Chapitre 40


Mercredi – Cinq jours avant l'affrontement

- Je vous fais confiance, agent Sallah. Cette question doit être réglée avant ce soir afin que nous puissions partir sans craindre qu'elle ne se défasse de son entrave mentale.

- Oui, madame. Je m'en occupe immédiatement. Mais...

- Oui, agent Sallah ?

- Luna Deveille n'est pas comme les autres. Si le dispositif devait ne jamais fonctionner totalement sur elle, si...

- Nous avons déjà évoqué cette éventualité et la phrase de contrôle total a été conçue pour cela, mon cher. S'il faut en venir à cette extrémité, je n'hésiterais pas.

- Vous savez comme moi ce qui se produira si nous la mettons en œuvre trop tôt. Son cerveau se dégradera et il ne lui faudra pas plus de quelques jours pour mourir.

- Du moment qu'elle sert notre cause, peu m'importe. Faites ce qui doit être fait.

Je poussai un grognement que je fus la seule à entendre et tirai sur mes liens. Les voix parvenant de l'autre extrémité du couloir se turent un instant.

Quinze minutes plus tôt, dans la chambre blanche de Geb, N.I.A m'avait communiqué la convocation du docteur Malcolm à laquelle je n'avais eu d'autre choix que de répondre présente – nul doute qu'elle m'aurait fendu la cervelle en deux à l'aide de la puce si j'avais refusé. Pourquoi n'avais-je pas tenté un passage en force et une sortie musclée de l'Institut, me demanderez-vous ? Simplement parce que cela aurait été stupide. En supposant que je parvienne à lutter contre l'influence mentale et à me débarrasser d'Irina, de Girond et d'Ismaël, je me trouvais tout de même dans un bâtiment contrôlé une intelligence artificielle qui, si elle avait reçu l'ordre de me garder enfermée, n'ouvrirait pas la moindre porte. Je savais ces murs capables de retenir un Déformé à la puissance décuplée par la folie. Il faudrait que je saisisse ma chance plus tard, en dehors de l'Institut, de préférence.

C'est ainsi que je me retrouvais dans la petite cellule qui avait servi de chambre à Amanda lorsque sa grossesse avait été révélée à Irina, dans les sous-sols de l'Institut. On avait retiré tout mobilier et une simple chaise de métal vissée au sol m'attendait.

Enfin, « simple chaise », c'était vite dit, quand on tenait compte des épaisse menottes placées au niveau des pieds pour recevoir mes chevilles, de celles destinées à emprisonner mes poignets dans mon dos et enfin du cercle le plus large à hauteur de cou. Irina avait poussé l'humiliation jusqu'à me forcer à m'installer moi-même sur le siège et à placer mes membres comme attendu pour me faire immobiliser. La colonne raide comme une planche en attendant que l'on daigne venir me voir, je passais en revue toutes les insultes que je mourrais d'envie de lui jeter à la figure.

- Je remonte, déclara finalement la voix de la doctoresse. Je dois vérifier que tout le matériel est bien chargé pour le départ.

- Oui, madame. Je vous rejoindrais quand ce sera terminé.

L'air servile qui devait s'afficher sur les traits d'Ismaël et que j'imaginais fort bien me donna envie de vomir. Non, mais, franchement ! Les GEN se prétendaient au-dessus des lois humaines mais il suffisait d'un leader comme Marx, Irina, ou même moi, pour les faire se répandre en courbettes et en léchage de bottes. C'était ridicule. Écœurant.

A l'instant où Ismaël Sallah poussa les barreaux de ma cellule et entra, je n'eus d'autre choix que de le regarder bien en face puisque je ne pouvais pas bouger. L'informaticien baissa des yeux fuyants vers la tablette tactile qu'il tenait et fit glisser ses doigts dessus. Immédiatement, les projecteurs bleus de N.I.A affichèrent en grand une série de documents qui se placèrent à la verticale autour de moi de façon parfaitement lisible. Ismaël rangea la tablette et se mit à faire défiler les feuilles virtuelles d'une main sûre. Il s'agissait de mon dossier médical portant la mention « GENESIS » suivie d'une petite étoile – celle-ci signifiant ma particularité génétique unique.

- N.I.A, montre-moi les constantes vitales du sujet, s'il te plait, lâcha le GEN au bout de quelques secondes.

- Oui, agent Sallah.

- Le sujet est-il en droit de savoir ce que tu vas faire ? intervins-je d'un ton railleur.

Ismaël me tourna le dos résolument pour observer les jauges projetées par l'intelligence artificielle. Je sentais son malaise de la même manière que s'il avait été une odeur prononcée.

