Chapitre 56

Brittany fut brutalement bousculée par une femme qui passa sans s'excuser près d'elle en tirant une énorme valise. Le hall de l'hôtel était empli d'une agitation fiévreuse, des clients courant en tous sens pour récupérer leurs bagages et partir le plus vite possible. La jeune femme les observa quelques secondes tout en berçant Léo sur sa poitrine, puis tourna les yeux vers Nathan qui essayait tant bien que mal d'atteindre le réceptionniste débordé pour rendre la clé de leur chambre. Gagnée par l'agacement, Brittany déplaça son poids sur son pied gauche et jura dans sa barbe. La plupart des clients fuyaient sans même régler leur séjour, valises et enfants sous le bras, dans l'espoir de trouver rapidement un transport. Si Nathan tardait trop, ils se retrouveraient sans moyen de quitter la ville. Au bout de quelques minutes, Nathan se contenta de poser la clé sur le comptoir avec résignation et s'écarta d'une femme qui lui hurlait littéralement dans les oreilles. Il rejoignit sa compagne et l'attira vers la sortie, le dos chargé d'un sac à dos contenant leurs maigres possessions.

- Et maintenant ? questionna l'infirmière.

- On trouve un taxi et on file, répliqua Nathan.

Brittany ouvrit la bouche alors qu'ils descendaient sur le trottoir et se tut aussitôt, giflée par l'air glacé en ce matin d'automne.

La nuit avait été longue, et Nathan et sa compagne avaient fini par faire le même choix que le reste de la ville, à en juger par le monde qui se bousculait sur le trottoir, accablé par les images de Paris qui leur parvenaient. Les informations s'étaient mises à tourner en boucle à partir de dix-huit heures, les caméras ayant été coupées selon les journalistes, mais le bilan était clair : l'armée française allait perdre, malgré ses alliés appelés Revenants, et cette race de mutants assoiffés de sang prendrait le contrôle du pays. Il ne restait qu'à partir, fuir, et loin si possible. Nathan avait hésité à quitter l'hôtel dans la nuit – deux voisins de palier avaient fait ce choix à grand renfort de cri dans leur chambre et étaient partis vers deux heures du matin – puis il avait accepté de laisser les jumeaux dormir. Lorsqu'une petite vieille, juste sous son nez, se fit repousser par les occupants d'un taxi alors qu'il restait de la place, il regretta de n'avoir pas agi plus tôt.

- Je vais voir les horaires de bus, déclara-t-il d'un ton décidé. Fais-moi-signe si tu trouves une voiture.

Brittany opina même si elle ne voyait pas pourquoi les transports en commun auraient continué à circuler, et demeura seule à regarder les fuyards s'agiter. Tous ceux qui possédaient un véhicule le rejoignaient en hâte tandis que les autres bataillaient pour obtenir une place. Une Twingo pleine à craquer s'arrêta près de la vieille femme désemparée et le couple la fit grimper à l'arrière, entre un siège auto et un énorme labrador. La voiture démarra en trombes et disparut à l'angle de la rue.

Brittany allait héler un taxi sans trop d'espoirs lorsque son regard tomba sur le trottoir d'en face. Elle se figea, stupéfaite, croyant reconnaître deux silhouettes immobiles près d'une poubelle. Un pick-up passa devant elle, lui bouchant la vue et elle se mit sur la pointe des pieds pour mieux voir. Sans plus réfléchir, la jeune femme se jeta en avant et traversa la rue sous les klaxons agressifs d'un conducteur de Mercedes, suivie par le cri de Nathan.

- Britt ! Qu'est-ce que tu fous ? Reviens !

Le jeune homme laissa échapper un juron car il venait juste d'arrêter un taxi. Le chauffeur transportait déjà sa femme et son fils mais acceptait de les prendre avec eux au moins sur quelques kilomètres. Lui demandant d'attendre quelques instants, Nathan courut à la suite de Brittany.

- Britt ! Bon sang, qu'est-ce qui te prend, on a un chauffeur, et...

Nathan fronça les sourcils en grimpant sur le trottoir et attrapa la main de Brittany. La jeune femme ne chercha pas à se libérer et lui rendit son regard, étonnée. Deux fillettes leur faisaient face, deux fillettes reconnaissables entre mille.

- Orianne ? Alice ? murmura Nathan.

Les jumelles le fixèrent de leurs yeux trop vieux pour leur visage et hochèrent la tête. Elles donnaient l'impression d'avoir encore grandi en l'espace de quelques jours.

