Chapitre 61
Samuel bondit en avant et rattrapa Luna avant qu'elle ne touche le sol.
- Putain, qu'est-ce qui se passe ? Luna, tu m'entends ? Luna ?
Les yeux révulsés, la jeune femme pesait comme un poids mort dans ses bras et ses lèvres remuaient faiblement.
- Qu'est-ce qu'elle a ? s'enquit Nacera. Une rechute ?
- Une rechute de quoi ?
- L'Ange Noir pourrait revenir, traduisit Steve.
Un gémissement échappa à Lynx, attirant l'attention sur l'informaticien parcourus de spasmes. Il était déjà inconscient lorsque Samuel et les autres l'avaient tiré de son van, et les angles improbables formés par ses membres laissaient présager des fractures de mauvais augure.
- Impossible, répliqua catégoriquement Gaspard qui restait, les bras ballants, près de son ami. Elle n'a plus la puce.
- Mais, si..., insista Steve.
- La ferme.
Luna s'agita, le visage crispé et un tic nerveux agita sa bouche.
- L'urgence, c'est Lynx, coupa brusquement Martial. Quoi qu'il soit en train d'arriver à Luna, elle ne me semble pas être sur le point de mourir.
Nacera opina du chef et désigna son oreillette :
- Je ne parviens pas à joindre Niels. Personne ne répond. Je ne sais pas ce qui se passe mais ça ne m'inspire rien de bon.
Elle s'accroupit à son tour près de Lynx et palpa doucement son torse. Un sifflement rauque s'échappait de la gorge de l'informaticien et une bulle rose se formait au coin de ses lèvres. Les poumons devaient être touchés, peut-être même perforés par une côte brisée.
- Je suis désolée, dit-elle, mais sans soin, je ne crois pas qu'il survi...
Les paupières de Lynx se soulevèrent subitement et il lui saisit le poignet d'un geste compulsif.
- Aidez-moi... Par pitié...
Détournant les yeux de Luna qui murmurait toute seule, veillée par Samuel, les yeux roulant dans leurs orbites, Gaspard se pencha sur Lynx.
- Lynx ? C'est moi, Gaspard. Tout va bien, mec, on est avec toi.
- Luna..., haleta l'autre. Luna...
Blême, Lynx laissa retomber sa tête et regarda dans la direction de la GEN inconsciente. Une peur sans nom flamba au fond de ses yeux. Il tenta de bouger les jambes comme pour fuir mais celles-ci ne répondirent pas et une quinte de toux lui fit cracher du sang.
- Calme-toi, ordonna Gaspard, tu n'as rien à craindre. Luna est avec nous. Elle est redevenue elle-même.
Une pointe de désespoir perça dans la voix du Revenant qui voyait son ami se décolorer à vue d'œil. Il ne saignait pas plus que cela compte tenu de ses blessures mais les dégâts internes pouvaient faire bien plus de mal qu'une plaie. Il avala sa salive en espérant que Lynx se calmerait. De la sueur couvrait le font de l'informaticien paniqué.
- Non...Je...Non..., bégaya ce dernier. Ça ne peut pas... Elle m'avait dit...
Une larme roula sur sa joue et ses lunettes s'embuèrent. Impuissant, Gaspard questionna Samuel, puis Martial d'un regard. L'un comme l'autre secoua la tête.
- Je suis désolé...Tellement désolé... Léo...
- Il délire, fit remarquer platement Steve.
- Léo est mort, dit doucement Gaspard. Lynx, regarde-moi, reste avec nous.
Luna tressaillit sur le sol et Samuel la redressa. Elle ne revenait pas à elle, le visage contracté comme par un mauvais rêve. Elle marmonnait de manière incompréhensible.
- Je ne voulais pas, chuchota Lynx, le corps tremblant. Il fallait le faire. Oui, il le fallait.
Une bourrasque de vent s'engouffra sous le porche, charriant une poussière épaisse rappelant l'effondrement récent de la rue voisine. Que se passait-il dans le reste de Paris ?
- Lynx, ne parle pas, lui intima Gaspard. Regarde-moi.
