez dit que je me trouvais ici ?

- Il l'a deviné seul, c'est un homme intelligent, affirma Niels. Apparemment, dès les cendres de Marx refroidies, Irina Malcolm a pris contact avec lui. Il a compris que la tête de l'Institut avait changé, et comme vous n'étiez pas aux côtés de la nouvelle directrice... Il s'est douté que vous aviez changé de camp.

- C'est une mauvaise idée, déclara lentement Félix. Cela pourrait faire tomber à l'eau tous nos projets d'alliance avec le gouvernement.

- Eric Hubert a été clair, répliqua le lieutenant Maturet. Cette entrevue doit avoir lieu.

- Je n'y vois pas d'inconvénient, dis-je en hochant la tête. Si c'est ce qu'il veut, pourquoi pas. Et desserrez votre ceinture, Castel, vous avez l'air constipé. Je ne dirai rien qui pourrait nuire aux Revenants. Vous n'y croyez peut-être pas, mais vous et moi sommes dans le même bateau.

L'autre émit un grognement doublé d'un soupir dédaigneux par le nez. Il ne chercha pourtant pas d'arguments supplémentaires et se rencogna dans sa chaise. Comme si la question était réglée, Niels repoussa son propre siège pour partir et m'indiqua la porte du regard.

- Nous vous tiendrons informée lorsque le président aura décidé de sa venue.

- Très bien.

Je me levai et saluai sobrement Annabelle et Albert Niels d'un geste, puis me préparai à sortir. Je ne le fis cependant pas avant d'avoir souri avec ironie à Félix que je crus entendre bougonner. Une chose était certaine, celui-là ne deviendrait jamais mon ami.

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