Chapitre 46


Samedi – Deux jours avant l'affrontement

Le jet décolla juste au-dessus de la tête de Gaspard qui rajusta son paquetage sur son dos. Les yeux tournés vers le ciel, il fit encore quelques pas pour s'isoler, les doigts cramponnés à son portable.

- Luna, c'est Gaspard. Ecoute, je sais qu'on ne devait pas communiquer pendant ton absence, mais tout le monde commence à se demander où tu es passée. J'ai fait ce qu'il fallait pour ton frangin et les gamins d'Amanda, et on quitte la base cette après-midi. L'évacuation de Paris a été ordonnée par le président, mais ses alliés se font plus rares, alors je ne sais pas trop quelles chances il nous reste. Bref, rappelle-moi et donne signe de vie.

Gaspard marqua une pause et se sentit stupide sans savoir comment conclure son message.

- A plus, dit-il finalement.

Il raccrocha et resta quelques instants figé à regarder l'écran du portable. Qu'est-ce qui pouvaient bien retenir son amie si longtemps ? Il croyait de moins en moins à la perspective d'une mission secrète dans le but de garantir la victoire des Revenants...

- Toujours rien ? l'interrompit Martial, juste derrière lui.

- Non, répondeur, lâcha son équipier.

- Elle va revenir. Il le faut.

Les deux hommes se dévisagèrent et ce simple regard leur permis d'échanger bien plus que les mots. A chaque heure qui passait, l'un comme l'autre sentait croître en lui une sensation de malaise. Ce n'était pas normal. Luna aurait déjà dû être là.

Elle était arrivée dans leurs vies avec le fracas d'un ouragan, sauvage, violente, et, à l'intérieur, brisée. La souffrance la consumait, décuplant sa haine et les penchants meurtriers de son espèce. Mais aucun des membres de son unité n'avait jamais vu le monstre que d'autres redoutaient. Elle était comme eux, en vérité. Abîmée par l'Institut, durcie par la perte de ses proches. Chacun d'entre eux avait connu cela. On ne devenait pas rebelle dans une lutte contre les GEN sans y laisser des plumes. Alors, Luna était devenue l'une des leurs, et Martial comme Gaspard lui auraient confié leur vie sans hésiter. L'unité était une famille. Une famille veillait sur ses membres.

Gaspard ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose de réconfortant mais n'eut pas le loisir de formuler quoi que ce fut, brutalement heurté de côté et jeté à terre. Martial émit une exclamation de surprise alors que son ami roulait dans la poussière et échappait son portable.

- Amanda ? Mais... ?

Tout à leurs pensées, ni l'un ni l'autre n'avaient vu la jeune Noire approcher et fondre sur eux comme une furie. Sans laisser le temps à Martial de réagir ou à Gaspard de se relever, elle saisit ce dernier au col et le plaqua au grillage :

- Espèce de salopard ! Qu'est-ce que tu as fait ?

Le coup de poing qui s'abattit sur sa pommette projeta le jeune homme au sol dans une giclée de sang. Il se reçut rudement et se redressa de son mieux, des points lumineux devant les yeux.

- Réponds ! aboya la jeune Noire en l'empoignant une seconde fois. Où sont-ils ?

- Amanda, non ! s'écria Martial en s'interposant entre eux.

Gaspard ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de dire quoi que ce fut avant que la GEN ne le frappe encore – à l'abdomen cette fois – en contournant Martial comme s'il n'avait pas existé. Sa blessure par balle encore récente lui lança une décharge de douleur et il étouffa un gémissement. De toute évidence, Amanda ne voulait pas vraiment de réponse et préférait le tabasser.

- Où les as-tu emmenés ? hurla la GEN. Je ne t'ai pas demandé de te mêler de ça, espèce de sale con ! Tu vas me le payer !

Prostré contre le grillage, Gaspard encaissa sans broncher les premiers coups de pieds, mais choisit son moment pour esquiver et se saisir de la cheville de la jeune femme. Il la tordit, lui faisant perdre l'équilibre par effet de surprise. Le Revenant en profita pour se relever et tousser un bon coup pendant qu'Amanda, le visage déformé de colère, prenait position pour l'affronter. Elle se jeta sur lui, vive comme l'éclair, mais Gaspard était prêt. Le Revenant bloqua le bras d'Amanda, bondit sur le côté pour éviter l'assaut brutal de la GEN et parvint à la repousser en la frappant en pleine poitrine. Ramassée sur elle-même comme un fauve prêt à bondir, elle se détendit brusquement et l'envoya de nouveau dans la poussière. Elle allait certainement l'étriper, mais Martial intervint de nouveau et la tira en arrière d'un geste sec, la main sur la crosse de son revolver qu'il dégaina dans la foulée et braqua sur elle, le regard dur.

