Chapitre 57
J'ouvris les yeux et les refermai, aveuglée par la lumière. Je me redressai et soulevai doucement les paupières. J'étais assise dans l'herbe, une herbe verte et drue, moelleuse. Je me levai lentement.
- Luna ?
La voix ma parvint tout près de moi et je plissai les yeux entre les arbres environnants pour distinguer l'inconnu qui avançait vers moi. Un soleil blanc, piquant, traversait les feuillages, éclairant ce lieu que je ne connaissais pas. Je fis quelques pas en avant. L'homme entra dans la lumière et je sentis mon cœur s'affoler dans ma poitrine.
- Non, murmurai-je, c'est impossible.
- Ah bon ? rit Allan. Dans ce cas, je repars.
- Non !
Les jambes tremblantes, je me jetai dans ses bras avec la peur de ne traverser que du vide. Ce furent cependant bien les mains de mon mentor qui me serrèrent avec force, et la chaleur de son corps qui se diffusa en moi. J'agrippai le dos de sa veste et enfouis le visage dans son cou. Allan, Allan qui était mort, était là.
- Reste, murmurai-je. Ne pars pas.
- Je reste, sourit-il de la voix basse que j'aimais tant. Je ne suis jamais parti, tu sais ?
Je m'écartai légèrement de lui et le dévisageai. Il était parfaitement identique à mon souvenir, depuis sa coupe de cheveux jusqu'à sa barbe en passant par ses yeux de glace qui paraissaient lire en moi. Il sourit avec une douceur et une affection que je connaissais bien et je sentis les larmes couler sur mes joues.
- Ne pleure pas, chuchota Allan en appuyant son front contre le mien.
- Comment est-ce possible ? Comment peux-tu être là ?
Je caressai sa pommette du bout des doigts et mon mentor fronça les sourcils, saisissant ma main. Il effleura l'espace manquant entre mes doigts.
- C'est de toi qu'il s'agit, pas de moi, Luna. Je suis mort, c'est tout ce qu'il y a à dire. Mais toi ? Que fais-tu ici ?
Je baissai les yeux sur ma tenue – un t-shirt bleu clair sur un jean et des bottines noires – et réfléchis un instant. Mes cheveux lâchés sur mes épaules étaient agités d'une brise légère. Ma bouche s'assécha lorsque je commençai à lui dire ce qui était arrivé :
- Irina Malcolm m'a...
- Je sais tout cela, coupa Allan. Je te l'ai dit, je ne suis jamais parti, Luna. Mais pourquoi es-tu ici ?
Il balaya les alentours d'un geste et je me détournai de lui sans lâcher sa main. Le parc arboré était magnifique mais j'ignorais quel était cet endroit.
- Je ne sais pas, soufflai-je.
- Peut-être que tu es comme nous.
Je sursautai car Allan n'avait pas remué les lèvres. Derrière moi, je sentis une seconde présence et Tribal s'encadra dans mon champ de vision, un sourire sur les lèvres dévoilant ses dents blanches sur sa peau noire. Il portait une chemise rouge aux manches retroussées et me prit à son tour dans ses bras.
- Trib ? Comment ça, comme nous ?
- Un cerveau brillant comme le tien devrait vite saisir.
Une femme m'avait répondu et je regardai par-dessus l'épaule de mon ami sans la reconnaître immédiatement. Elle était rousse, d'un joli blond vénitien, avec des yeux magnifiques, mais c'était plus une adolescente qu'une femme. Un baladeur était vissé sur ses oreilles et elle m'adressa un clin d'œil complice.
- Victoire, compris-je. La Victoire humaine. Tu es là, toi aussi.
- Nous le sommes tous, approuva Allan. Tous, Luna.
Mon mentor m'invita à me retourner et je glissai un bras autour de sa taille pour les observer. Guilhem, Marc, Léo, Ismaël se tenaient plus en retrait, au pied d'un gros chêne et ils agitèrent la main vers moi.
