Chapitre 50
Emporté par la foule de militaires hurlants, Gaspard eut toutes les peines du monde à stopper sa course et à s'arrêter à l'angle d'un bâtiment. Le souffle court, il chercha ses équipiers des yeux et le trouva à quelques pas de lui, agrippés l'un à l'autre au milieu de la rue tandis que l'armée française fuyait de toute parts.
- Niels ? Niels, vous me recevez ? brailla Gaspard pour couvrir le brouhaha. Niels, quels sont vos ordres ?
Le cœur cognant contre ses côtes, le Revenant regarda une salve de tirs aériens creuser un trou dans le gazon si bien entretenu des Champs de Mars et faire voler de la terre tout autour d'eux. Tentant d'identifier sa position, il repéra une pancarte indiquant le début de la rue du Maréchal Harispe.
- Olbec ? Ici Niels, vous m'entendez ? A toutes les unités, ceci est un ordre ! Déployez-vous dans les rues et empêchez l'ennemi de quitter la zone. Les renforts arrivent depuis le premier arrondissement.
Un crachotement ponctua la fin de la phrase de Niels et Gaspard désactiva son oreillette le temps que Niels transmette les instructions aux autres unités. Aussitôt, il vit les soldats vêtus de gris ralentir l'allure et se rassembler dans la rue alors que les militaires se sauvaient encore. Rejoignant d'un bond Nacera et Martial, Gaspard se retrouva obligé d'écarter de son chemin le colonel Capeyti qui suivait avec courage ses hommes hors du lieu du combat.
- Gaspard ? Qu'est-ce qu'on fait ?
- On les retient. Ordre de Niels.
Dégainant son arme, le Revenant pivota vers l'attroupement sombre qui occupait désormais seul l'étendue herbeuse aux pieds de la Tour Eiffel. Il distingua nettement la silhouette de Luna, mais celle-ci leur tournait le dos, s'intéressant à d'autre adversaires, ce que Gaspard jugea tant mieux. Se retrouver face à elle était sa hantise.
- Prêts, les gars ? interrogea-t-il.
Un Soldat Noir se jeta sur eux, coupant court à toute discussion et Gaspard esquiva de justesse son coup. Empoigné par Nacera, l'Amélioré s'en prit aussitôt à elle et ils roulèrent au sol. Profitant de ce que sa compagne maîtrisait la situation, Gaspard tira droit devant lui, stoppant net un Soldat qui visait Martial, puis les deux hommes attaquèrent de front leur ennemi. L'autre – un homme d'une rapidité incroyable – saisit Gaspard au col et le frappa au visage. Débarrassé de son propre adversaire, Nacera abattit la crosse de son revolver sur sa nuque et l'acheva proprement en lui brisant le cou. Le mutant retomba au sol en tressautant, mort, mais il n'y eut aucun répit pour l'unité de Gaspard qui regarda fondre sur elle une dizaine de Soldats Noirs aux regards vides. Les rangs des Revenants regroupés dans la ruelle se resserrèrent. L'explosion d'un jet en plein vol juste au-dessus de leurs têtes ne les détourna pas de leur objectif et les deux camps se heurtèrent dans le fracas des armes et des corps.
***
Quelque chose rebondit sur le toit du van et Lynx laissa échapper un gémissement en se couvrant le visage de ses mains. Steve, assis près de lui devant leurs ordinateurs, se leva sans pour autant quitter l'écran des yeux. La progression ennemie par les airs était rapide, mais ce qui l'avait surpris était la manière dont les Soldats Noirs étaient subitement apparus au Nord de Paris, comme s'ils avaient été déposés là.
- Qu'est-ce que c'était ? bafouilla son collègue.
- Un débris, ou quelque chose comme ça, répliqua évasivement Steve. Putain, tu te rends compte ? Ils se sauvent !
Lynx comprit qu'il parlait de l'Armée française, symbolisée en points rouges sur l'écran, et dont les membres couraient le plus loin possible des Champs de Mars à quelques exceptions près.
- Les humains qui ont déjà vu des Améliorés ne sont pas nombreux. C'est normal d'avoir peur, si tu savais la trouille que j'ai eu la première fois !
- Et abandonner ses frères d'arme, c'est normal aussi ? Niels ? grogna Steve dans son oreillette. Niels ? Votre défense de Paris fuit autant qu'une passoire, nom de Dieu !
- Agent Marx, la ministre Kadi est avec moi, nous gérons la situation. Ne quittez pas votre position. Les soldats français vont se regrouper au camp, derrière les Jardins du Trocadéro avant de mener une attaque.
- Vos hommes se font massacrer, monsieur !
- Nos hélicoptères sont sur place, agent Marx. Gardez votre calme et restez où vous êtes.
Steve jura et arracha brutalement l'oreillette. Il avisa Lynx qui tremblait sur sa chaise roulante tout en s'efforçant de garder un regard déterminé. Résolu, il appuya sur la poignée de la porte du fourgon.
