Chapitre 41


Mercredi – Cinq jours avant l'affrontement

Gaspard se frotta les yeux en pénétrant dans une petite salle saturée d'odeur de café. Il était tard, près de minuit, et la nuit était tombée depuis longtemps sur la base, mais lorsqu'on se trouvait sous terre, cela n'avait pas d'importance. Il n'avait pas dormi depuis l'annonce de l'imminence de l'attaque de l'Institut, soit depuis la veille à midi. Le jeune homme savait qu'il devrait probablement tenir plus longtemps que cela quand viendrait l'heure de se battre mais il devait s'économiser en attendant, ce qui n'était pas chose aisée avec tous les préparatifs en cours.

- Vous avez trouvé quelque chose ? interrogea-t-il en refermant la porte derrière lui.

Les quatre occupants de la pièce pivotèrent dans un bel ensemble vers lui. Il y avait Vince, ses lunettes remontées sur le nez, Lynx, les yeux cernés mais une expression décidée sur le visage, Steve Marx et son calme olympien. Et pour finir, elle. La fille. Celle qui était arrivée comme un cheveu sur la soupe à l'entrée du portail en affirmant s'appeler Laure Costa – exactement comme la hackeuse que recherchait Luna grâce à la clé USB d'Allan.

- Chef, au rapport, plaisanta Steve en se levant. Tu veux venir voir ?

Gaspard opina du chef et vint se pencher par-dessus l'épaule de l'Amélioré.

- Vince et Lynx travaillent depuis ce matin sur les plans trouvés sur le disque dur il y a quelques jours, mais pour l'instant ça ne donne rien. Ce truc pourrait aussi bien être un missile dernière génération qu'une balle dotée de propriétés spécifiques, nous n'en savons rien. Laure est à l'origine du fichier comme le pensait Luna, mais elle n'a fait que récupérer des données qui ont fuité depuis la base de l'Institut.

- Nous l'avons passé au peigne fin, ajouta Vince. Pour l'instant, on ne peut rien en faire.

- Alors laissez tomber, ordonna Gaspard en fixant la reconstitution 3D de l'étrange dispositif projeté sur le mur. Il y a des choses plus urgentes.

- En parlant de ça, reprit Steve, Laure et moi avons réussi à construire ceci. Ce n'est qu'un prototype mais ça devrait nous être utile.

L'Amélioré fit glisser sur la table un petit appareil que Gaspard examina du bout des doigts. Le cercle de quelques centimètres de diamètre luisait doucement. Le Revenant sentit un frisson désagréable lui parcourir le dos et le reposa aussi sec.

- C'est une puce ? demanda-t-il. Une puce de contrôle mental ?

- Oui, capitaine, confirma Laure qui ouvrait la bouche pour la première fois.

La jeune femme rejeta sa tresse bleue en arrière et lui sourit de toutes ses dents.

- Si on te greffait ce truc, tu obéirais à nos moindres demandes, exposa Steve. Il faut le paramétrer au préalable pour qu'il reconnaisse les voix aptes à de donner des ordres et le tour est joué.

- C'est quoi ces fils ?

Gaspard désigna les filaments noirs qui s'échappaient du cercle et qui lui faisaient penser à des pattes d'araignée.

- Des connecteurs pour relier le cerveau hôte à la puce. Cette version est plutôt obsolète mais elle devrait nous permettre d'établir un moyen de stopper le contrôle des Soldats Noirs.

- Quand on y pense, ce machin pourrait rendre de grands services en temps de guerre, intervint Laure en reculant sa chaise. Fini les désertions et les mutineries.

- Et fini la liberté et l'humanité, fit sèchement Gaspard. Merci du tuyau.

Il se redressa de toute sa hauteur et foudroya du regard la hackeuse du regard. Elle cligna des paupières avec candeur sans se départir de son sourire.

Outre son attitude séductrice envers tout ce qui portait un caleçon et du poil au menton, Laure déplaisait à Gaspard depuis la seconde où il l'avait rencontrée. Il connaissait ce genre de personne. Il voyait clair dans son jeu. Laure n'était venue ici, après s'être fait passer pour morte, que parce que les Revenants lui offraient la protection dont elle avait besoin contre Irina Malcolm. Gaspard se méfiait des gens comme elle. A la première voie d'eau dans la cale, elle quitterait le navire.

- Quoi ? fit la jeune femme avec défi tout en soutenant relevant le menton devant lui.

Gaspard ne se donna pas la peine de répondre et pivota vers Steve qui ne ratait rien de l'échange :

- Reposez-vous, tout cela peut attendre.

- Nous devons procéder à des essais, protesta le fils de l'ancien directeur. Nous devons...

