Chapitre 60


Le bureau d'Irina. Le cliquetis de ses talons sur le sol tandis qu'elle me frôle. Elle porte une jupe crayon en cuir, un pull blanc en mailles fines et plie sa blouse blanche qu'elle laisse tomber sur le fauteuil, au centre de la pièce.

- Gardez la porte, commandante Deveille.

- La pièce est sécurisée à 100%, directrice Malcolm, grésille N.I.A.

- Prudence est mère de sûreté. Tu peux être piratée, N.I.A, alors que je suis la seule à contrôler notre amie Luna.

Aucune réponse de l'intelligence artificielle. Irina sourit, se rapproche d'un petit guéridon où repose une cafetière et remplit en sifflotant le réservoir. La fontaine de Marx n'est plus là.

- Comme cela doit être frustrant, ma petite Luna. Servir de plante verte à quelqu'un que tu détestes. Mais rassure-toi, ça ne va pas durer.

Elle me tourne le dos et verse son café dans une petite tasse rouge. Je la regarde sans rien éprouver.

- L'Ange Noir est en train de prendre le dessus, ajoute-t-elle. La part du monstre à l'intérieur de toi est plus forte que l'autre. Allan espérait peut-être te faire croire le contraire, mais tu verras à quel point j'ai raison. Tu vas enfin devenir toi-même. Tu as tué Ismaël, et tu tueras encore pour moi.


***


Une petite cellule fermée par des barreaux. Je suis assise sur une couchette. Je baisse les yeux sur mes mains. A l'une, cinq doigts. A l'autre, trois.

Je lève la main mutilée à hauteur de mon visage. Je n'éprouve rien.


***


Le bureau d'Irina. Le froissement de sa jupe lorsqu'elle se déplace. Un pli de colère barre son front.

- Je regrette que nous en soyons arrivées là, Luna. Tu ne me croiras sans doute pas, mais j'aurais aimé que cela n'arrive jamais.

Elle s'assoie brutalement sur le lourd fauteuil de cuir, devant son ordinateur.

- Nous aurions pu accomplir tant de choses, ensemble, reprend-elle. Je l'ai vu dès que je t'ai rencontrée. Tu avais un tel potentiel... Tu m'as rappelé Achille avant que la mutation ne le rende fou. Et Marx a tout gâché !


***


Un laboratoire comme celui de l'Institut Bollart. Je suis Irina qui s'arrête au milieu de la pièce. Un énorme trépied supporte un objet long au boit pointu. Un missile.

- Tout est prêt, madame.

Un GEN que je ne connais pas. Il remplace Girond et Ismaël, morts tous les deux.

- Avez-vous programmé le détonateur ainsi que je vous l'avais demandé ?

- Oui, madame. Vous serez en possession du déclencheur principal, et le second se trouvera dans un jet en vole stationnaire près de la Tour.

- Je choisirai moi-même le pilote. Ce missile doit décoller au moment opportun, quoi qu'il nous en coûte.


***


- Il t'a laissé la bride sur le cou et s'est fait doubler par ce traître d'Allan !

Irina tape du poing sur la table, agacée.

- Si je m'étais occupée de ta formation moi-même, tu serais devenue mon alliée la plus précieuse, Luna. Ce monde ne demande qu'à être rebâti sur les cendres des humains. Ils détruisent tout, assèchent la planète et sont suffisamment stupides pour ne pas se rendre compte qu'ils courent à leur perte. Ils doivent passer la main, Luna. Nous sommes plus évolués qu'eux, c'est notre droit de les dominer !

La doctoresse se lève et me fixe. Ses cheveux lissent tombent en cascade autour de son visage.

- Tu accompliras la tâche pour laquelle tu as été conçue, Luna. Mais tu ne verras pas la nouvelle ère des GEN voir le jour. Tu seras morte avant. C'est tellement dommage.


***


- Le missile est d'ores et déjà chargé, madame.

- Quelle quantité de sérum ?

