Chapitre 64

Le crâne de Niels heurta durement le sol et sa vue se brouilla. Haletant, il se retourna à plat ventre et rampa au milieu d'une forêt de jambes jusqu'au revolver qu'il avait laissé échapper en tombant. Il allait s'en saisir lorsqu'une main l'empoigna par le col et le releva. Les doigts machinalement crispés sur le poignet de son ennemi, Niels se senti décoller du sol et se retrouva nez à nez avec un Soldat Noir au regard incendiaire.

C'était un homme, grand et svelte, aux cheveux roux clairs et à la peau parsemée de petites tâches dont Niels pouvait voir chaque détail. Ses iris verts piquetés de brun luisaient d'un éclat sombre, malveillant. Sa poigne de fer refermée sur le cou de Niels, le Soldat se mit à serrer.

Jambes pendant dans le vide, Niels se débattit, les yeux roulant dans leurs orbites. Il relâcha sa main gauche et tâtonna le long de son flanc à la recherche du poignard qui s'y trouvait. Ses doigts trouvèrent le manche qu'il tira maladroitement, soldant sa tentative par la chute de l'arme sur le sol de terre.

- Tu es ridicule, articula le Soldat Noir. Et je vais te tuer.

- Pas...aujourd'hui, souffla Niels.

L'autre eut un sourire mauvais et ouvrit la bouche pour se moquer de la réponse de Niels mais n'alla pas plus loin. Un pied s'abattit sur sa nuque et il tomba à genoux sur le sol, lâchant du même coup le Général qui s'écrasa près de lui, à la recherche d'air.

Annabelle Maturet bondit sur le Soldat Noir qu'elle plaqua au sol. Son poing emboutit le nez du roux qui rua sous elle, une veine saillant sur sa tempe. La GEN rejeta ses cheveux clairs en arrière et dégaina son arme sans lui laisser le temps de se dégager et mit rapidement un terme à la situation. Quoi de mieux pour calmer un adversaire récalcitrant que deux balles dans le front ?

- Albert ! Tout va bien ?

La GEN évita un Soldat Noir qui fonçait sur elle et s'accroupit en hâte près du chef Revenant qui ne trouvait pas de réponse appropriée. Annabelle le souleva sous les aisselles pour le tirer plus loin et l'assit contre un arbre.

Autour d'eux, la bataille semblait sans fin. La quasi-totalité des forces du docteur Malcolm les avait attirés ici, dans ce piège, pour les massacrer. L'Armée Noir dépourvue de leur leader – de Luna – avait jailli de derrière les arbres qui lui offrait une protection visuelle contre les pilotes de Niels. Tirer à travers le feuillage sans réelle possibilité de viser, c'était risquer d'abattre ses propres alliés, et Niels avait donné l'ordre d'arrêter, espérant trouver un moyen d'amener les Soldats Noirs à découvert, ou au moins de tenir en attendant l'arrivée des Russes.

Car les Russes allaient venir, oui. Madeleine devait les ramener depuis les catacombes. C'était du moins ce qui était prévu avant que Paris ne se mette à s'effondrer sur elle-même. Niels voyait là une manœuvre ennemie. Qui d'autre qu'Irina, prévenue du plan des nouveaux alliés des Revenants, aurait pu mettre cela au point ? Détruire les sous-sols et s'assurer ainsi que personne ne viendrait à leur aide ?

- Albert, répéta Annabelle. Ça va ?

Une balle siffla près d'eux et se ficha dans un tronc. La GEN souleva Niels qui ne résista pas, sonné. Elle le traîna au milieu des feuilles mortes détrempées et s'arrêta derrière une souche. Niels cligna des yeux, laissant errer son regard dans le Bois.

Castel gisait, mort, la gorge ouverte, à quelques pas de là. La bouche ouverte sur un dernier cri, il s'était écroulé sur le dos, une jambe repliée sous les fesses. Sa main droite ouverte avait abandonné son revolver et reposait sur la poitrine d'un autre mort – un soldat français. Niels voyait des ombres noires entre les arbres et presque plus de vestes marquées du poing fermé des Revenants. L'armée française aussi avait été décimée. Ils allaient être vaincus. A en juger par la ferveur meurtrière des Soldats Noirs, Vince n'avait pas réussi à désactiver les puces – s'il n'avait pas été tout simplement débusqué et tué par l'Armée.

La douleur ramena Albert à sa propre réalité, ajoutée à celle consistant à admettre qu'il avait conduit ses hommes à leur perte. Il posa une main sur sa cuisse en sang et grimaça. La balle avait traversé le muscle et il saignait abondamment. Une autre l'avait atteint au flanc et la blessure le brûlait, mais ce n'était rien comparé au sentiment d'échec qui le taraudait.

- On doit se replier, murmura Niels. Annabelle, il faut se replier. Nous allons tous mourir.