- Madeleine m'arrachera les yeux si je vous épuise là-dessus, appuya Gaspard en embrassant les ordinateurs du regard. Mangez, dormez, et ne revenez pas avant demain matin.

Vince donna une claque amicale sur l'épaule de Lynx qui baillait.

- Allez, mec, je te paye un resto ?

- Un resto ou un plateau cantine ? bougonna l'autre.

Laure éclata de rire comme si la plaisanterie du siècle avait été prononcée et sortit à la suite des deux hommes non sans frôler Gaspard au passage. Celui-ci émit un grognement agacé. Il attendit que la femme ait disparu dans l'ascenseur pour se mettre en mouvement à son tour, talonné par Steve. Les deux hommes n'échangèrent que quelques mots avant de se séparer à hauteur des quartiers que Gaspard partageait avec le reste de son unité. N'ayant pas encore eu le temps d'inspecter les conversations de Steve avec Ismaël, le Revenant n'avait d'autre choix que de lui accorder sa confiance et de prier pour ne pas s'être trompé. Il se refusait à le dénoncer alors que l'autre travaillait d'arrache-pied sur la puce ainsi qu'il le lui avait demandé.

Ce fut avec le soulagement de la perspective de se reposer un peu que Gaspard pénétra dans son dortoir. Il y trouva Nacera, occupée à feuilleter livre sur l'ancien lit de Léo. Elle se mit instantanément debout :

- Salut. Annabelle ne t'a pas prévenu ? Je lui ai dit que si tu n'étais pas d'accord, je trouverais une place ailleurs.

Gaspard secoua négativement la tête. Faute de place et devant l'arrivée conséquente de soldats français, Niels s'était vu contraint de réorganiser la base pour que chacun ait un lit où dormir. On avait par conséquent regroupé les unités de terrain sans distinction de sexe.

- Il n'y a aucun problème, assura-t-il. Léo t'aurait appréciée s'il avait eu le temps de mieux te connaître. Et tu fais partie de l'équipe, non ? On ne va pas te faire dormir par terre.

Nacera sourit et cala derrière ses oreilles se cheveux noirs coupés au carré. Jugeant sûrement que tout était dit, elle se reconcentra sur sa lecture tandis que Gaspard retirait ses rangers en ne songeant qu'à une chose : se mettre au lit. Il enleva sa veste marquée du poing fermé lorsque l'on toqua à la porte. Amanda se tenait sur le seuil, l'un de ses fils blotti contre elle à l'aide d'une large écharpe savamment enroulée. Gaspard réprima un soupir en se demandant quand est-ce qu'on daignerait le laisser tranquille.

- Salut, les gars ! lança gaiement la jeune Noire. Je dérange ?

- Pas du tout, affirma Nacera en lui faisant signe d'entrer. Mais c'est le petit Léo que je vois ?

Les deux femmes se mirent littéralement à roucouler au-dessus du bébé. Le Revenant leva les yeux au ciel. Il ne comprenait pas comment Nacera pouvait différencier aussi simplement les jumeaux qui, pour lui, se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Amanda tendit de bonne grâce son fils à la nouvelle équipière de Gaspard qui se cala contre le mur pour le bercer.

- Il vient juste de manger mais il ne voulait pas dormir, expliqua la jeune mère. Tim est avec Brittany, alors je suis allée faire un tour en espérant qu'il se fatiguerait.

Elle fit quelques pas en avant tout en s'adressant à Gaspard :

- Il fallait que je te parle, de toute façon. C'est à propos de mon affectation. J'aimerais que tu la transmettre à Madeleine Maturet.

- Ton affectation ?

- A cette unité, insista Amanda. Je veux intégrer l'équipe.

Gaspard ne répondit pas tout de suite. Il dévisagea l'Améliorée, perplexe. Elle venait à peine d'accoucher et pensait déjà à se battre ? Comment pouvait-elle préférer se mettre en danger et abandonner ses jumeaux plutôt que de rester avec eux et de les mener en sécurité ? Un gout amer envahit la bouche du Revenant. Tout le monde ici avait perdu des êtres chers ou s'était volontairement coupé de ses liens avec sa famille pour en préserver les membres, et tout le monde en souffrait. Il ne comprenait pas la position d'Amanda.

- Et eux ? jeta-t-il en désignant Léo qui gazouillait avec Nacera. Je veux bien concevoir qu'ils se développent plus vite que la moyenne mais ils ont besoin qu'on s'occupe d'eux.

- Brittany le fera, elle me l'a promis. Je ne peux pas rester les bras croisés, Gaspard.

- Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?

Le jeune homme se leva pour faire face à Amanda, un air de défi sur le visage.

