Chapitre 7
Hermann parvint à rester silencieux durant à peine dix kilomètres avant de se faire un devoir de meubler le silence qui régnait dans l'habitacle. Gaspard et moi étions concentrés sur la route, ainsi que sur les rétroviseurs pour nous assurer que nous n'étions pas suivis. Or, ce n'était pas le cas, ce qui m'amena à penser que les documents du disque ne valaient peut-être pas tout le mal que nous nous étions donné. Alors même qu'un de leurs agents avait trahi pour venir avec nous, les sbires d'Irina Malcolm ne prenaient pas la peine de nous pourchasser. Étrange.
Enfin, le raclement de gorge de l'ancien copilote se fit entendre et je réprimai mon envie de lever les yeux au ciel, d'humeur peu bavarde.
- C'est encore loin ? s'enquit-il.
- Suffisamment pour qu'on ne te force pas encore à voyager avec un sac sur la tête, rétorquai-je.
- Qu'est-ce que vous allez me faire, quand on y sera ?
- Tu seras mis en quarantaine et interrogé jusqu'à ce que ta parole réussisse à convaincre quelqu'un ou nous persuade que tu n'es qu'un menteur.
- Ça veut dire que je ne verrai pas Amanda ?
Gaspard ralentit un peu et je me retournai sur mon siège pour regarder derrière nous. Je le vis lutter pour ne pas sourire.
- Dis donc il est coriace, celui-là, ricana-t-il. Je ne sais pas s'il sait se battre mais il fatiguerait un régiment de soldats rien qu'en ouvrant la bouche. C'est quoi ton nom, mec ?
- Ne l'encourage pas, pestai-je en tirant sur ma ceinture. Et non, Hermann, tu n'auras pas le droit de la voir. Tu n'auras d'ailleurs aucun contact avec quiconque jusqu'à ce que ton sort soit scellé. Je t'avais prévenu.
- D'accord, mais est-ce qu'elle va bien ?
- Ferme-la.
Cette fois, mon équipier étouffa un bruit de gorge qui ressemblait fort à un rire. Embarrassé, Hermann se dandina sur son siège alors que nous prenions une sortie d'autoroute menant à des routes de campagnes moins fréquentées. Le disque dur semblait peser une tonne dans ma poche. Il me tardait de découvrir ce qu'il contenait.
- Au fait, Luna, reprit Hermann qui ne possédait apparemment pas la fonction « silence » sur sa télécommande, je suis désolé.
- Pourquoi ?
- Pour Allan.
- Je t'ai dit de te taire.
Un filet de sueur froide coula le long de mon dos et je contractai les mains sur mes genoux à la mention de mon ancien mentor. Mon cœur se mit à cogner si fort dans ma poitrine qu'il aurait pu me fêler des côtes. J'eus toutes les peines du monde à me contenir, mais l'ami d'Amanda n'avait pas l'air très doué pour comprendre quand le moment de ne plus rien dire était venu. Il revint à la charge en se penchant en avant :
- Je sais ce qui lui est arrivé. Il parait qu'on a retrouvé son corps, mais ensuite, avec l'explosion...
Je lui lançai un regard d'avertissement dans le rétroviseur intérieur, ce qui ne l'arrêta pas.
- C'était quelqu'un de bien, il ne méritait pas ça. Bien sûr, il n'est pas le seul à être mort, mais...
- Ferme ta gueule ! aboyai-je.
J'arrachai ma ceinture et plongeai sur lui entre les sièges avant. Mes mains se refermèrent sur sa gorge et je le plaquai contre le siège. Gaspard vit un léger écart sur sa voie mais n'essaya pas d'intervenir.
- Tu ne le connaissais pas, articulai-je, presque collée à la moustache d'Hermann. Je t'interdis de parler d'Allan et de déverser ta condescendance dont je ne veux pas. Rien de tout ça ne te concerne, Mayer, tu m'entends ?
L'autre, le souffle coupé par ma poigne, ne dit rien. Ses yeux larmoyaient et les menottes supprimaient toute possibilité de se défendre. Il fit un effort pour hocher la tête et je me maîtrisai. Si je maintenais mon étreinte, j'allais le tuer.
- Ferme ta sale gueule, ajoutai-je. Tu es l'ami d'Amanda, pas le mien. Si la vie de ceux qui ont tenté de fuir importait tellement à tes yeux, tu nous aurais aidés. Au lieu de quoi tu t'es conduit en lâche. Je ne vais pas l'oublier.
Là-dessus, je le repoussai sur la banquette et regagnai ma place en m'y glissant souplement.
La colère retombait, peu à peu, mais elle surgissait ces derniers temps par accès de rage brûlante. Même quand je paraissais calme, elle était là, couvant sous la surface. La haine de ceux qui m'avaient pris Allan, c'était tout ce qui m'animait, à présent.
Je ne vis pas passer la fin du trajet, occupée à respirer pour recouvrer un semblant de contrôle de moi-même, et Gaspard ne dit pas un mot. Il m'avait déjà vue dans cet état et savait à quoi s'en tenir. Lorsque nous nous arrêtâmes devant le portail de la base, je poussai un soupir de soulagement.