- C'est...C'est un monstre, enchaina son ami. Je ne voulais pas, mais il le fallait. Pour mettre un terme à...tout ça. C'est vrai, Gaspard, hein ? J'ai eu raison ?
Les iris de Lynx se perdirent dans le vague et le Revenant lui pressa la main. Lynx n'aurait pas résisté à un transport. Il ne pouvait rien pour lui. Le cœur plombé, il s'apprêtait à répondre même s'il ne comprenait pas un traître mot de son discours, mais Lynx eut un nouveau sursaut :
- Elle sait. Elle sait, Gaspard. Tu dois me laisser mourir.
De la salive coula sur son menton et il peina à prendre son inspiration.
- Laisse...Laisse-moi...
- Qu'est-ce qu'elle sait, Lynx ? demanda Nacera. Qu'est-ce que tu as eu raison de faire ?
- Pardonnez-moi.
Lynx expira et un voile tomba sur ses yeux à l'instant où Luna ouvrait les siens.
***
Je pris une goulée d'air comme si j'avais échappé de justesse à la noyade et m'assis en papillonnant des paupières. Un silence opaque m'accueillit et j'avisai, dents serrées, Lynx étendu près de Gaspard et Nacera. Mon esprit, désormais aussi clair qu'avant la prise de pouvoir d'Irina sur moi au moyen de la puce, ne laissait aucune doute sur mes souvenirs.
- Il est mort, laissa tomber Gaspard d'un ton douloureux.
- Tu vas bien ? m'interrogea Samuel alors que je me remettais debout.
- On ne peut mieux, lâchai-je. Je me rappelle. De tout.
Je rejoignis les autres. L'informaticien fixait le ciel. Une bouffée de colère s'empara de moi et je me détournai.
- Il a parlé de toi, lança Gaspard.
Je pinçai la bouche.
Lynx était le traître. Entré au service d'Irina un peu avant que Niels ne me fasse sortir de l'Institut avec Amanda et les autres, il n'avait jamais cru en la possibilité d'un avenir commun entre GEN et humains. Il ne voyait en mes semblables que violence et haine, une force incontrôlable qui menaçait sa sécurité, et me haïssait. Guidé par la peur, il avait renseigné Irina sur les agissements de la rébellion, et c'était à lui que je devais ma capture. Je m'étais doutée qu'il avait fallu une personne plus que douée pour avoir suivi ma piste jusque chez Reilly, mais je ne l'avais pas soupçonné. Mais pire que tout, Lynx avait déclenché l'attaque au gaz pendant l'accouchement d'Amanda. Nous avions tous mis son état d'angoisse après ces évènements sur le coup du chagrin de la perte de Léo, mais c'était de la culpabilité plus que toute autre chose. Il nous avait tous dupés.
- Luna ? Tu es sûre que ça va ?
Samuel. Il me dévisageait avec sollicitude. Je réfléchis un instant à ce que j'allais dire, puis pris ma décision. Gaspard saurait, mais pas maintenant. Il ne méritait pas que je lui jette la vérité à la figure devant tout le monde, pas avec le chagrin d'avoir perdu un ami de plus.
- Je suis désolée pour Lynx, dis-je. Mais il faut partir d'ici.
- Tu connais le plan d'Irina ? devina Steve.
- Sa cible est la Tour depuis le départ, exposai-je. On doit retourner là-bas.
- Mais Niels n'y est plus, objecta Nacera. Irina a déplacé le combat vers les quartiers les plus excentrés de la ville.
- Irina va se servir de la Tour Eiffel pour faire décoller un missile, mais on doit l'en empêcher. Elle joue avec Niels, mais ce qu'elle veut, ce n'est pas gagner l'affrontement. Elle compte transformer les humains de tout le pays pour assurer son pouvoir.
Gaspard s'arracha à Lynx et se leva, hésitant. Il semblait sonné et perdu.
- Tu te rappelles d'autre chose ? De combien de temps dispose-t-on ?
- Je ne sais pas.
