Chapitre 65

Samuel n'avait pas prévu que Luna le repousse, mais il pouvait encore s'en remettre. Qu'elle l'évince ainsi et le relègue à la surveillance inutile de la Tour Eiffel, en revanche... Il comprenait bien qu'il lui était impossible de s'en approcher avec elle, puisque son amie bénéficiait encore de la couverture de l'Ange Noir, mais il pouvait certainement l'aider d'une manière ou d'une autre. Cela dit, seul dans Paris, sans moyen de transport et sans accès à l'endroit où tout allait se jouer, il ne voyait pas comment.

Samuel escalada un mur de gravats en provenance d'un immeuble écroulé. A en juger par la couleur de la pierre et par l'odeur, le bâtiment avait dû brûler mais la pluie avait éteint les flammes. Une fumée épaisse, chargée de poussière alourdissait l'air dans la direction que le GEN suivait. Il se laissa retomber de l'autre côté et s'arrêta, indécis. Se poster en hauteur et couvrir Luna dans la Tour ne fonctionnerait pas, et il était persuadé que la jeune femme le savait. Elle voulait l'éloigner, mais pourquoi ? Le protéger ? Non. Il ne craignait rien quant au sérum qu'Irina comptait répandre dans l'air et était, lui aussi, difficile à tuer, d'autant que l'ennemi ne se trouvait pas ici, mais à l'autre bout de la ville. Alors, ce devait être qu'elle souhaitait le voir faire autre chose. Rejoindre Niels, maintenant que l'unité de Luna était partie, ne rimait à rien, et Samuel ignorait ce qu'il aurait pu apporter à Steve en regagnant le camp avec lui. Mais c'était la seule option sensée qui lui venait à l'esprit, alors...

Samuel parvint à un angle de mur, décidé à contourner la Tour pour aller retrouver Steve Marx, et ralenti légèrement le pas. Une quinte de toux résonna dans la ruelle voisine, accompagnée de voix dont il ne saisit pas les propos. Sourcils froncés, Samuel sortit son revolver et vérifia son chargeur, puis se plaqua contre la paroi. Des Soldats Noirs ? Ici ? Le jeune homme se pencha légèrement pour jeter un coup d'œil, prêt à attaquer s'il identifiait des ennemis. La première chose qu'il remarqua fut la large crevasse qui coupait la rue en deux et le nuage de poussière à travers lequel il aperçut deux silhouettes, l'une – une femme – soutenant l'autre – un homme, qui toussait copieusement. Il comprit instantanées qu'il n'avait pas à faire à des Soldats Noirs et fit un pas en avant. La femme qui avait aidé son compagnon à s'asseoir sur le sol se redressa, laissant apparaitre ses cheveux d'un blond presque blanc, reconnaissable entre mille.

- Madeleine ? lança Samuel sans pour autant baisser son arme. Lieutenant Maturet ?

La GEN pivota vers lui, genoux fléchis pour lui sauter dessus mais se détendit en le reconnaissant.

- Agent Pidet ? Qu'est-ce que vous foutez ici ?

La première surprise passée, Madeleine se reprit.

- Venez m'aider, agent Pidet. Ne restez pas planté là.

Samuel rengaina son arme et obéit, rejoignant la GEN et son compagnon d'infortune – un soldat français au visage couvert de sang qui peinait à se tenir assis.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il.

Madeleine lui jeta un regard en biais et réfléchis avant de répondre :

- Vous étiez parti avant que Niels ne donne ses ordres, tout à l'heure, pas vrai ? Vous avez trouvé Luna Deveille ?

Samuel souleva le soldat à deux doigts de sombrer dans l'inconscience et le tira un peu plus en arrière de peur qu'il ne tombe dans la crevasse. La GEN le suivit, frottant ses joues maculées de terre. Ses mèches claires étaient collées de sueur et de sang, mais elle était indemne.

- Oui, confirma le jeune homme, et elle n'est plus une menace. Elle va tenter de stopper Irina.

- Luna n'est plus sous le contrôle ennemi ?

