Chapitre 6
Et merde.
Je stoppai net au beau milieu du couloir, les oreilles soudain bourdonnantes, et appuyai ma paume contre le mur. Mon sang cognait contre mes tempes, brûlant. Je dus déglutir pour ravaler la sensation de rage dévorante qui m'envahissait.
- Luna ?
Mes oreilles se débouchèrent et je m'élançai vers les toilettes.
- Léo, dégage de là. Tu retournes au van et tu y reste. Ils ne t'ont pas vu ?
- Non, je ne crois pas. Ils sont immobilisés à l'angle de la rue.
- Ils doivent faire du repérage pour s'assurer qu'on n'est pas déjà sur place, souffla Gaspard.
- Toi aussi, planque-toi dans la voiture, ordonnai-je.
Parvenue au pied de la fenêtre, je crochetai du bout des doigts le rebord et me hissai jusque dehors, les pieds les premiers. Tout juste retenue aux interstices entre les plaques de verres de la tour, je me penchai dans le vide pour observer. Un petit sourire étira mes lèvres lorsque je les vis. Trois GEN, deux femmes et un homme. Mes proies.
- Que fait-on pour Martial ? m'interrogea Lynx. Léo est avec moi.
- Tant qu'il est à l'intérieur, il ne risque rien. Récupérez-le dès qu'il sort et rentrez à la base. J'ai le disque dur. Gaspard, attends-moi.
- Bien reçu.
J'inspirai un bon coup et écartai les doigts pour me laisser tomber du haut de la tour. Le vent siffla à mes oreilles sous l'effet de la vitesse et je me rattrapai à dix mètres du sol, achevant ma descente d'un saut silencieux sur le bitume en contrebas. La rue était toujours aussi déserte, et après un léger coup d'œil à Gaspard derrière son pare-brise, je m'engageai dans une ruelle attenante.
Il faisait sombre, les lampadaires suffisaient à peine à éclairer le passage mais je n'en avais pas besoin. Je poursuivis mon chemin, les mains dans les poches en calculant mentalement ma trajectoire pour me retrouver derrière les Soldats Noirs. J'allais les prendre par surprise et ils allaient regretter d'être venus. Je glissai une main sur mon arme et serrai les doigts autour.
J'arrivai au bout de la ruelle et me plaquai contre la brique d'une petite maison. J'inclinai la tête et jetai un œil sur le trottoir voisin. Bingo.
Les deux femmes m'étaient inconnues – certainement de nouvelles recrues de l'Armée à la suite des rafles. Brunes toutes les deux, l'une beaucoup plus grande que l'autre, et peut-être même plus que moi, elles étaient vêtues de la tenue noire et souple que j'avais longtemps portée. Elles me tournaient le dos, concentrée sur la tour Incity. A mon avis, elles attendaient un signal, ce qui signifiait donc que d'autres de leurs semblables étaient postés aux alentours du bâtiment. Malheureusement, je n'aurais pas le temps de m'occuper de tout le monde.
Le GEN, quant à lui, se trouvait un peu en retrait, les bras croisés sur son torse. Ses cheveux blonds brillaient faiblement dans la pénombre, et j'aurais mis ma main à couper qu'il était contrarié. Il sursauta presque lorsqu'une voix s'échappa de son oreillette et se tourna vers ses complices.
- C'est bon, lâcha-t-il. On y va.
Je choisis ce moment pour émerger de ma cachette.
- Vous allez rester ici, lançai-je tranquillement. J'ai un meilleur programme pour vois.
L'homme pivota souplement sur ses talons, suivi à l'identique par les deux autres GEN qui dardèrent sur moi un regard froid et vide comme la mort. Des Soldats contrôlés par puce, sans le moindre libre arbitre. C'était bien la première fois que j'en voyais positionnés sur des missions qui incombaient généralement à des agents de terrain. Irina avait dû changer sa politique. Et si l'expression des deux femmes ne changea pas d'un pouce à la vue de mon visage, il n'en fut pas de même pour leur compatriote masculin qui ouvrit la bouche, horrifié.
