Chapitre 77
Mes doigts plongèrent dans les cheveux de Gaspard en même temps qu'il m'attrapait par les hanches et me serrait contre lui. Nos lèvres se trouvèrent, presque brutalement, comme si le temps nous manquait, et je me sentis décoller du sol tandis que Gaspard m'asseyait sur le rebord du lavabo. Son souffle devint heurté, empressé, il enfouit son visage dans mon cou en murmurant mon nom. Je passai les doigts sous son t-shirt et le relevai, avant qu'il ne m'embrasse de nouveau.
Et puis on frappa à la porte.
Je ne me détachai pas immédiatement de Gaspard qui, lui, n'était franchement pas décidé à me lâcher. Respirant l'odeur de sa peau, le front contre son épaule, je sentis qu'il faisait glisser de mes épaules la chemise que je portais par-dessus mes sous-vêtements.
Trois coups secs retentirent encore une fois et le chien gémit dans le couloir, réclamant de l'attention.
- Luna ? Luna, c'est Sam.
Gaspard leva la tête et croisa mon regard. Je lui intimai silencieusement de se taire, bien que les sens de Samuel fussent capables de lui indiquer que deux personnes se trouvaient dans la chambre. Je descendis sans bruit du lavabo et me tint debout contre le Revenant, les mains posées sur son large torse.
- Luna, je vais descendre, alors...
La voix de Sam me parvenait un peu étouffée, mais tout à fait distincte, y compris pour Gaspard dépourvue d'ouïe GEN. Je croisai intérieurement les doigts pour que la situation ne devienne pas trop gênante, sans quoi je faisais confiance à mon équipier pour exploser de rire.
- Ecoute, Luna, je sais que tu es là, il faut qu'on parle. S'il te plait.
Je suspendis mon souffle, non sous l'effet du suspens mais pour tenter de masquer la présence d'une seconde personne. Je m'abstins de répondre, décidant que Samuel se contenterait d'un monologue avec le chien, devant ma porte.
- Je... Ces dernières semaines n'ont pas été faciles pour nous tous, Luna. Ces derniers mois, même. Mais c'est terminé, à présent, et je me disais que.... Enfin, que c'était le moment pour m'excuser. Je me suis conduit comme un sale con, je le sais, et je regrette ce que j'ai dit. Je n'ai pas été là quand tu avais besoin de moi après la mort d'Allan. Je m'en veux pour ça. Je sais que tu as souffert plus que n'importe qui, mais... Quand on est arrivés à la base Revenant, tu étais tellement distante, tellement dure... Je me suis laissé gagner par la jalousie parce que je savais que c'était sa mort qui te détruisait et ça m'a rendu fou. Il t'aimait. Il t'aimait comme moi je t'aime. J'ai cru que toi aussi, tu l'aimais comme ça. Luna, je respectais Allan, c'était quelqu'un de bien et il était mon ami. Je te demande pardon d'avoir douté de toi et de l'avoir insulté.
Samuel marqua une pause et j'entendis qu'il s'adossait à la porte. Gaspard me fixait, impassible, même si je le sentais bouillir. Je lui rendis son regard, lèvres serrées.
- Je t'aime, Luna. Je t'ai toujours aimée. Je me suis séparé de Nacera parce que je tombais amoureux de toi. Je n'ai jamais éprouvé ça pour personne, avant. Pas comme ça, pas aussi fort. Je ne sais pas si on peut vraiment passer à autre chose quand on a connu l'amour de l'Ange Noir... Les autres femmes semblent tellement...ordinaires...
Le GEN blond eut un petit rire qui fit rouler les yeux de Gaspard vers le ciel. Il mima un vomissement, excédé, puis un sourire moqueur lui barra le visage.
- Je t'aime, reprit plus fermement Samuel, et je veux être avec toi. Si je suis là, c'est parce que je pense que toi aussi, tu m'aimes encore, et qu'on peut à nouveau être ensemble, comme avant. La guerre est finie, nous sommes libres, Luna. On peut aller où tu veux, sans plus jamais dépendre de personne, loin de tout ça.