- Une cinquantaine de litres concentrés. Combiné au gaz, le sérum se dispersera dans l'air dès l'explosion du missile. J'ai estimé la distance de propagation jusqu'à Marseille, et comme nous serons au Nord de la France, l'Angleterre devrait être touchée, mais j'ignore dans quelle proportion à cause de la Manche.

- Excellent. Nous allons gagner cette bataille, puis la guerre. Ce n'est qu'une question de jours.

Irina rit et caresse doucement la surface du missile.


***


- Tu sais, si Allan n'avait pas jugé bon de tuer ce vieux Marx, je crois que je l'aurais fait moi-même. Il aurait été incapable de nous mener jusqu'ici aujourd'hui. Son temps était révolu.

Irina se rassied avec un petit sourire et allume son ordinateur. Elle pianote sur le clavier puis son regard s'illumine et elle relève la tête.

- Allan aura eu son utilité, finalement. Comme chacun de mes petits pions. Marx croyait encore qu'il pourrait nous servir, mais je n'étais pas d'accord. Heureusement, Victoire m'était plus loyale qu'à lui et elle s'est chargée du boulot. Cette mort, comme toutes les autres, était nécessaire à notre cause.


***


Irina tourne le dos à l'autre GEN pour d'adresser à moi.

- Ils seront bientôt comme nous, commandante. Tous autant qu'ils sont. Ou alors, ils seront morts. Une fois la France devenue GEN, nous conserverons des humains d'autres pays pour poursuivre la reproduction en attendant que je retrouve l'agent Otto pour l'examiner, mais notre priorité est d'asseoir notre pouvoir. Une fois transformés, les humains comprendront et ne s'opposeront plus à nous.

Elle éclate de rire et rejette ses mèches sombres en arrière. Le missile luit doucement sous la lumière jaune du néon.

- Comment le pourraient-ils ? Leurs femmes, leurs enfants, leurs amis, seront des GEN. Et nous aurons gagné.


***


Irina se rencogne dans le fauteuil. La satisfaction barre ses traits après son aveu. Elle a fait tuer Allan.

- N.I.A, mets-moi en communication avec notre ami.

La tête bloquée dans son axe par les ordres de la doctoresse, je ne peux voir l'image qui s'affiche devant elle.

- Bonsoir, directrice Malcolm, prononce une voix masculine.

- Notre dernier appel remonte à plusieurs jours, réplique Irina d'un ton aigre.

- La situation a été quelque peu mouvementée après l'attaque au gaz de la Fourmilière. Il ne fallait pas qu'on me soupçonne.

Son interlocuteur m'est familier mais je ne l'identifie pas.

- Sur ce point, vous vous y entendez pour masquer vos traces, opine Irina, mais nous avons besoin d'informations de façon régulière. Que prépare Niels ?

- Il rassemble troupes et armes mais ses négociations avec de potentiels alliés se passent mal. Aucun pays ne veut fourrer son nez dans nos histoires.

L'homme s'exprime de manière calme, posée.

- Il sera à Paris à temps pour respecter votre ultimatum, ajoute-t-il.

- Fort bien. Nos forces sont prêtes, mon ami, et le plan final également.

- Vous mettrez un terme aux affrontements ? C'était ma condition pour vous aider.

- Vous avez ma parole.

- Je vous recontacterai une fois en position à Paris. Il faudra attirer Niels loin de la Tour.

- Nous avons l'Ange Noir avec nous. Ce sera un jeu d'enfant.

- A ce sujet, croyez-vous qu'il soit bon de la laisser nous écouter. Quoique je n'ai aucun doute sur votre maîtrise de la situation, mais...

- Commandante Deveille ?

Mes muscles obéissent et j'avance. Je découvre l'identité de son interlocuteur mais ne réagit pas.

- Vous voyez ? soupire Irina. Luna n'est plus parmi nous, mon cher. Vous ne craigniez rien. Je contrôle ses gestes comme ses pensées.

L'autre retire ses lunettes et se masse les yeux en hochant la tête.

- Je dois vous laisser, madame la directrice.

La projection bleue s'éteint, faisant disparaître le visage de Lynx. 

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