- Vous ne devriez pas être en sécurité, avec les occupants du bus ? les relança le jeune homme.

Nathan portait Théo et rajusta sa position contre lui. L'enfant lui adressa un sourire avant de se caler un peu mieux et de fermer les yeux. Un frisson de malaise parcourut la colonne du jeune homme, gêné par l'expression avide des jumelles.

- On leur a faussé compagnie à une station essence et on vous a cherché, lâcha simplement Alice.

Nathan ne lui demanda pas comment elles avaient pu les trouver, ni comment elles s'étaient procuré la doudoune jaune trop grande d'Orianne et la veste éliminée d'Alice. Brittany le devança :

- Mais pourquoi ? Vous auriez dû partir, regardez ce que font tous ces gens.

- On est venues pour eux.

- Qui ça ?

Brittany suivit le geste d'Alice vers sa poitrine et recula instinctivement. La fillette désignait celui que l'infirmière pouvait à présent appeler son fils.

- Les jumeaux, dit Alice. Ils sont comme nous, donc ils ont besoin de nous.

- Alice, nous nous occupons d'eux, protesta Brittany. Amanda nous les a confiés, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

- Vous êtes des humains. Ce sont des GEN. Nous aussi.

Nathan dévisagea les jumelles. Elles avaient fait des kilomètres pour les garçons ? Cela n'avait aucun sens.

- Brittany et moi allons prendre soin d'eux, assura-t-il. D'accord ?

Orianne, qui ne parlait toujours pas, secoua négativement la tête avec vigueur. Nathan grimaça en regardant son taxi lui filer sous le nez – le chauffeur avait embarqué deux petits vieux chargés de valises. Il avisa un bus qui apparaissait au bout de la rue et sentit l'urgence le gagner :

- Ecoutez, les filles, Brittany et moi, on est responsable des jumeaux. On ne vous les laissera pas, si c'est ce que vous voulez. Il faut qu'on parte, maintenant.

- Nous ne nous en irons pas sans eux, siffla Alice. Ils ont besoin d'une famille qui leur ressemble.

Elle tendit la main pour toucher le pied de Théo, enveloppé dans un pyjama et Nathan se surprit à frapper le poignet de la fillette pour l'éloigner.

- Ça suffit, jeta-t-il. Britt, nous prenons ce bus avec les garçons. Venez avec nous si ça vous chante, mais les jumeaux restent avec nous.

Sa soudaine fermeté laissa Brittany pantoise et elle ne fit aucun commentaire. Elle avait reconnu les jumelles sans mal mais leur présence l'inquiétait un peu. Leur mécontentement était palpable et elles ne lâchaient pas des yeux les deux bébés nichés contre leurs parents adoptifs.

Nathan fit signe au chauffeur qui daigna s'arrêter et fit grimper Brittany devant lui. Après avoir faiblement protesté, invoquant un manque de place pour quatre personne et deux petits, le petit homme au volant les laissa monter et redémarra. Poussant Brittany vers le fond du véhicule où ils se tassèrent sur un même siège, le jeune homme jeta un coup d'œil à Alice et Orianne qui s'étaient installées dans un silence boudeur près de la porte.

- Où est-ce qu'on va ? interrogea sa compagne.

- Vers le Sud. Ces gens veulent tenter de passer la frontière espagnole par la campagne.

- Avec des enfants en bas-âge ? protesta la jeune femme.

- Tu as un meilleur plan ? Il faut partir, et avec ces deux sangsues aux basques, ça risque d'être compliqué.

L'infirmière se dandina sur le siège pour retirer sa veste :

- Elles ne pensent pas à mal. Elles s'identifient aux jumeaux, après ce qu'elles ont subi.

- Ouais, eh bien elles me font flipper. Comment elles nous ont trouvés, d'abord ?

Léo se réveilla en s'étirant et Brittany l'assit sur ses genoux où il se mit à gazouiller gaiement. Sa nouvelle mère sourit, attendrie, et soupira :

- Je ne sais pas.

- Je me méfie d'elles, asséna Nathan.

- Papa poule, ricana la jeune femme.

Elle se cala de son mieux, prête à dormir un peu et Nathan pesta avec un demi-sourire en tournant la tête vers la vitre. Il prit Léo avec lui tandis que Théo émergeait à son tour et baillait. Il décida d'ignorer Orianne qui le fixait désormais avec rancœur.

Bizarrement, se faire appeler « papa » lui avait plu. Peut-être y avait-il un avenir derrière ce mot.

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