- Tous morts, chuchotai-je. Le suis-je aussi ?
- Je ne sais pas, lâcha Tribal avec un haussement d'épaules. Qui t'a tué, Luna ?
Je m'aperçus que le soleil blanc se couchait à toute vitesse, nimbant l'horizon d'orange et de rose. La lumière du crépuscule laissa se dessiner un nouveau groupe de personnes à quelques mètres de nous, et j'avançai en entraînant Allan avec moi, suivie par les autres.
Gaspard me tournait le dos. Samuel se tenait près de lui mais je ne distinguais que son profil, et aussi celui de Nacera. Cette dernière frottait le dos de Martial, un Martial différent ce celui que je connaissais, mais il n'y avait pas de doute possible. Plus loin, Nathan fixait quelque chose d'un regard fermé, encadré par deux inconnus, un homme et une femme humains. Amanda faisait bande à part, ses jumeaux qui marchaient déjà debout à ses côtés.
- Ils ne m'ont pas tuée, déclarai-je. Ils m'ont sauvée.
Je touchai ma nuque où la peau rugueuse sous mes doigts laissait deviner une cicatrice épaisse et étendue. J'avalai ma salive.
- Alors, que regardent-ils ? voulut savoir Allan.
Il posa une main douce sur mon épaule et me poussa un peu en avant. Un bloc de marbre se dessina sous mes yeux, une tombe sur laquelle Gaspard s'agenouilla subitement.
- C'est ton nom, m'informa Victoire qui avait contourné le groupe pour mieux voir. Morte à l'âge de vingt ans... C'est presque un record, pour quelqu'un comme toi, non ? J'ai fait moins bien que ça, moi !
Un rire narquois lui échappa et l'adolescente s'en fut retrouver Marc, notre ancien camarade de lycée. Ce dernier avait conservé son apparence de GEN, même si j'ignorais pourquoi. J'allais poser une nouvelle question à Allan – bien que celui-ci ne m'apportât guère de réponses – mais fus stoppée net par une nouvelle apparition. Un homme replet, en costume impeccable, s'était adossé à un arbre. Il ne s'approcha pas, se contentant de me fixer d'un drôle d'air.
- Marx, grognai-je.
- Un vrai salaud, celui-là, commenta Tribal.
La silhouette du directeur de l'Institut me parut étrangement floue, à tel point que je voyais le tronc à travers. Je me désintéressais de lui pour m'avancer vers le groupe autour de la tombe :
- Gaspard ? Gaspard !
Mon équipier ne réagit pas tout de suite puis tourna la tête dans tous les sens, comme s'il me cherchait. Ses yeux passèrent sur moi sans me voir.
- Il ne m'entend pas, dis-je. Allan, il ne peut pas m'entendre ?
Mon mentor soupira :
- Je ne sais pas. Peut-être que si, mais il ne peut te voir. Et tu ne peux le toucher, ajouta-t-il alors que ma main ne rencontrait rien à l'emplacement de la joue de Gaspard.
Je regardai Allan, qui avait reculé de quelques pas. Je constatai avec horreur que son corps devenait terne et que je distinguais l'herbe dans son dos.
- Allan ? Qu'est-ce que... Attends, de quel côté suis-je ? Morte ou vivante ?
- Je ne sais pas, sourit-il. Mais n'oublie pas, Luna. Je ne suis jamais parti.
Sur ces mots, il disparut. Un vide immense saisit mon cœur et un cri silencieux franchit mes lèvres. Tribal se volatilisa aussi sec et les autres suivirent, Marx le dernier. Gagnée par la panique, je voulus rejoindre Gaspard mais demeurai clouée sur place.
- Gaspard !
Il releva la tête, croisa mon regard et je crus qu'il me voyait enfin. Un éclair de joie passa dans ses iris, fugace.
- Gaspard ? Je...
Sans me laisser le temps de finir, le sol s'ouvrit sous mes pieds et je tombai en hurlant son nom, avalée par le néant.
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