- Si tu t'en prends à lui, je tire, jeta-t-il. On peut savoir ce qui te prends ?

Jambes fléchies, Amanda ne quitta pas Gaspard des yeux, frémissante de colère. Elle laissa échapper un grondement.

- Tu le défends ? Après ce qu'il a fait !

- Je ne sais pas de quoi tu parles, Amanda.

Martial n'abaissa pas son arme malgré le léger recul de la GEN et vérifia que Gaspard se remettait debout sans peine. La pommette couverte de sang et une petite grimace de douleur sur le visage, il avait l'ait intact, mais absolument pas surpris par ce qui se passait.

- Mes fils et Brittany ont disparu, cracha Amanda, tu vas me dire qu'il n'y est pour rien ?

- Calme-toi, lui intima Martial. C'est ridicule, et...

- Tu as raison, Amanda, coupa Gaspard. C'est ma faute.

Il essuya le sang sur sa pommette et compta ses dents du bout de la langue sous l'œil perplexe de Martial qui ne trouva rien à dire. L'arrivée au pas de course de Samuel et de Madeleine Maturet, alertés par les cris alors qu'ils aidaient au chargement d'un camion, lui épargna cette peine.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? grommela Madeleine.

- Cette ordure a fait disparaître mes fils dans la nature ! rugit Amanda.

- Quoi ? lança Samuel.

- J'ai fait sortir les jumeaux d'Amanda de la base pour les mettre en sécurité. Ils sont partis avec Brittany et Nathan, exposa tranquillement Gaspard.

- La chiffe molle qui sert de frère à Luna ? Tu te fiche de moi ?

Amanda s'avança, menaçante, le regard furieux, mais Samuel lui attrapa le bras. Martial la visait encore de son arme.

- Amanda, ça suffit. Laisse-le finir.

- J'avais terminé, opposa Gaspard. Ils sont partis, Amanda, et j'ignore où. La seule chose que je peux te dire, c'est qu'ils seront loin des combats auxquels tu veux tant participer.

- Je suis leur mère, c'était à moi de décider.

- Luna l'a fait pour toi. Elle m'a laissé ses instructions mais c'est elle qui a eu l'idée. Tu veux vraiment recommencer cette discussion sur les risques qu'elle a pris pour toi et tes fils ? Si tu meures, tes gosses auront peut-être une chance de survivre avec un père et une mère, même si c'est en fuite.

- Je suis leur mère ! asséna Amanda. Dis-moi où ils sont !

Madeleine soupira, clairement lassée par l'histoire et entreprit de regarder sous ses ongles. Gaspard sentit peser sur lui les regards – inexpressif pour Samuel et perdu pour Martial – de ses compagnons. Le menton relevé, il se planta devant Amanda.

- Si seulement savoir où sont tes enfants t'incitait à partir immédiatement les rejoindre ! Mais le pire, c'est que ça ne changerait rien du tout. Tu comptais les mettre dans un bus avec Brittany et rester au quartier général pour te préparer au combat sans la moindre certitude de les revoir un jour, alors arrête ton cirque. Assume le fait que d'autre aient pris à ta place les décisions concernant tes fils.

- Je te préviens, Olbec, s'il leur arrive quoi que ce soit...

- Tu ne le sauras même pas puisque tu as décidé que ta place n'était pas avec eux, cingla Gaspard.

Amanda émit un feulement haineux et le Revenant crut qu'elle allait encore essayer de le frapper, mais ce ne fut pas le cas. Elle tourna les talons et s'en fut vers les hangars, le dos raide comme une planche. Considérant l'incident comme clos, Madeleine lui emboîta le pas et Gaspard se fit la réflexion qu'elle n'avait pas fait grand-chose pour lui éviter de se faire casser la figure.

- Tu as vraiment fait ça ? interrogea Martial après quelques secondes de silence.

- Il le fallait. Ce sont les seuls enfants mutants jamais conçus et mis au monde naturellement. Imagine que l'Institut gagne, combien de temps mettra Irina Malcolm à décider de les retrouver ? Leur ADN a une grande valeur. Vous le savez aussi bien que moi, et Luna l'a compris aussi.

- Peut-être, admit Samuel. Mais te faire des ennemis mortels à deux jours de la bataille, ça frise les pulsions suicidaires.

- Tu crois qu'elle me fait peur ? ricana Gaspard en ramassant son portable. Je m'entraîne avec la commandante de l'Armée Noire, je te rappelle.

Samuel haussa les épaules et choisit de s'éloigner à son tour, laissant les deux équipiers seuls. A l'autre bout de la cour, un autre jet décolla et les portes des camions se refermèrent. Le départ était proche.

- On y va ? demanda Martial. Nacera nous attend.

- Oui, mec, murmura Gaspard en jetant un dernier regard à son téléphone obstinément muet. On y va. 

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