Mon cerveau repassa en mode action et je retirai à toute vitesse ma veste noire et le t-shirt que je portais en dessous. Je m'en servis pour m'essuyer le visage, ce qui ne réussit certainement qu'à étaler le maquillage noir et le sang jusqu'à mon cou, puis dénouai mes cheveux pour les rattacher en queue de cheval simple.
- Un coup de blush, peut-être ? ricana Steve.
- Elle ne peut pas se porter à la rencontre des Revenants avec la même tête que l'Ange Noir, crétin, bougonna Nacera. Tiens, Luna.
Elle défit le zip de sa veste et me la donna. Je l'enfilai avec un petit sourire, laissant ainsi assez de temps à Gaspard et Martial pour décider par eux-mêmes qu'il fallait bouger et abandonner Lynx.
- Trouvez Niels, ordonnai-je. Je vais à la Tour.
- Toute seule ?
- Je viens, dit aussitôt Gaspard.
L'énergie lui revenait d'un coup, balayant la mort de Lynx. Il pleurerait plus tard, sans doute. C'était un soldat, comme moi.
- Non, tu ne viens pas. Irina Malcolm ne sera pas seule et je refuse que tu te fasses descendre comme un lapin à une partie de chasse. J'y vais. Vous rejoignez Niels et vous fichez le camp d'ici.
- Si le missile explose, tu crois qu'on sera à l'abri en dehors de Paris ?
La question de Martial n'en était pas une. Il était persuadé du contraire.
- Moi, je t'accompagne, intervint Samuel.
- Moi aussi, répéta Gaspard.
Mon charisme déborda autour de moi sans que je ne le retienne. Mon équipier me défiait clairement du regard, mais il n'était pas question que je le laisse faire. Nous fûmes interrompus par un craquement sourd depuis les entrailles de la Terre et le goudron se fendit entre mes pieds.
- Ça, ce n'est pas dans le plan de l'Armée Noire, les prévins-je. Soit c'est la fin du monde, soit il y a un autre camp dans la partie.
- Luna, embraya Gaspard, je...
- Il faut sauver les autres, Gaspard, s'interposa Nacera. Si tout le monde subit la mutation, ce sera un carnage.
- Toi, Nacera et Martial, vous êtes mon unité. Je vous demande de trouver un véhicule et de rejoindre Niels où qu'il soit. Éloignez-vous du centre-ville et barricadez les humains à l'intérieur des bâtiments abandonnés en obstruant les entrées d'air. Que l'alerte soit donnée dans le pays si Niels a encore un moyen de contacter le président.
Les yeux couleur de braise de Gaspard étincelèrent et la colère y brilla. J'affrontai son regard sans ciller.
- Reste en vie.
Cette simple phrase, prononcée d'un ton neutre, fit s'envoler toute défiance dans l'attitude de Gaspard qui s'adoucit instantanément. Il n'ajouta rien, hocha doucement la tête et se détourna. Il comprenait. Je le vis s'agenouiller près de Lynx, lui fermer les yeux puis se relever, plus déterminé qu'auparavant. Martial l'imita, le visage fermé. Un mort parmi tant d'autres autour de nous...
- Venez, les mecs, dit-il. Apparemment, on n'est pas près d'aller se coucher, je vous le dis !
Martial tira Gaspard par le bras et l'entraîna vers la sortie du porche. Le sol vibrait légèrement et quelque chose grondait encore, comme le roulement du tonnerre. Sans plus de commentaires, Nacera me fit un signe de tête. Je pouvais compter sur elle, à l'instar des deux autres.
D'un geste souple, je me hissai sur le toit du porche et portai mon regard au loin, vers la Tour Eiffel. Steve grimpa à ma suite et Samuel l'imita. J'avais de toute évidence trouvé mes deux nouveaux équipiers.
- Hé, Sammy ? cria Gaspard, encore à l'entrée du porche.
- Ouais ?
- Si elle ne revient pas, je me fais une descente de lit avec la peau de ton cul.
- Tout en finesse, Olbec, soupirai-je. Tu devrais écrire des poèmes.
Gaspard sourit jusqu'aux oreilles et s'élança derrière Nacera.
Concentrée sur mon objectif, je détaillai la Dame de Fer. A son sommet se trouvait déjà Irina.
Je le sentais.
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