Chapitre 48
Dimanche – Veille de l'affrontement
Nathan referma la porte derrière lui avec précautions et soupira de soulagement. Il n'avait pas eu la sensation d'être suivi pendant qu'il traversait au pas de course les allées de la supérette, mais il se sentait devenir paranoïaque à mesure que les heures s'écoulaient. Quelle mouche l'avait piquée pour qu'il prenne la décision inconsidérée de se sauver avec une inconnue et deux enfants en bas-âge ? C'était de la stupidité pure.
- Tout va bien ? Tu as trouvé le lait des petits ?
Nathan se décolla du battant pour pivoter vers la chambre sommaire mais propre qu'il occupait depuis la veille avec Brittany. L'argent laissé par Luna leur permettait de loger dans des hôtels à petits budgets sans pour autant se retrouver dans des taudis. Le mobilier était moderne, la salle de bain, impeccable, et l'isolation plutôt bonne.
Le jeune homme s'approcha du petit bureau équipé d'une lampe et disposé dans un angle de la pièce. Brittany y était attablée, l'un des garçons sur les genoux tandis que l'autre rampait sur le parquet.
- Léo s'est assis, il y a quelques minutes, l'informa l'infirmière en suivant son regard.
Il y avait une telle tendresse dans sa voix que Nathan ne se sentit pas le courage de lui dire que ce développement n'était pas normal du tout. Si les petits continuaient à grandir à cette allure effrénée, il faudrait refaire leurs papiers d'identité pour adapter leur âge officiel.
- J'ai le lait, dit-il en sortant deux grosses boites métalliques, mais pour les couches, il n'y avait que du premier prix. Et j'ai pris des pyjamas pour eux et un pull pour toi, mais je ne sais pas si c'est ta taille.
Nathan déballa tout le contenu du sac pendant que Brittany essayait le vêtement. Elle ne fit aucun commentaire sur la longueur bien trop importante de celui-ci et se rassit aussitôt.
- Je suis sur le site de la compagnie aérienne, annonça-t-elle. Il est temps qu'on prenne des billets, tu ne crois pas ?
La jeune femme agita son portable et se mit à faire défiler les destinations. Nathan opina d'un air distrait, ramassa Léo qui s'accrochait à sa jambe, et alluma la télévision. Il ne savait pas où ils iraient et s'en fichait. Il fallait quitter la France, de toute façon. Son seul regret était de ne pouvoir en informer ses parents, pour l'heure en sécurité à l'étranger. Mais dès qu'il le pourrait, ils les contacteraient pour qu'ils sachent que Luna était encore en vie. Cela dit, sa petite sœur n'avait plus rien en commun avec la femme froide et mortelle qui était venue à son secours... Elle lui faisait presque peur.
- La Californie ? suggéra Brittany dans son dos. Le Canada ?
Le jeune homme pressa la télécommande pour afficher une chaîne d'information et s'apprêtait à répondre lorsque sa compagne jura.
- Quoi ?
- Le site s'est fermé tout seul.
- Ça doit être un bug, la connexion internet n'est pas terrible.
- Mais regarde, je ne peux plus l'ouvrir !
Nathan détourna les yeux du présentateur en costume qui débitait les titres en remuant frénétiquement les lèvres – le téléviseur était en mode muet – et s'approcha de Brittany tout en cherchant le bouton de réglage du son sur sa télécommande. Léo s'agita dans ses bras et il le reposa près de son frère, sur le parquet.
- Fais-voir, intima-t-il.
Il se pencha sur le portable et fut forcé de constater que l'accès à la page n'était plus disponible alors que d'autres sites fonctionnaient parfaitement.
- Essaye une autre compagnie. On s'en moque, tant qu'on a nos billets.
Brittany opina en bougonnant et le laissa retourner devant le journal télévisé. Le son se débloqua d'un coup, emplissant la pièce :
- ... notre envoyée spéciale Maryse Frécond, en direct.