- Je vais le confier aux patrouilleurs, dis-je à Gaspard. Ils se chargeront de lui.
- Je vais garer la voiture. On se voit au petit déjeuner ? Je suis persuadé que Léo ne nous a pas attendus.
J'opinai du chef, bien d'accord avec lui, et sortis de la voiture, tirant Hermann sans cérémonie dans mon sillage. Léo ne plaisantait pas avec la nourriture, ce qui ne surprenait personne étant donné son gabarit.
Deux patrouilleurs venaient déjà à ma rencontre et je jurai dans ma barbe en reconnaissant Tina Truffier. Ancienne soldate de l'Armée ayant trouvé, grâce aux Revenants, un moyen de se libérer de sa puce, elle avait participé à la mort de Tribal dans les catacombes de Paris. Je m'étais fait une raison, elle ne l'avait pas fait exprès mais je n'étais pas plus contente que cela de la voir. Après que je l'eus épargnée, elle avait retrouvé le chemin de la Fourmilière et intégré les rangs de Niels. D'après ce que je savais, on l'avait opérée pour enlever la puce, mais elle avait failli ne pas s'en remettre.
- Commandante, me salua son collègue – un certain Adam.
- J'ai un paquet pour vous, l'informai-je en désignant Hermann. Il prétend vouloir se joindre à nous. Qu'est-ce que vous faites là, soldat ? Vous n'étiez pas de garde cette nuit ?
En effet, je me souvenais avoir vu le soldat Adam lors de ma sortie nocturne. Ce dernier était un humain, et les cernes creusaient ses yeux.
- Si, confirma-t-il, mais l'un des membres de la relève était malade. La gastro, à ce qu'il parait, mais je ne me suis pas approché de lui pour vérifier, commandante.
Je songeai qu'il avait bien raison et répondis d'un sourire. Ici, j'avais conservé mon titre auprès de presque tout le monde, ce qui faisait enrager Madeleine Maturet.
- Occupez-vous de monsieur Mayer, ordonnai-je, et demandez à ce qu'on vous remplace pour la prochaine garde de nuit.
- Bien, commandante.
J'ignorai superbement Tina et le regard interrogateur d'Hermann, et fit volte-face en direction des hangars. Heureusement qu'aucune des jumelles ne m'avait entendu car elles auraient considéré que je dépassai mes attributions de simple membre d'unité d'intervention. Rien ne m'amusait plus que d'embêter Madeleine mais j'aimais bien sa sœur, et mieux valait ne pas pousser le bouchon trop loin.
J'entrai dans le 3, le hangar possédant un accès aux souterrains mais aussi un réfectoire à l'étage. Le bas était un lieu de stockage de matériel encombré, peu lumineux du fait des petites fenêtres floutées situées en hauteur. De gros néons jaunes tentaient de ramener de la clarté là-dedans, sans grand succès. Je passai entre des étagères et me dirigeai vers l'escalier métallique aux marches bruyantes disposé dans l'angle gauche. Je l'empruntai, assez impatiente de m'asseoir et de manger car mon métabolisme de GEN se rappelait à mon bon souvenir en faisant gargouiller mon estomac : puisque je ne dormais pas, j'étais au moins priée de lui fournit le carburant nécessaire pour tenir le choc. Je fis craquer ma nuque et retirai ma veste grise.
La pièce au-dessus était moitié moins grande que le rez-de-chaussée du 3, mais plus agréable, avec des fenêtres de toit, et surtout une bonne odeur de nourriture les trois-quarts de la journée. Il y avait toujours le sol bétonné, les murs en taule, mais également des tables en fer et des chaises dépareillées un peu partout.
- Ah, la voilà, tonna la voix rocailleuse de Léo. J'ai bien cru qu'on allait devoir manger ta part, Luna !
Le géant posté en haut des marches avec le reste de mon unité m'administra une claque dans le dos dès que je posai le pied sur le palier. Je fis mine de souffrir atrocement et allais dire quelque chose lorsque mon bipper émit un petit bruit.
- Ne me dis pas que tu vas devoir sauter le petit déjeuner, grommela Léo.
Je consultai l'objet et secouai négativement la tête.
- Tu ne mangeras pas mes tartines ce matin, le détrompai-je. Niels doit être retenu ailleurs, on ne fera le bilan que dans une demi-heure.
- Parfait. On y va ? Je meurs de faim.
- Tu as tout le temps faim, Léo, fis-je remarquer.
Le demi-GEN éclata d'un rire si énorme que Lynx en sursauta. J'adressai un sourire à ce dernier, puis mon regard passa sur Martial, beaucoup plus discret et mesuré que Léo, et sur Gaspard. Ces quatre-là se connaissaient depuis longtemps et s'entendaient comme cul et chemise. Léo disait même que l'U.I.T était une famille parce que l'on se protégeait les uns des autres.
Mais je n'étais pas certaine d'avoir ma place dans cette famille. Ni même de le vouloir après ce que j'avais perdu.
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