- Où tu vas ? s'inquiéta l'autre. On est loin de la Tour Eiffel, qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Nous ne sommes que dans le quinzième, je peux facilement les rejoindre, objecta Steve. Je ne sers à rien ici. Tu ne seras pas plus en sécurité avec moi s'ils nous tombent dessus, ils seront trop nombreux.
- Tu pense changer la donne en allant te battre ? Tout seul ?
Il y avait une pointe de défi dans la voix de Lynx qui serra le rebord de sa table à s'en faire blanchir les jointures. Steve le dévisagea. Ils se connaissaient mal, mais il savait que le courage n'était pas la première qualité de l'informaticien qui n'avait pas hésité à laisser son équipe pour se planquer dans un van.
- Je suis un GEN, dit-il comme si cela expliquait tout. A plus tard, Lynx.
Steve descendit du véhicule sans demander son reste et claqua la porte d'un geste sec. La rue était étroite et l'enseigne de la pizzéria devant laquelle était garé le van avait été éteinte. Le GEN resserra les pans de sa veste autour de lui et vérifia ses armes. Ensuite, il s'élança, sans pouvoir faire taire au fond de son cœur l'espoir de revoir Ismaël en vie.
***
Amanda poussa un juron en sentant son jet se mettre à vibrer et vérifia le tableau de contrôle. L'aile droite et l'un des réacteurs avaient été touchés comme en témoignaient les voyants rouges. S'écartant de la zone de combat, la GEN réduisit l'allure. Un hélicoptère la dépassa par la droite, ses quatre tireurs penchés par les portes ouverte pour mitrailler l'ennemi. Déroutée par le spectacle de ses semblables projetés dans les airs comme des pantins désarticulés qui se relevaient sans mal malgré les balles et la chair arrachée, Amanda chercha où se poser tandis que son jet se mettait à tanguer plus fort. Elle trouva une ruelle suffisamment large et fit descendre verticalement l'appareil.
Après avoir reçu un projectile ennemi, la jeune femme avait été forcée de dévier sa trajectoire pour éviter un allié et avait heurté l'un des pieds de la Tour Eiffel. Le jet était en piteux état et elle doutait de pouvoir redécoller à en juger par la fumée épaisse qui s'échappait de son flanc. Sous une pluie battante, la GEN inspecta le métal froissé en réprimant un grognement furieux. Dans le ciel plombé, les feux croisés des deux camps produisaient des flashs lumineux.
- Ici Amanda Otto, vous me recevez ?
La jeune femme pressa son oreille pour tenter d'entendre quelque chose.
- J'ai été touchée, l'appareil est hors service. Quels sont les ordres, lieutenant Maturet ?
- Amanda, ici Sam, coupa une voix qui n'avait rien à voir avec celle d'Annabelle. Je t'ai en visuel, tu as besoin d'un chauffeur ?
Amanda écarta ses mèches frisées de son visage et leva la tête vers le jet de Samuel juste au-dessus d'elle. Elle esquissa un sourire et agita la main alors que son ami se posait juste derrière son propre appareil. Elle courut vers lui et grimpa sitôt la trappe ouverte dans l'habitacle.
Chaque jet comportait deux places – une pour le pilote et l'autre pour le tireur, le cas échéant. Niels avait jugé inutile d'attribuer un tireur aux GEN qui étaient tout à fait capable de gérer les commandes et de bombarder l'ennemi. Amanda se glissa près de son ami.
- Alors, on est tombé en panne ? railla Samuel.
- Très drôle. C'est toi qui conduis ?
- Si on veut rester en vie, ça vaut mieux, plaisanta l'autre.
Le jet s'éleva dans un vrombissement sonore et Amanda s'empara des manettes de tir. Elle s'humecta la bouche, taraudée par l'envie de dire quelque chose sans savoir quelle serait la réaction de Samuel.
- Sam ?
- Ouais ?
- Tu l'as vue ?
Il silence pesant lui répondit alors que son ami les rapprochait de la Tour Eiffel. Le nom de Luna flotta entre eux et Amanda eut un pincement au cœur. Elle en voulait à son amie pour avoir agi dans son dos concernant ses fils mais son sort lui semblait être la pire injustice de cette guerre.
- Oui. Je ne pensais pas que ça finirait comme ça.
- Ce n'est pas terminé, Sam. Il y a encore une chance pour que...
- Pour que quoi ? aboya le GEN. Qu'elle meure avant de nous avoir arraché la tête à tous les deux ? Irina la contrôle, je te rappelle.
- Mais Vince travaille sur la puce pour la court-circuiter, protesta Amanda. On peut encore y croire.
Samuel s'enfonça dans un mutisme hargneux et se concentra sur les commandes. Amanda fut cependant certaine d'avoir vu briller des larmes dans ses yeux sombres.
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