Il se racla la gorge et bougea encore.
- Viens avec moi, mon amour. Nous ne sommes pas comme les humains. La paix est possible, oui, mais on ne peut espérer construire nos vies avec eux. Regarde Nacera et son soldat. Quand ils auront cinquante ans, elle aura toujours l'air d'en avoir vingt. Il va vieillir, tomber malade. Moi, je ne veux pas de ça. Je veux vivre toutes les années de ma vie de GEN avec quelqu'un comme moi. Ils sont mortels, Luna, tous autant qu'ils sont. Penses-y.
La fin du discours de Samuel laissait penser qu'il savait qui était avec moi. J'agrippais Gaspard d'une main de fer pour l'empêcher de bouger, j'avais ralenti mon rythme cardiaque au minimum et demeurais en apnée. Samuel piétina un instant, hésitant, puis lâcha :
- Si tu veux toujours de moi, tu sais où me trouver. Souviens-toi que je t'aimerai toujours.
Ses pas s'éloignèrent dans le couloir. Un léger raclement m'indiqua que le chien s'était réinstallé sur son pas de porte, et ce fut le silence. Le cœur battant contre mes côtes, je plongeai dans les iris aux reflets de braise de Gaspard.
Je détaillai lentement son visage, l'arc de sa mâchoire, la coupe de ses pommettes, la forme de sa bouche. Je baissai les yeux sur la cicatrice qui sortait de son col, et, comme s'il comprenait, Gaspard recula d'un pas et retira le t-shirt, exposant le hâle de sa peau, la puissance de ses épaules et de son torse, la ligne de poils noirs partant de ses pectoraux et descendant jusqu'à disparaître sous la ceinture du pantalon.
Samuel avait raison. Tout en Gaspard me hurlait qu'il était tout sauf GEN. Depuis les cicatrices qui couturaient sa chair, jusqu'aux ridules au coin de ses yeux en passant par la moiteur de sa peau dans l'humidité de la salle de bain, et l'éclat de ses yeux lorsqu'il me contemplait. Chacune de ses inspirations lourdes, chargées d'un désir qu'il ne tentait pas de masquer, me rappelait qu'il n'était pas comme moi. Il était tout ce que je n'étais plus. Mortel, vulnérable. Humain. Ma gorge se noua.
- Allan disait qu'on a toujours le choix. Que quoi que l'on fasse et même si l'on croit qu'on ne peut faire autrement, il y a toujours une autre voie. Qu'il suffit de l'emprunter.
- Alors, choisis, Luna, murmura Gaspard.
Je souris et sentis la tristesse m'envahir en songeant à Allan. Je m'approchai jusqu'à ce que mes lèvres frôlent son oreille.
- Il se trompait pour une chose, répondis-je tout bas. L'amour, ça ne se choisit pas.
Je l'embrassai, lentement, ma langue effleurant à peine la sienne, les mains sur ses hanches. Les lèvres de Gaspard souriaient sous les miennes.
- Viens, soufflai-je.
Je l'entraînai avec moi dans la chambre, toute patience envolée. Je ne voulais pas attendre, je ne voulais que lui et moi, lui en moi, et plus de coups à la porte. Gaspard me prit contre lui mais je me défis de son étreinte et le repoussai jusqu'au lit. Il s'assit et je grimpai sur ses genoux, débouclant son jean. Il inspira dans mon cou, me délestant de ma chemise, ses paumes chaudes éveillant des frissons sur mes bras et mon dos. Nos bouches se joignirent encore, moins sages, plus avides de l'autre. Me cambrant en arrière pour que Gaspard défasse mon soutien-gorge, je perçus dans ses yeux brillants une envie qui était aussi la mienne, irrépressible. J'appuyai sur ses épaules pour l'allonger, mais il crocheta mes jambes avec les siennes et me retourna sur le matelas, sous lui. M'embrassant depuis le cou jusqu'au ventre, il murmura « je t'aime ».
