Chapitre 37


- Ceci est un message de la communauté GEN à ses ennemis. Revenants, soldats de l'armée française ou simples citoyens persuadés d'être en capacité de lutter contre nous, je vous mets en garde. L'heure a sonné. Nous sommes prêts. Dans six jours, au cœur de la France, le destin du monde se décidera. Ennemis ! A vos armes ! Dressez-vous contre nous et luttez pour vos vies ! Que la victoire et la gouvernance du monde revienne aux gagnants de cette bataille. Que tous les autres s'inclinent devant la défaite.

La télévision s'éteignit aussi brusquement qu'elle s'était allumée et le silence plombant du réfectoire se changea en brouhaha. Gaspard, assis à sa table, garda les yeux braqués sur l'écran pendant de longues secondes, les sourcils plissés.

- Gaspard ?

- Ouais ?

Le Revenant cligna des paupières en direction de Martial, en face de lui, puis ramassa la fourchette tombée dans sa purée pendant la diffusion du message de l'Institut. Il peinait à reprendre ses esprits. La vidéo avait démarré sans prévenir en plein milieu de leur repas et ne contenait pas franchement de bonnes nouvelles. Curieusement, elle n'avait généré aucune panique mais une agitation sans nom envahissait désormais la salle et certainement le reste de la base. L'affrontement inévitable avait à présent une consistance matérielle, ce n'était plus qu'une question de jours.

- Au moins, nous sommes fixés, lâcha lentement Gaspard.

- Luna avait raison, appuya Martial. Irina Malcolm nous envoie carrément une invitation à se foutre sur la gueule. Ça promet.

Gaspard se racla la gorge puis se mit à engloutir de grosses portions de purée sous l'œil circonspect de son ami. Autour d'eux, personne ne songeait à manger et les discussions allaient bon train. Quelques soldats avaient même abandonné leurs plateaux pour foncer à l'entrainement. Sentant sur lui le regard de Martial, le Revenant releva la tête :

- Niels va me convoquer dans les minutes qui vont suivre, je te parie ce que tu veux. Je ne vais pas y aller le ventre vide, si ?

- Non, s'amusa l'autre, tu as raison. Au moins la trouille ne te coupe pas l'appétit.

- On savait que ça allait arriver, mec. On sait juste quand, maintenant.

- Six jours, c'est peu, quand on pense que l'armée française vient juste de commencer à nous rejoindre. Ces gars ne seront pas prêts, Gaspard. Nous aurons l'avantage du nombre mais ça ne fait pas tout.

Le Revenant passa une main sur son visage en lame de couteau. Il s'exprimait posément, sans crainte, mais restait lucide sur la situation. Le bipper de Gaspard retarda la réponse de ce dernier qui le brandit avec un petit sourire : Niels voulait le voir.

- Je suis d'accord avec toi, dit-il en se levant, mais il fallait s'y attendre, non ? Malcolm a des yeux et des oreilles partout, des taupes à tous les niveaux. Elle a su en même temps que nous que le président acceptait de collaborer. Son message n'a rien d'hasardeux. Elle sait que nous avons des forces suffisantes pour que la boucherie soit mémorable, mais pas pour nous faire gagner. A son avis, du moins, parce que j'espère bien qu'on y arrivera.

Martial lui accorda l'argument d'un signe de tête et se mit debout à son tour. Le réfectoire se vidait à toute allure et il songea que le repos ne serait pas de mise jusqu'à l'heure fatidique. Bientôt, ils iraient à la guerre.

- Je vais essayer de trouver Lynx, déclara-t-il. Il se planque tout le temps, je ne sais pas s'il vaudra quelque chose sur le terrain.

- Il le faudra bien. La mort de Léo nous touche tous, Lynx a besoin qu'on lui secoue les puces. Luna se fera un plaisir de nous aider en revenant.

- Elle ne se presse pas trop pour rentrer, nota Martial. Elle pourrait aussi flanquer un coup de pied au cul à ce crétin de Capeyti.

- Quand on parle du loup...

Gaspard eut une grimace faussement horrifiée qui fit rire son équipier. Il avait repéré le colonel dans la foule et celui-ci venait indubitablement vers lui, les épaules rejetées en arrière pour mettre en valeur ses muscles et le crâne luisant sous les lampes. Constatant que son ami regardait la même chose que lui, Martial posa une main sur son bras :

- Dis, tu crois qu'il se passe de la pommade tous les matins pour entretenir sa peau ?

- Vu comme ça brille, je dirais même qu'il utilise du beurre.

Martial réprima à grand peine un éclat de rire qui devint un simple gloussement, mais il préféra détaler avant que le colonel ne parvienne à leur hauteur. Quelque chose lui disait que l'humour n'était pas la qualité principale de Capeyti.

- Soldat Olbec, Niels nous attends, déclara le militaire en claquant des talons.

- Allons-y, opina Gaspard qui réussissait à ne pas sourire.