- Je vais régler le niveau de contrôle de ta puce électronique, répondit-il sans la moindre émotion. Quand je serais satisfait, Irina validera l'ordre de transfert. L'Ange Noir doit retrouver son Armée.

Je ne fis aucun commentaire et me contentai de fixer durement Ismaël à chaque fois qu'il passait devant moi en manipulant les données virtuelles. Je ne ressentais rien de bizarre, il n'avait pas encore du débuter ses modifications. Alors qu'il dégainait de nouveau sa tablette, il s'humecta les lèvres et leva la tête vers moi.

- Quoi ? grogna-t-il.

- Plait-il ? fis-je innocemment.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ?

L'informaticien lissa son pull et je réprimai un sourire triomphant. La brèche était ouverte, je n'avais plus qu'à m'engouffrer dedans.

- Oh, pour rien. J'essayais juste de me représenter le profil d'un lâche.

- Je n'en suis pas un. Tu me traites ainsi juste parce que j'ai fait des choix différents des tiens.

Ne pouvant pas faire grand-chose d'autre, je balayai l'argument d'un geste du menton qui me tirailla tout de même le cou à cause du cercle métallique qui l'enserrait :

- Non, je ne crois pas. Si nous étions dans cette configuration, tu ne serais qu'un ennemi de plus sur une liste déjà longue. Tu es un lâche parce que tu n'assumes pas les décisions que tu as prises. Tu transpire le remord. Tu regrettes.

- C'est faux.

- Tu n'as pas eu le courage de suivre Geb et tu n'aurais pas non plus celui de t'en aller maintenant que tu as compris ton erreur.

- Ça suffit.

La douleur fusa dans ma tête et je contractai la mâchoire. C'était comme si je sentais les griffes d'un prédateur se refermer plus étroitement sur ma cervelle. Ismaël s'écarta de moi comme si je l'avais brûlé, les mains crispées sur sa tablette.

- Je pourrais encore augmenter l'emprise de la puce sur toi, siffla-t-il, et tu connaîtrais une douleur pire que tout.

- Sûrement pas, assurai-je avec légèreté. On voit que tu n'as jamais profité des séjours torture offerts par Richard Simon.

Le doigt de l'informaticien glissa sur l'écran et la souffrance se mit à pulser dans mon cerveau. Peut-être celui-ci allait-il éclater sous la pression...

- Ça n'effacera pas tes doutes, Ismaël, continuai-je malgré tout. Ça ne sauvera pas Geb non plus.

Le GEN fit quelques pas pour sortir de mon champ de vision. Il ne fallait pas beaucoup d'efforts pour le perturber parce qu'il l'était déjà avant de me parler. J'étais certaine qu'il aurait préféré se trouver partout ailleurs qu'entre les murs de l'Institut Bollart.

- Irina va le tuer, Ismaël. Tu le sais.

Le silence fut la seule réponse de l'autre. Je plissai imperceptiblement la bouche lorsque ma vue se brouilla sous l'effet de la douleur aiguë qui traversait mes yeux. Je me dandinai d'une fesse sur l'autre.

- Tu ne dis rien ? repris-je. N.I.A enregistre toute notre conversation et tu as peur ?

Ismaël réagit en ricanant :

- Je ne suis pas idiot, j'ai désactivé cette fonction au début de l'opération, Luna. Je ne veux pas que le docteur Malcom me soupçonne à cause de ce que pourrais me faire dire.

- Si tu lui étais totalement fidèle, tu n'aurais pas ce genre de craintes. Le seul fait que tu empêche N.I.A d'enregistrer est une preuve que tu n'es pas sûr de toi.

L'informaticien réapparut devant moi, le visage contracté de colère. Il était pâle. Je crus qu'il allait parler mais il se contenta de rebrousser chemin jusqu'à l'entrée de la cellule.

- Tu as le choix, articulai-je en dépit du marteau qui s'abattait entre mes tempes. Même maintenant, tu peux décider autre chose que ce qu'Irina te réserve. Tu peux le faire pour Geb.

- Geb est perdu.

- Pas si tu l'aides. Tu l'aimes, Ismaël. Qu'est-ce que tu fais encore là ?

Ma question demeura en suspens et les iris du GEN plongèrent dans les miennes. Il avala sa salive puis fit volte-face et quitta la pièce, mais juste avant qu'il ne m'expose son dos, je fus persuadée de l'avoir vu glisser un doigt vers le bas de l'écran.

L'étau de mon crâne se relâcha. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top