- Enlève ton pantalon, chuchotai-je.
Ma réponse des plus romantiques le fit éclater de rire et il s'exécuta, envoyant ses vêtements rejoindre les miens. Gaspard s'inclina sur moi, ses doigts le long de mes cuisses m'arrachant un gémissement et je l'attirai tout près savourant son poids sur moi, la chaleur irradiant dans mon ventre, brûlante. Ses lèvres dessinèrent le contour de mes cicatrices, me faisant frissonner. Lorsqu'il revint m'embrasser, j'enfouis ma main mutilée dans ses cheveux, l'autre caressant sa nuque, et enroulai mes jambes autour de sa taille. Nos corps se mêlèrent pour ne faire plus qu'un, le rythme de ses hanches accordé au mien. Gaspard gronda contre ma bouche, sa respiration aussi heurtée que la mienne, appliqua sa paume au bas de mon dos et me souleva les reins, se voulant plus encore en moi. Je rejetai la tête en arrière, le dos arqué, étourdie de sensations déjà éprouvées, mais jamais si intenses. J'avais perdu le contrôle, abandonnée à Gaspard.
Libre.
***
La fraîcheur de l'air réveilla Gaspard qui se laissa rouler sur le ventre avec un grognement. Il tâta les draps froissés, encore tièdes près de lui, et ne put s'empêcher de sourire bêtement. Il souleva les paupières, dans la pénombre de la chambre, pour distinguer la silhouette de Luna, accoudée au balcon, fenêtre grande ouverte, et se demanda s'il n'allait pas finir par rester coincé avec cette expression béate sur le visage, incapable de s'en débarrasser.
Il lui était déjà arrivé de se retrouver seul, le matin venu, la fille avec qui il avait passé la nuit envolée, sans un mot, mais il s'en fichait. Il était un Revenant, les histoires d'un soir lui convenaient, il n'avait pas de place pour autre chose. Là, c'était différent. Il aurait été capable de courir à la recherche de Luna si elle n'avait plus été avec lui, tout nu dans l'hôtel, et tant pis pour le ridicule.
Sans changer de position, il la détailla. Elle lui tournait le dos, ses cheveux longs agités par le vent, tout juste vêtue d'une culotte et du t-shirt qu'elle lui avait dérobé. Elle était belle, ça, ce n'était pas nouveau – comment ne pas remarquer une femme comme Luna Deveille ? Mais il pouvait désormais la regarder comme un homme qui aime une femme, et pas seulement comme son équipier, sans passer pour le pervers de service. Gaspard était en train de songer qu'il aurait pu rester ainsi des heures mais son estomac choisit cet instant pour se manifester bruyamment. Il entendit Luna rire et pouffa lui-même dans l'oreiller tout en s'étirant longuement.
- Vous avez l'art du réveil sexy, soldat Olbec, le taquina la jeune femme en pivotant vers lui.
Gaspard bascula ses jambes dans le vide et s'assit au bord du lit, tout en cherchant l'interrupteur de la lampe de chevet. Il se rappela alors que l'électricité avait été coupée en pleine nuit – certainement à cause des dégâts sur la capitale – mais ils étaient alors trop occupés à tester le tapis à longs poils au pied du lit pour y accorder la moindre importance. L'aube devait être proche, et la lune située juste en face, dans le ciel, éclairait la pièce d'une faible lumière blanche, juste suffisante pour qu'il voie le contour du mobilier et une partie du visage de Luna.
- Tu peux parler, répliqua-t-il en partant à la recherche de son caleçon. Tu crois peut-être que je ne t'ai pas entendue dévaliser le frigo à quatre heures du matin ?
Il enfila ses sous-vêtements et fit semblant de mettre la chemise de la GEN tout comme elle avait mis son t-shirt, la faisant éclater de rire. Gaspard ne l'avait jamais vu ainsi. Elle paraissait plus jeune avec une joie qui atteignait ses yeux, comme la jeune femme d'une vingtaine d'années qu'elle était censée être. Il la rejoignit, torse nu, et la prit par les hanches.