- Bonjour, Thierry, effectivement je suis sur place, à Paris, où les choses s'accélèrent depuis ce matin. Les trois quarts des habitants de la capitale ont été évacués vers des logements de fortune dans le sud du département dans la journée d'hier et les quartiers les plus en périphérie de la ville vont suivre aujourd'hui. Tout le centre-ville a d'ores et déjà été interdit à la circulation tandis que les forces armées françaises se déploient en prévision de l'attaque promise par ceux qui se surnomment eux-mêmes les « Soldats Noirs ».
- Oui, Maryse, le pays semble en effervescence depuis l'annonce de la déclaration de guerre par l'Institut Bollart et ses membres qui se disent appartenir à une nouvelle espèce. Nous reviendrons sur cette question inquiétante dans un dossier spécial « Mutation : faut-il y croire ? » à la fin de ce journal.
- J'en profite pour ajouter, Thierry, que les forces des Soldats Noirs se sont retirées de tout le reste du territoire et qu'elles sont attendues ici, à Paris, dans la journée de demain. Le président devrait faire une déclaration dans l'après-midi, notamment sur la présence de ses nouveaux soutiens, l'organisation rebelle des Revenants, et sur l'absence des alliés prévus de l'Union Européenne malgré ses sollicitations.
- Merci Maryse. Et j'en viens, chers téléspectateurs à information de dernière minute : la fermeture des aéroports a été annoncée il y a un instant par le gouvernement. Sous la menace d'attentats, le président a préféré accéder à la demande du leader des Soldats Noirs. Irina Malcolm, à la tête de l'organisation depuis quelques mois, a en effet exigé qu'aucun vol en partance de la France ne soit autorisé. Le Premier Ministre a invité la population à ne pas céder à la panique et à ne pas chercher à quitter le territoire dans la mesure où les lignes de trains conduisant à l'étranger ainsi que les frontières sont également concernées par la mesure.
L'écran devint subitement noir et Nathan constata qu'il avait pressé la touche d'arrêt de ses doigts crispés. Brittany fixait la télévision avec incrédulité. Au bout de quelque secondes de silence, elle se remit à pianoter à toute vitesse sur son portable.
- Ça ne fonctionne pas, grogna-t-elle. Tous les sites sont fermés !
- Ils viennent de le dire, siffla Nathan. Ça ne sert à rien, on est coincés en France.
- Il y a certainement un moyen ! Je vais rappeler monsieur Tom.
- Si tu veux...
Nathan poussa un soupir alors que Brittany sortait à toute allure de la chambre, l'abandonnant avec les jumeaux. L'un d'eux se mit à pleurer et le jeune homme le souleva pour le mettre au lit, vidé de ses forces. Gaspard avait agi le plus vite possible, mais il était quand même trop tard. Cette Irina Malcolm avait pris les devants.
La porte se rouvrit aussi sec sur sa compagne qui jeta son téléphone sur le lit :
- Ça ne répond pas !
- Tu réessayeras plus tard, tempéra Nathan sans y croire.
A son avis, monsieur Tom avait quitté le pays avant que les choses ne se corsent trop et qu'il ne se retrouve coincé. A sa place, c'était en tout cas ce qu'il aurait fait. Il ne fallait pas oublier que le business du curieux personnage reposait sur le transport de GEN et sur les informations les concernant. Dans un contexte de guerre ouverte, il n'avait probablement plus rien à gagner. A moins, bien sûr, qu'il ne fut tout simplement mort...
- Tu te rends compte, les frontières fermées ?
- Comme avec le mur de Berlin, lâcha le jeune homme. On cherche à empêcher la population de fuir. Irina Malcolm ne veut pas conquérir un pays désert.
L'infirmière lui jeta un regard furieux – parce qu'en plus, c'était sa faute ? – et s'enferma dans la salle de bain.
Nathan s'assit sur le lit et ralluma la télé au moment où le présentateur en venait à expliquer que des drones-caméras nouvelle génération filmeraient tout des combats en temps réel. Il déglutit.
L'attente ne faisait que commencer.
***
Prépare-toi.