- Je refuse de rester en arrière quand les autres tenteront de défendre le pays et notre avenir, asséna sèchement l'Améliorée. Quelle mère serais-je si je n'essayais pas d'offrir une vie meilleure à mes enfants ?

- Au moins, tu joueras ton rôle en étant avec eux. Si tu meures, qui les élèvera ? Ils sont sous ta responsabilité, pas sous celle de Brittany.

- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de toi, Gaspard Olbec, siffla Amanda. Rien de tout ceci ne te regarde. Luna...

- Si elle était ici, je pense qu'elle se chargerait de te rappeler ce qu'elle a fait pour que tu sois ici, avec deux enfants en parfaite santé plutôt qu'entre les murs de l'Institut à les regarder se faire disséquer comme des grenouilles. Et je crois qu'elle en profiterait pour te glisser les noms de ceux qui sont morts là-bas alors que toi, tu es en vie.

Gaspard avait haussé le ton, mâchoires serrées. Il n'avait rien sacrifié pour qu'Amanda puisse fuir l'Institut, cette histoire n'aurait donc pas du le mettre ainsi en colère, mais c'était plus fort que lui. Cette guerre insensée n'était-elle pas déjà suffisamment laide ? Il n'y avait nul besoin d'ajouter dans la balance l'innocence des jumeaux de la jeune Noire.

Le Revenant croisa le regard de Nacera qui conservait un masque de neutralité propre à ceux de son espèce mais il fut certain d'avoir vu briller une lueur d'approbation à son égard dans ses iris. Il se massa l'arête du nez pour se calmer. Le charisme d'Amanda débordait dans la pièce même s'il en fallait plus pour impressionner Gaspard.

- Très bien, lâcha-t-il en se détournant.

L'Améliorée tiqua en le voyant se désintéresser d'elle et reprit son fils d'un geste hésitant.

- Et pour mon affectation ? interrogea-t-elle.

Gaspard pivota pour lui faire face, les traits fermés avec une expression digne d'un mutant.

- Je suis, en l'absence de Luna, le chef de cette unité, exposa tranquillement le Revenant. Tu viens juste de dire que tu n'avais pas d'ordres à recevoir de moi. Tu n'as par conséquent rien à faire dans cette équipe.

Amanda parut sur le point de s'étouffer et l'air s'alourdit. Elle se reprit cependant très vite, cala Léo contre sa poitrine et quitta le dortoir sans un mot.

Demeuré seul avec Nacera, Gaspard gagna son armoire pour y ranger ses chaussures le plus naturellement du monde.

- Tu sais que ça ne suffira pas à la dissuader de combattre, commenta l'Améliorée derrière lui.

- Peu importe. Qu'elle aille demander un poste à quelqu'un d'autre, mais je ne serais pas celui qui lui donnera l'autorisation d'abandonner deux bébés tous juste nés à leur sort. Si elle se fait tuer, ce ne sera pas sous mes ordres.

- Sans compter que Luna te coupera les couilles et te les fera bouffer s'il lui arrive quelque chose, ricana Nacera.

Gaspard eut un petit rire – son équipière avait entièrement raison – et jeta ses rangers au fond du placard. Peu lui importait l'ego froissé d'Amanda. Elle s'en remettrait.

Le jeune homme s'empara d'un t-shirt et d'un pantalon de pyjama, prêt à se rendre à la douche. Il s'attarda sur sa veste de Revenant – pas celle qu'il portait tous les jours mais le vêtement renforcé avec lequel il se battrait. Pensif, il passa une main dessus et fronça les sourcils en sentant une résistance sous ses doigts, à hauteur de la doublure. Il écarta légèrement l'un des pans de la veste et en tira une pochette rigide noire. Le dos toujours tourné, il la sortit de sa cachette. La pochette ne lui appartenait pas, mais il imaginait fort bien qui lui avait laissé.

- Un problème ? s'enquit Nacera comme il ne bougeait toujours pas.

- Non, sourit Gaspard en la regardant par-dessus son épaule, mais je crois que j'ai besoin de dormir. Je peux prendre la salle de bain ?

- Fais comme chez toi.

L'Améliorée baissa les yeux sur son livre et Gaspard en profita pour plaquer la pochette contre lui et filer dans la petite salle d'eau. La porte refermée, il ouvrit le robinet d'eau et se déshabilla à moitié avant d'oser de soulever le rabat cartonné et d'y découvrir une liasse de documents.

Passeports, certificats de mariage, permis de conduire, billets d'avion, certificat d'adoption....

Immobile dans la buée qui peinant à s'évacuer de la salle de bain, Gaspard soupira en décollant le post-it qui recouvrait la première feuille.

Au cas-où

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