- Ça ne compte pas, s'amusa Luna. Je ne voulais pas laisser perdre les sandwich poulet-mayonnaise avec le frigo hors tension.
- Ben voyons.
- Et puis, à quatre heures du matin, tu ronflais la bouche ouverte.
Gaspard eut une moue peu convaincue tandis que les mains de Luna se promenaient le long de l'élastique de son caleçon :
- Tu es sûre ? Je me souviens d'autre chose juste après ça...
Il goûta ses lèvres, sa faim envolée et Luna lui caressa le dos de sa main abîmée. Le contact de ses doigts l'électrisait.
- Je t'aime, murmura-t-il au creux de son oreille.
Il la sentit sourire alors qu'elle lui mordillait le cou et la serra plus fort contre lui. Elle s'écarta légèrement de lui et il la dévisagea.
- Qu'est-ce que tu regardes comme ça, Olbec ? dit-elle d'un ton lourd de sous-entendus.
- Ce qui m'appartiens.
Luna lui asséna une claque sur le torse et eut une grimace faussement horrifiée.
- J'ose espérer que tu parles de ton t-shirt.
- De quoi d'autre, voyons ?
L'hilarité les reprit, et Luna finit par se retourner entre ses bras pour caler son dos contre son torse et contempler la ville devant eux. Elle pouvait voir bien plus loin que lui, mais, le nez dans ses cheveux, Gaspard se contenta de savourer ce silence total, yeux clos.
- Luna ?
- Ouais ?
- Et maintenant ?
La GEN ne répondit pas tout de suite, même si elle savait certainement exactement quoi dire.
- Ce n'est pas fini, articula-t-elle enfin. Pas tout à fait. L'agitation ne retombera pas de sitôt. Il va y avoir des hommages nationaux, des décisions à prendre pour l'avenir des GEN au milieu des Hommes. Je pensais rester encore dans le coin, Gaspard. La fin d'une guerre ne signifie pas la paix.
- D'autres vont disparaître. Tu le sais, ça.
- Comme Sam ? Oui, et c'est leur droit. Amanda aussi, à la recherche de ses fils. Grand bien leur fasse.
Luna haussa les épaules et poursuivit :
- A quoi bon tout cela, si c'est pour fuir ensuite ? Notre ennemi est tombé, mais il me reste des choses à faire ici. Si tu es d'accord.
- Je le suis.
Il n'ajouta rien de plus, considérant que tout était dit. Il s'était douté des projets de Luna. Il la voyait mal prendre un aller simple pour les Bahamas et siroter des cocktails pendant que se discutaient les conditions de paix. Et quoiqu'un petit séjour au soleil l'aurait ravi, il n'avait pas lui non plus l'intention de se sauver au moment crucial, pas avec les années sacrifiées à la rébellion.
- Après, on prendra des vacances, précisa-t-il. Au moins six mois !
- Où tu voudras, opina la jeune femme. Je suis pleine aux as, mon cher.
Gaspard la lâcha comme s'il était choqué :
- C'est une blague ? Tu aurais dû être une vieille moche sur le point de mourir pour que j'hérite de tout ! Bon sang, je n'aurais pas pu plus mal tomber !
- Goujat.
Luna l'attrapa subitement par le bras puis le repoussa brutalement vers la chambre.
- Va manger. Et plus vite que ça.
Le Revenant se frotta les côtes comme si elle l'avait blessé et fronça les sourcils :
- Pourquoi ?
La GEN passa devant lui avec une lenteur calculée, le frôlant juste assez pour faire hérisser les poils de ses bras et lui décocha une œillade en coin.
- Parce que vous êtes attendu sous la douche, soldat Olbec.
Gaspard sourit jusqu'aux oreilles.
- A vos ordres, commandante Deveille.
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