- Luna Deveille.
- Hermann Mayer. Tu es monté en grade à ce que je vois, constatai-je platement. Les appareils volants, ça ne te tentait plus ?
L'ancien co-pilote d'Amanda, que je n'avais guère vu prendre part aux affrontements lors de l'attaque Revenante à l'Institut, se tenait devant moi, sa moustache douteuse toujours bien en place. Ses paupières tressaillirent et il fit un pas en avant.
- Ce n'est pas ce que tu crois, fit-il.
Non, bien sûr. Il allait me faire gober qu'après être resté du côté d'Irina Malcolm, il était mon allié. S'il cherchait une bonne poire, ce n'était pas en moi qu'il allait la trouver.
Derrière lui, les deux femmes ployèrent le genou, prêtes à me sauter dessus, ce qui ne me perturba pas plus que cela. Je rangeai mon revolver et braquai mon regard sur elles. Les explications d'Hermann devraient attendre parce que j'avais des comptes à régler.
J'expirai l'air par mes narines et bondis.
- Leïla, non ! hurla Hermann à l'intention de la plus grande brune.
Il s'écarta précipitamment de la trajectoire de la GEN qui avait sauté en même temps que moi, juste à temps pour ne pas se faire balayer par nos deux corps. Nous nous heurtâmes avec violence et roulâmes sur le sol.
Je repris immédiatement le dessus. Leïla ne faisait pas le poids, même assistée par sa comparse. Sur le dos, je lui expédiai un coup de poing qui la renvoya en arrière, sortis mon couteau et le plantai à toute allure dans son épaule. Le sang éclaboussa le sol et je plongeai sur la seconde GEN qui chercha à me prendre à la gorge et acheva sa course contre la brique dure du mur voisin. Celle-ci se fendit sur toute la hauteur dans un craquement sec.
Leïla s'était reprise – une petite coupure n'arrêtait pas un Soldat Noire forcé de se battre jusqu'à la mort – et elle se remit en garde devant moi, les yeux fixes. Je la fauchai à hauteur des genoux pour la renverser, abattit le tranchant de mon poignard sur sa gorge où il resta fiché. Appuyée sur elle, j'enfonçai un peu plus la lame jusqu'à sentir les vertèbres de sa nuque. Le souffle de la GEN se fit plus saccadé, elle tenta de se défaire de mon emprise mais elle était clouée au sol. Dans un léger râle, elle s'affaissa lorsque mon arme trancha net les os. Une de moins.
Je me mis debout et me tournai vers la seconde GEN. Son dos avait du sacrément ramasser car elle peinait à se remettre sur ses jambes. Je ne lui en laissai pas le temps et lui collai deux balles dans le crâne. Elle retomba dans sa position initiale, du sang gouttant le long de son nez. Terminé.
- Luna...
Hermann était toujours là. Il n'était pas bête au point de croire que j'allais le laisser fuir. Il leva les mains à hauteur des épaules, les yeux résignés. Il avait beau avoir été l'ami d'Amanda, je n'éprouvais aucun scrupule à l'idée de le tuer. Il était avec l'Institut, c'était tout ce que j'avais besoin.
- Dis-moi si Amanda va bien, haleta-t-il. C'est tout ce que je demande.
- C'est déjà trop, cinglai-je. Je ne t'ai pas autorisé à formuler tes dernières volontés, Mayer.
- S'il te plait. Est-ce qu'elle va bien ?
J'avançai jusqu'à ce que le canon froid de mon revolver touche son front, le bras tendu. Hermann ne broncha pas. Il contracta simplement les mâchoires et demeura immobile.
- En quoi est-ce que ça t'intéresse ? voulus-je savoir. Si tu tenais tant à elle, tu serais venu avec nous.