Un vertige me saisit et je me retins au mur pour ne pas tomber, sonnée par la soudaine clarté de mon esprit et de ma vision. Seule à l'entrée d'une pièce soigneusement fermée à clef derrière moi, je pris quelques secondes pour remettre de l'ordre dans mes pensées. Les souvenirs des dernières vingt-quatre heures s'y entassaient, flous, comme s'ils ne m'appartenaient pas. Les images défilaient tel un rêve, ou plutôt un cauchemar, si l'on considérait ce que j'avais fait à Ismaël.
J'inspira à fond, recouvrant un calme de façade et avançai lentement dans le petit espace. J'étais enfermée – ça, ce n'était pas une nouveauté – dans une sorte de vestiaire où l'on avait déposé mes affaires. Quant à la raison pour laquelle j'avais subitement le droit de penser par moi-même, je supposais qu'elle ne dépendait que du sadisme d'Irina qui voulait que je prenne conscience qu'elle allait m'envoyer au combat. Contre mes amis.
Une petite décharge parcouru ma nuque, très certainement pour me rappeler que j'avais une tâche à accomplir, et je m'approchai de la chaise sur laquelle ma tenue était pliée. Près d'elle, une sorte de console surmontée d'un miroir était calée contre le mur, un nécessaire de coiffure et un petit pot transparent posés dessus. Je retirai mes vêtements et enfilai le pantalon de cuir souple, le t-shirt noir, et, enfin, la veste marquée de bandes rouges sur les avant-bras. La veste de commandante de l'Armée Noire.
Mon cœur battait fort dans ma poitrine, cruel rappel de la tentative de suicide – ce n'était ni plus ni moins que cela – que j'avais faite en tentant de m'arracher la puce. La bouche sèche, emplie d'amertume, je m'assis sur la chaise et tournai les yeux vers le miroir.
La femme qui me rendit mon regard me parut être une inconnue, un peu comme le jour où j'avais été transformée. Ses longs cheveux bruns encadraient un visage dur, froid, assombri par deux yeux aux iris trop larges à tel point que tout le blanc disparaissait presque. Pour un peu, j'aurais eu peur de moi-même mais je me sentais vide. Marx aurait été content de me voir ainsi. Le monstre enfin révélé. Le dégoût s'empara de moi et je pinçai les lèvres.
Je tendis ma main mutilée vers la brosse laissée à mon intention et entrepris de démêler ma crinière laissée à l'abandon depuis des jours. Avec des gestes robotiques, je rassemblai mes cheveux en une série de tresses que j'attachaient ensuite ensemble en queue de cheval. J'avisai ensuite le petit pot de verre qui contenait une substance noire et épaisse. Avec deux doigts, je traçai des lignes sur mes joues et le fermerai. Voilà. J'étais prête.
Un élan de haine m'envahit devant mon reflet et je m'en détournai. C'était donc ainsi que cela devait finir. Quatre ans de lutte après avoir été arrachée à ma famille pour en arriver exactement là où ce salaud d'Ulrich Marx m'avait toujours vue. Tout cela n'avait servi à rien, si ce n'était causer des morts supplémentaires. Si j'avais renoncé à la liberté plus tôt, cela aurait évité bien des complications. Allan serait en vie. Tribal, aussi, peut-être. Et Victoire. Quelle farce cruelle !
Je balayai la table d'un geste brutal, envoyant tout voler dans la pièce et frappait du poing le centre du miroir qui se fissura. Le feu de la colère me dévorait l'estomac, destructeur. Je fermai les yeux et serrai les paupières.
Je pensais à Allan et à la douleur de sa perte. J'allais le rejoindre, tôt ou tard. Mais avant cela, j'allais massacrer Martial, Amanda, Samuel. Et Gaspard. Je revis son visage, ses yeux couleur braise, son sourire moqueur. Je l'avais déjà perdu. Je n'aurais jamais l'occasion de lui dire ce que je sentais au fond de mon cœur, cette chaleur quand il était avec moi, et qui pansait un peu la souffrance qui me déchirait depuis la mort d'Allan.
Une larme coula le long de ma joue et s'écrasa sur ma main aux doigts manquants. Des tremblements me saisirent et je me recroquevillai sur la chaise.
- Par pitié, faites que l'on me tue.
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