Il accompagna le colonel dans l'escalier puis dans l'ascenseur en suivant distraitement l'interminable bavardage de l'autre à propos de batailles et de tactique militaire. Ils atteignirent rapidement la zone des opérations stratégiques et Gaspard s'avança en hâte dans le couloir.

- Bref, conclut alors Capeyti à la suite d'une tirade que son compagnon n'avait pas écoutée, nous allons bientôt remettre ces chiens à leur place et leur faire mordre la poussière.

Gaspard stoppa net, dévisageant le militaire avec incrédulité :

- Ces chiens ? C'est une blague, Capeyti ?

- Quoi ?

- Ces chiens ! aboya le Revenant. La moitié des rebelles sont des Améliorés ont du sang de mutant dans les veines ! Ce seront vos frères d'arme dans quelques jours et vous les traitez de chiens ? Ils se battent depuis plus longtemps que vous, ils méritent votre respect.

Le colonel haussa les épaules avec une indifférence qui donna envie à Gaspard de lui coller son poing dans la figure jusqu'à ce que son nez saigne. Il serra les dents, une veine palpitant à sa tempe.

- Il s'agit peut-être pour eux d'un moyen d'expier les fautes de leurs congénères, soldat, lâcha l'autre, mais ça ne change rien à ce qu'ils sont. Une espèce contre nature !

- J'en connais une autre, d'espèce contre nature, siffla Gaspard. Celle des gros cons. Et malheureusement, ils se reproduisent plus vite qu'on ne croit.

- Soldat Olbec, à votre place, je...

- Vous n'êtes pas à ma place, Capeyti. Vous êtes sous mes ordres aussi longtemps qu'Albert Niels en aura décidé ainsi et vous allez fermer votre clapet si vous n'avez rien d'intelligent à dire. Il n'est pas question que votre stupidité engendre des tensions entre l'armée et les Revenants à la veille de l'affrontement que nous redoutons tous. Votre grade, vous pouvez vous le fourrer dans le cul.

Le militaire toisa Gaspard et ouvrit la bouche avec fureur pour répliquer mais n'eut pas le temps d'aller jusqu'au bout. Steve Marx venait d'apparaître au bout du couloir, les sourcils levés car il avait sans doute entendu une partie de l'échange. Capeyti renonça donc et se détourna, le dos raide pour s'engouffrer dans la salle de réunion dont il claqua la porte. Gaspard s'autorisa un sourire qu'il adressa à Steve mais celui-ci resta planté là sans poursuivre son chemin.

- Tout va bien ? s'enquit Gaspard.

- Oui. Enfin, non. Tu as une minute ?

Le Revenant s'approcha. Après Samuel, c'était au tour d'un autre ami de Luna d'avoir besoin de lui parler. Gaspard se demanda si la jeune femme ne l'avait pas recommandé en tant que psy pendant son absence...

- Vite, alors, dit-il. Niels veut me voir, nous avons des urgences à régler.

- Je sais. Paris à évacuer ?

- Probablement. Ces gens doivent être mis à l'abri, autant que faire se peut. Qu'est-ce qui t'arrive, Steve ?

Le fils de l'ancien directeur balaya le couloir des yeux avec crainte et déglutit.

- Je voulais en parler à Luna, mais je n'ai pas pu avant qu'elle ne parte en mission. Il faut que j'avertisse quelqu'un, Gaspard et je te fais confiance. Je...

Gaspard croisa patiemment les bras et étouffa un soupir las.

- Je sais que vous recherchez le traître qui a fourni des informations à l'ennemi et organisé l'attaque au gaz. Je ne veux pas qu'on m'accuse d'avoir caché quoi que ce soit, donc je dois te dire que... Je communique avec quelqu'un à l'Institut.

Le Revenant crut avoir reçu un coup de poêle dans la face et secoua la tête. Qu'avait-il dit ?

- Tu fais quoi ? siffla-t-il.

- J'ai réussi à établir une connexion sécurisée pour avoir des nouvelles d'un de mes amis, et...

Gaspard le saisit au col et le plaqua brutalement contre le mur. Steve le surpassait en force mais ne se défendit pas. Il leva les mains comme pour se protéger le visage.

- Je ne suis pas un traître, plaida-t-il. S'il te plait, écoute-moi, Gaspard, je n'ai rien fait de mal !

- Rien fait de mal ? Tu parles encore à ton petit copain resté à l'Institut et tu oses prétendre que ce n'est pas grave ?

- Nous n'avons échangé que des nouvelles, protesta faiblement Steve. Pourquoi je viendrais t'avouer ça si j'avais quelque chose à me reprocher ? J'ai besoin que tu me croies parce que si on découvre mes liens avec Ismaël...

- Tu imagines que je vais te couvrir ? interrogea sèchement Gaspard. Je ne vais pas risquer ma tête pour toi, Steve Marx. Et je ne pense pas non plus que Luna le ferait.