- Je ne suis pas le seul à avoir hésité. Même des GEN très proches de Marx ont failli s'enfuir avec les Revenants, mais nous avons cru qu'il serait impossible que vous puissiez quitter l'enceinte en vie.
- Donc vous avez eu peur. Heureusement que le programme GENESIS devait produire des surhommes courageux et indestructibles.
Je crus voir la moustache du GEN se relever dans un simulacre de sourire, mais cela ne dura qu'une fraction de seconde. Je ne voyais pas bien où était l'humour dans le fait de se retrouver dans ce genre de situation, aussi tendis-je l'oreille au cas où il serait en train de me tendre un piège. Cependant, je n'entendis rien et me reconcentrai sur Hermann. Il était temps de mettre un terme à cet échange et de rejoindre Gaspard.
- Je veux savoir comment va Amanda, répéta l'autre.
Il écarta doucement les bras et je le vis retirer son oreillette qu'il jeta vers le cadavre de Leïla. Je fronçai les sourcils mais son geste ne voulait dire qu'une chose : quelqu'un, à l'autre bout, avait tout entendu, y compris sa volonté de trahison. Les renforts n'allaient pas tarder à débouler pour nous faire la peau à tous les deux.
- Bien joué, Mayer, ricanai-je, mais je te préviens. Si je t'emmène avec moi tu seras à peine mieux traité que si je laisse les agents du docteur Malcolm te tomber dessus. Tu as intérêt à préparer des arguments convaincants.
- Je suis prêt à courir le risque.
Ma décision prise, je l'empoignai par le coude et l'entraînai avec moi en direction de la tour. Je n'avais pas le temps de lambiner, et de toute façon, si Mayer s'était payé ma tête, Albert Niels le saurait vite et le cantonnerait à l'épluchage des pommes de terre avec Pierre. Dans le cas contraire, Amanda serait contente de le revoir, elle qui ne sortait presque plus de son lit avec la montgolfière qui lui servait de ventre.
Je planquai mon arme dans un repli de ma veste sans lâcher Hermann et traversai en vitesse la rue contournant la tour. Tout était calme et j'ignorais quel avait été le plan de mes ennemis. Ils avaient peut-être déjà deviné que ce qu'ils cherchaient n'était plus à l'intérieur et renoncé à attaquer la tour.
Devant la voiture de Gaspard, j'ouvris la portière et catapultai l'ancien copilote de mon amie à l'arrive. Je m'assis à mon tour, tout en reconnectant mon oreillette.
- Luna, on avait dit jamais le premier soir, protesta Gaspard en louchant sur Hermann d'un air suspicieux. C'est qui ton jules ?
- Un nouveau candidat à la plonge, répliquai-je. Démarre, on se tire d'ici. On ne va pas rester seuls bien longtemps.
Gaspard tourna la clef mais ouvrit la boite à gant avant de se mettre en route. Elle contenait une paire de menottes qu'il jeta à Hermann.
- Enfile-les, ordonna-t-il et accroche toi à la poignée de la porte. Ce sera toujours mieux que rien et si tu essaye de te libérer, tu feras assez de bruit pour que Luna s'occupe de ton cas. Vu ?
- D'accord, grommela Hermann.
- Et mets ta ceinture, je ne veux pas de problèmes avec mon assurance.
J'esquissai un sourire et vérifiai que Mayer obéissait bien. Je portai ensuite la main à mon oreillette.
- Lynx ? C'est Luna. Vous avez récupéré Martial ?
- Affirmatif, on est en route depuis cinq minutes.
- Parfait, on vous suit. On se voit à la base.
Il y eut un sifflement désagréable et la liaison se coupa. J'échangeai un regard avec Gaspard qui pressa l'accélérateur et nous filâmes vers la sortie de Lyon.
J'espérais que les choses n'avaient pas plus mal tourné pour Nacera et son équipe, mais je ne le saurais qu'une fois au quartier général des Revenants.
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