Au ton de Madeleine, Samuel sut qu'elle ne le croyait pas vraiment, mais après ce que Luna avait fait aux forces Revenantes, cela pouvait se comprendre. Il palpa l'abdomen du blessé et leva les yeux sur la GEN :

- Il a des côtes cassées, mais je ne sais pas si les organes vitaux sont touchés. Pour vous répondre, oui, Luna est de nouveau avec nous, mais ça ne m'explique pas ce que vous fichez ici, lieutenant.

- Niels m'a envoyée récupérer l'armée Russe et la guider dans les souterrains pour prendre nos ennemis par surprise. On était là-dessous quand tout s'est effondré. J'ai sorti celui-là, mais les autres sont encore coincés dans le trou.

- Les Russes ? Je croyais qu'aucun allié n'avait accepté de se joindre à la cause.

Samuel se releva, faisant face à la GEN.

- Marissa Kadi est parvenu à les en convaincre, mais ne soyons pas dupes, ils ont des attentes concernant le sérum et les expérimentations sur le génome humain. Ils voudront avoir accès au programme GENESIS en contrepartie. Enfin, ça, c'était avait qu'ils ne finissent écrasés dans les catacombes.

Samuel haussa les sourcils mais s'abstint de relever la légèreté avec laquelle la GEN s'était prononcée sur le sort des Russes. Il décida que le soldat français n'était pas en danger immédiat – il n'avait en tout cas pas d'unité médicale sous la main – et avisa la crevasse.

- Je vais descendre jeter un œil, lieutenant.

- Je vous assure que c'est inutile, soupira Madeleine. Je pense qu'il n'y a pas de survivant. Tout est allé si vite.

- Vous m'accorderez qu'il ne serait pas très humain de laisser agoniser d'éventuels rescapés sous la surface, répliqua Samuel.

- Nous ne sommes pas humains, cingla Madeleine.

Son charisme se répandit autour d'elle comme une vague de chaleur étouffante et Samuel releva le menton. Si Madeleine pensait l'écraser de sa supériorité, elle se fourrait le doigt dans l'œil. Elle devait oublier qu'il côtoyait Luna Deveille, et que nul ne pouvait égaler l'aura de puissance qui se dégageait d'elle. Sans rien ajouter, le jeune homme lui tourna le dos et s'avança vers le bord.

- Agent Pidet...

Faisant la sourde oreille, Samuel se pencha au-dessus de l'ouverture. Un tunnel sombre s'ouvrait sous lui, juste assez large pour laisser passer un homme un peu large d'épaules. Remonter le soldat français n'avait pas dû être une mince affaire.

- Si vous y tenez vraiment, j'ai une lampe torche, grogna Madeleine qui le suivait finalement. Mais je vous conseille de ne pas trainer. Ça m'a l'air instable.

Samuel agita sa propre lampe sous le nez de la GEN pour lui signifier qu'elle n'avait pas besoin de lui en fournir une et balaya une dernière fois la rue du regard avant de se laisser glisser dans le trou. Il n'eut que le temps de compter jusqu'à cinq avant que ses pieds ne touchent le sol.

- Ça n'est pas très profond, lança-t-il d'une voix forte à l'intention de Madeleine. Je n'en ai pas pour longtemps.

- J'espère bien, agent Pidet.

Le jeune homme promena son faisceau lumineux dans l'espace étriqué qui s'offrait à lui, ne respirant que par petites bouffées. L'air saturé de poussière semblait se changer en boue sur sa langue.

- Que voyez-vous ? le relança Madeleine Maturet.

- De la terre, des pierres. J'avance un peu.

Samuel fit quelques pas en avant. Le boyau lui permettait tout juste de se tenir debout et sa largeur variait selon la manière dont le sol s'était affaissé. Une atmosphère lourde régnait-là, mais il ne voyait pour le moment aucun corps sous les débris. Le GEN sentait le sol vibrer légèrement sous ses pieds, ce qui l'incita à accélérer son inspection. Juste le temps de vérifier s'il ne trouvait pas trace d'un survivant, et...