La GEN allait répliquer mais les yeux de son supérieur se révulsèrent et elle comprit qu'il ne l'entendait plus. Elle ne craignait pas vraiment pour sa vie du fait de sa constitution de demi-GEN, mais il avait perdu assez de sang pour que son corps décide de passer en mode veille. Annabelle releva la tête discrètement pour ne pas se faire repérer et chercha la silhouette large de Stone sans la trouver. Le colosse était peut-être tombé, lui aussi. Elle allait se résoudre à laisser Niels seul afin de se lancer de nouveau dans la mêlée et d'ordonner le repli vers les jets mais le vrombissement d'un moteur la stoppa dans son élan. Dégainant son arme de peur qu'un nouveau groupe de Soldats Noirs ne rejoigne la partie, elle ouvrit grand les yeux à la vue du van défoncé qui s'engageait sur le sentier proche. Réenclenchant par précaution un chargeur dans son revolver, la GEN s'assura que Niels ne basculerait pas et rajusta sa position pour tirer. Deux Soldats Noirs se tournaient déjà vers le véhicule dont l'arrière avait été écrasé. Les autres poursuivaient leur traque des Revenants entre les arbres, impitoyables.

Le van stoppa net et la porte passager s'ouvrit pour laisser descendre à toute allure Gaspard Olbec qui se plaça aussitôt à l'avant du véhicule pour viser l'ennemi. Martial, reconnaissable malgré sa métamorphose, l'imita. Au volant se trouvait Nacera et Annabelle sentit un soulagement ridicule l'envahir – comment trois personnes pouvaient-elles constituer un renfort suffisant ?

- Soldat Olbec ! cria-t-elle. Ici !

Gaspard pivota vers elle et s'agenouilla près du pneu avant. Annabelle nota qu'il évitait de trop s'appuyer sur sa cheville. Il lui adressa un signe de tête et toqua à la fenêtre du van pour attirer l'attention de Nacera sur le lieutenant Maturet. La jeune femme redémarra et fit avancer le van que longèrent ses deux acolytes jusqu'à Annabelle. Martial en profita pour bondir par-dessus le capot et frappa sous le menton l'un des deux Soldats proches avant de lui briser la nuque d'un geste. L'autre GEN lui sauta dessus et les deux hommes roulèrent sur le sol, mais Annabelle vit le Revenant reprendre le dessus et détourna les yeux, persuadée qu'il s'en sortirait. Gaspard se laissai déjà tomber près d'elle et d'Albert.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Il est mort ?

- Juste inconscient, l'assura Annabelle. Mais nous avons perdu les trois quarts de nos forces. Irina a gagné.

- Pas encore, répliqua Gaspard. Il nous reste une chance, mais il faut nous regrouper et marcher sur la Tour.

- Comment ça ?

Nacera poussa subitement Gaspard et tendit la main vers Annabelle sous l'œil surpris de son équipier. Un râle d'agonie fusa de derrière le van et Martial réapparut, du sang sur le visage. En dépit de son t-shirt trop petit, il était impressionnant. Annabelle se souvenait bien du jour où elle avait été transformée et du sentiment grisant de puissance qui s'en était suivi. Il faudrait surveiller le Revenant de près.

- Lieutenant, on ne peut pas rester ici, exposa Nacera avec une autorité qu'Annabelle ne lui connaissait pas. Vous avez une solution de repli ?

- Nos jets sont posés non loin d'ici. Près de l'étang.

- Alors soyez prêts à courir.

Gaspard ouvrit la bouche pour protester mais se ravisa. Nacera s'était déjà relevée et fonçait à toutes jambes en direction des derniers Revenants qui se battaient.

- Formez la ligne, rugit-elle en assommant un Soldat de la crosse de son arme. Formez la ligne ! GEN et demi-GEN à l'avant, on se replie !

Le vent de panique qui soufflait sur les rebelles parut se dissiper face à son ordre et ceux qui tenaient encore debout s'empressèrent de rejoindre la GEN pour s'aligner face à l'Armée Noire qui regarda la manœuvre sans intervenir, comme autant de prédateurs observant les techniques de défenses d'une proie. En quelques secondes, les Revenants les plus aptes au combat – pas plus d'une centaine, désormais – formaient un mur protecteur derrière lequel se réfugièrent ceux qui n'avaient plus de munitions ou qui traînaient des blessés, Revenants ou militaires français. Comprenant le plan de Nacera qui consistait à exposer ceux qui avaient le plus de chance de s'en sortir, pour donner aux autres une ouverture, Gaspard souleva Niels :

- Martial, va avec Nacera. Il faut emmener le Général à l'arrière avant que la ligne ne commence à reculer.

Les Soldats Noirs se rassemblèrent, jaugeant leurs ennemis et leur curieuse prise de position. La plupart n'avait plus d'armes, mais cela ne désavantageait pas pour autant les GEN. Ils aimaient plus que tout le combat au contact et le fait de tuer à mains nues.

Annabelle vérifia son arme et suivit Gaspard qui se faufilait, Niels dans les bras, derrière le van puis contournait la ligne alliée. Les Soldats Noirs n'attaquaient toujours pas, leurs visages barrés de sourires moqueurs.

- Soyez prêts, intima Gaspard à tous ceux qui se trouvaient derrière la rangée protectrice de Revenants.