Le Revenant lâcha l'Amélioré et le foudroya du regard. Bon sang, mais à quoi jouait-il ? Cela n'avait aucun sens, ou alors Gaspard n'était pas en mesure de le saisir. Il se massa le front, réfléchissant à ce qu'il devait faire. Steve ne bougea pas, l'air résigné, ce qui eut le don d'agacer encore plus le jeune homme.

- Je n'aurais jamais mis en danger la vie d'Amanda, murmura l'ancien amnésique. Je le jure.

- Ah ouais ? Mais qui es-tu, Steve Marx, hein ? Geb, le sympathique Amélioré sans mémoire, ami de Luna et d'Amanda, ou Steve, fils d'un directeur psychopathe ayant retrouvé ses souvenirs ? Qui ai-je devant moi ? Je parie que ça doit faire un drôle de mélange, là-haut.

Gaspard se tapota la tête pour illustrer ses propos. Une aura de sincérité émanait de Steve, pourtant il avait du mal à le croire. Son interlocuteur ne mit pas plus de quelques secondes à répondre, mais parut réfléchir sincèrement à la question.

- Je ne suis ni l'un ni l'autre, mais je ressemble sûrement un peu à Geb. Tu dois savoir ce que fait la mutation, Gaspard. Luna ou un autre GEN t'en aura parlé. Le sérum améliore les capacités et les qualités déjà existantes chez le sujet de base, mais une fois qu'il a pris tout ce qui était utile, il efface le reste. Le corps humain ne sert que de matière première, en quelque sorte, ce qui signifie que tout ce qui composait cette personnalité doit disparaître pour produire un nouvel être. Les sentiments, les anciennes attaches, tout s'étiole et devient secondaire pour le GEN. Sa vie d'avant ne compte plus.

- Je suis au courant, fit remarquer Gaspard. Luna en fait les frais avec son frangin. Elle l'a sauvé par principe mais elle ne l'aime plus.

- Exact. C'est pareil pour moi et mon père. J'ai certainement accepté ses agissements, autrefois, et participé à ses expériences de manière volontaire mais c'est terminé et cela ne représente plus rien. Mon amitié pour Amanda et Luna, mon amour pour Ismaël, eux, sont réels. Je ne mens pas.

Il y eut un silence plombé pendant lequel Gaspard chercha à définir la marche à suivre. Madeleine choisit cet instant pour surgir de l'ascenseur et tapota sa montre avec une impatience non dissimulée pour s'engouffrer dans la salle de réunion. Gaspard grommela dans sa barbe et planta son regard dans celui de Steve.

- Je fais confiance à Luna, c'est une chance pour toi, déclara-t-il, alors je ne vais pas te dénoncer. Pas tout de suite, en tout cas.

- Très aimable à toi.

- J'ai deux conditions, Marx. La première, c'est que dès que j'aurais deux minutes de libres dans ce foutoir, tu m'emmèneras voir les conversations échangées avec monsieur Sallah. Un génie comme toi doit avoir supprimé ses traces mais je suis persuadé que tu as un moyen de nous dégoter une sauvegarde quelque part. Je veux tout lire. Tout.

- Si tu veux, grinça l'autre.

- Je me fiche de tes histoires de fesse, Steve. Je vais simplement m'assurer qu'aucune information confidentielle n'a pu filtrer.

- Et la seconde condition ?

- A partir de maintenant, tu vas travailler jour et nuit s'il le faut sur les puces de contrôle dont se sert le docteur Malcolm. Vince est sur le coup, mais il n'a pas que ça à gérer, surtout avec l'ultimatum posé par nos ennemis. On n'a pas encore réussi à localiser Laure Costa avec la clef USB de Luna, et je pense que cette femme va devenir le cadet des soucis de Niels. Inutile d'attendre après elle.

- Je dois trouver comme les désactiver, résuma lentement Steve.

- Oui. C'est notre meilleure chance de ne pas tous finir six pieds sous terre. Désactive-les, détraque-les, fais ce que tu veux, mais nos adversaires devront être perturbés pendant le combat, ou, dans l'idéal, mis hors service. Compris ?

Steve opina du chef et n'ajouta rien. Ce qu'il comprenait surtout, c'était que l'équipier de Luna voyait dans cette tâche une occasion pour lui de prouver sa bonne foi et sa loyauté. Il n'avait plus qu'à la saisir en espérant que personne ne vienne fouiner dans son coin.

- J'y vais, l'informa alors Gaspard en lui tapotant l'épaule.

Le Revenant se dirigea vers la porte puis fit volte-face :

- Une dernière chose, Steve. La menace d'un humain face à un Amélioré ne pèse pas lourd, mais je te préviens. Luna saura tout à son retour. Si tu fais un pet de travers, elle se chargera de te dire sa façon de penser.

- Tu commence à bien la connaître, rit le technicien.

Gaspard s'autorisa un sourire et s'en fut rapidement rejoindre la salle de réunion en souhaitant ne pas avoir à regretter sa décision.

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