Le premier mort avait été broyé sous des tonnes de terre et seule sa tête dépassait encore du tas sous lequel il avait été enfoui. Ne distinguant rien de son uniforme, Sam ne put que supposer que l'homme avait été un soldat russe. Il ne chercha pas à le dégager. Yeux clos et teint blafard, le mort était ce qu'il était. Mort. Samuel marcha donc droit devant lui, découvrant les potentiels alliés de Niels un à un, tous écrasés par l'effondrement. L'uniforme kaki marqué du drapeau russe d'une soldate gisant un peu plus loin confirma la version de Madeleine.

- Agent Pidet ? Samuel ? Revenez, vous allez finir par vous prendre cette galerie sur la tête, bon sang !

Les protestations étouffées de Madeleine parvinrent à Samuel qui s'apprêtait à faire demi-tour lorsque des éclats de carrelage blanc fichés dans le sol meuble le firent stopper son geste. Poussé par la curiosité, il orienta sa lampe vers le bas et découvrit que le boyau s'interrompait brusquement pour plonger plus bas, à la verticale. Une faible lumière se diffusait dans cette nouvelle portion de tunnel.

- Attendez, cria-t-il pour être certain que Madeleine l'entende. Je crois que c'est le métro.

- Agent Pidet, ne faites pas ça.

Un bruit sourd accompagna la descente de Madeleine dans la crevasse et ses pas pressés résonnèrent avec un son mat jusqu'à Samuel. Le lieutenant s'était finalement décidé à le rejoindre, mais il ne l'attendit pas. Balançant ses jambes dans le vide, il donna un coup de rein et se laissa tomber cinq mètres plus bas où il atterrit rudement sur une dalle.

L'air était plus frais et plus respirable sur les quais de la station Trocadéro. L'une des voies de métro avait été bouchée par la chute d'une partie du plafond mais le reste sembla relativement intact à Samuel. Il tourna sur lui-même tandis qu'une fine poussière se détachait du carrelage qui recouvrait les murs. Seuls deux soldats russes avaient perdu la vie ici, les autres se trouvait certainement plus loin sous la ville et, Samuel trouva leurs corps sous une énorme poutre qui barrait les voies de tram. Il s'accroupit près du premier dont les yeux ouverts fixaient un point invisible.

- Alors ? jeta aigrement Madeleine qui venait de dévaler la pente.

- Pas de survivants, admit Samuel.

- Je vous l'avais dit. On perd un temps ridicule alors qu'il faudrait rejoindre Albert et aider tout le monde.

Samuel se releva et capta le regard d'oiseau de proie que Madeleine dardait sur lui. Elle paraissait guetter ses faits et gestes, comme dans l'attente – ou dans la crainte de quelque chose. Peut-être redoutait-elle simplement d'entendre craquer le tunnel autour d'eux. Le jeune homme s'agenouilla de nouveau pour abaisser les paupières du mort et sentit la GEN se raidir malgré le masque impassible qui couvrait ses traits. Cillant à peine, il examina le deuxième corps pour ne pas être vu de Madeleine et frotta ses mains sur son pantalon.

- Nous pouvons y aller ? demanda sèchement Madeleine.

- Oui, nous pouvons, sourit Samuel.

Le lieutenant Maturet relâcha visiblement ses épaules et invita Samuel à passer devant elle.

- Mais nous pouvons aussi rester ici, afin que vous puissiez me raconter en détail comment vous avez traversé Paris par les catacombes avant que tous nos alliés se fassent décimer par l'écroulement tout à fait hasardeux de la moitié des souterrains.

- Samuel, je ne vois pas où vous voulez en venir.

Les cheveux clairs de Madeleine luisaient sous le néon encore fonctionnel du métro mais ce dernier choisit cet instant pour se mettre à clignoter, plongeant par intermittence la station Trocadéro dans le noir. Samuel fit un pas vers elle.

- Je vais donc me montrer plus clair, lieutenant Maturet, en vous demandant par quel concours de circonstance le soldat juste à votre gauche s'est-il retrouvé avec une balle dans la tempe.

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