Il lorgna les jets au nombre de deux posés derrière lui, à quelques centaines de mètres et se demanda si sa cheville allait tenir le coup. Annabelle s'était glissée dans la ligne et il ne pouvait décemment pas demander à quelqu'un d'autre de porter Niels – lequel pesait, soit dit en passant, plus lourd qu'un âne mort. Gaspard inspira et resserra sa prise sur le Général. Blanc comme un linge, il respirait mais ne semblait pas au meilleur de sa forme. Il faudrait décider sans lui et aller à la rescousse de Luna sans son aval.

- Maintenant !

L'ordre de Nacera claqua dans l'air comme un coup de fouet et Gaspard s'élança sans un regard en arrière, talonné par chaque soldat encore en capacité de courir. Après quelques mètres sur sa cheville traversée de douleur à chaque pas, il osa tourner la tête pour voir les Soldats Noirs se jeter sur la ligne de rebelles. A chaque combattant qui tombait, leurs rangs se resserraient pour ne laisser passer aucun ennemi et donner ainsi la possibilité aux autres d'atteindre les jets. Lorsqu'Annabelle, reçut une balle et mit un genou à terre, Gaspard décida de ne plus regarder et força l'allure.

Il atteignit le premier le plan incliné de l'un des deux appareils et força l'ouverture de la porte. Le dos ruisselant de sueur, il s'autorisa à déposer Niels sur le sol. Deux Soldats Noirs avaient passé la ligne et fonçaient vers eux. Gaspard dégaina son arme, les mains moites, mais ne put tirer avant que l'un des GEN ne se retrouve à la hauteur des traînards qui fuyaient en queue de peloton. L'un d'entre eux, brutalement empoigné au col, fit un vol plané avant de s'affaisser à quelques pas de là pour ne plus se relever. Gaspard stabilisa son arme et pressa la détente, interrompant en pleine foulée le GEN qui roula dans les feuilles mais se redressa aussitôt., hargneux.

Le plan incliné toucha enfin le sol, au grand soulagement de Gaspard.

- Mettez-vous à l'abri, brailla-t-il. Vite !

Il se pencha en hâte et traîna Niels par les bras jusqu'à l'intérieur du jet, puis fit demi-tour et dévala la pente pour ressortir, bousculé par ceux qui y pénétraient en haletant. Du sang gouttait sur la rampe.

Le jet voisin se mit à ronfler en même temps qu'un souffle d'air chaud s'échappait de ses moteurs, et soudain, les Soldats Noirs brisèrent la maigre ligne de défense organisée par Nacera et se ruèrent en avant. Gaspard leva son arme, décidé à couvrir ceux qui pouvaient encore atteindre les appareils avant qu'il ne soit trop tard, et entendis le moteur de son propre jet se mettre en marche. Sans attendre, le Revenant tira dans le tas.

- Gaspard, fais décoller ce putain de jet ! hurla Nacera.

Fauchée en pleine phrase, la jeune femme s'affala de tout son long et se releva si vite qu'elle parut floue aux yeux de Gaspard. Elle repoussa le Soldat qui plongeait sur elle, le frappa au visage et sortit un poignard long et effilé qu'elle lui planta dans la poitrine à l'emplacement du cœur avant de reprendre sa course. Une frénésie sans nom avait gagné les rangs ennemis et il ne se passerait pas longtemps avant qu'ils ne soient aux portes des jets.

- Allez-y ! aboya Gaspard en agitant la main en direction du pilote de l'autre jet. On vous suit.

Le ronflement de l'appareil se fit plus fort et il se souleva du sol, son pan incliné à peine refermé. Gaspard mit un pied sur la rampe de son propre jet. Nacera et Annabelle étaient proches, mais tous ceux qui tentaient encore de fuir derrière elles n'arriveraient pas à temps.

- Décollez ! jeta sèchement Gaspard. Maintenez-vous à portée de saut.

Son ordre fut relayé à l'intérieur du jet et le pilote – une femme de l'armée française – obtempéra. Le regard rivé sur Nacera qui avalait les derniers mètres, flanquée de Soldats Noirs aux regards déchaînés, Gaspard s'accroupit au bord de l'ouverture.

- Nacera, saute ! cria-t-il. Saute, bordel !

La jeune femme prit son impulsion en même temps qu'Annabelle et bondit en avant. Elle se réceptionna à plat ventre sur la plateforme, en même temps qu'une GEN ennemie qui fut reçue par le pied de Gaspard et bascula hors de l'appareil.

- On dégage ! brailla Gaspard à l'intention de la pilote. Prenez de l'altitude !

Un choc sourd à l'extérieur du jet indiqua à ses occupants qu'un Soldat venait de sauter sur son toit et s'y accrochait comme une moule à son rocher.

- On a un passager clandestin, lança le Revenant. Faites-moi descendre cet oiseau.

- A vos ordres, répliqua la pilote d'une voix forte.

L'appareil fit une embardée et un soupir de soulagement se diffusa dans l'habitacle lorsque le GEN inopportun passa devant le hublot et disparut dans le vide.

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