Chapitre 32
L'aéroport international de Rio de Janeiro grouillait d'activité lorsque mon avion s'y posa vers dix-neuf heures, heure locale.
Enroulée dans un sweat trop grand, le visage dissimulé en partie par une casquette, je me levai lorsque les autres passagers commencèrent à récupérer les bagages cabines. Un homme me bouscula et sourit pour s'excuser puis fila dans l'allée. Il n'avait même pas tiqué sur mon apparence, ce dont je me félicitais. Les femmes se maquillaient en général pour se rendre plus jolies mais j'avais fait l'inverse afin de me créer des cernes et un teint fatigué tout à fait de rigueur après autant d'heures de vol. Ceci ajouté à des vêtements passe-partout m'aidait à me fondre dans la masse. A moins d'être soi-même un GEN et de me détailler en long et en large, il était impossible de m'identifier.
Mon sac de voyage à la main, je descendis de l'avion et traversai sagement le tarmac derrière les autres passagers. Nous pénétrâmes à l'intérieur du bâtiment et je passai sans m'arrêter devant le pôle lié à la récupération des bagages après vérification de mon passeport par un employé à l'air profondément ennuyé. Evitant avec soin les caméras, je fis tout de même un détour par les toilettes pour renforcer l'impression de naturel que je dégageais. C'était peut-être inutile puisque personne ne me regardait, mais on n'était jamais trop prudent.
Une fois sortie de l'aéroport, je fus avalée par l'agitation des rues en cette fin de journée. Les piétons se massaient le long des trottoirs et les coups de klaxon résonnaient autour de moi. Je hélai rapidement un taxi et grimpai dedans en me repassant mentalement le chemin conduisant à ma destination. Un petit tour sur un logiciel GPS avait suffi à le graver dans ma mémoire. Je donnai mes instructions au chauffeur, un petit homme râblé, et celui-ci sourit dans le rétroviseur :
- Copacabana ? On est venue faire du tourisme ?
- Des affaires, plutôt, corrigeai-je en portugais impeccable. Je n'ai jamais eu le temps de visiter cette ville que l'on dit magnifique.
- Splendide, oui ! s'égaya l'autre en embrayant. La statue du Christ Rédempteur vaut le détour, si vous voulez mon avis. J'espère que vous trouverez du temps pour aller y jeter un œil.
- Je ne pense pas, dis-je en me tournant vers la fenêtre, mais une prochaine fois, peut-être.
Le chauffeur rit bien fort et se concentra sur sa route. Nous échangeâmes des banalités pendant que les bouchons nous ralentissaient puis il put accélérer. Je fis attention à ma position dans l'habitacle pour que l'homme ne puisse pas voir mon visage en entier et je rajustai ma casquette. Nous étions tout près, à présent.
- Arrêtez-vous ici, ordonnai-je en reconnaissant le quartier vu sur le GPS.
- Oui, madame.
Par-dessus l'épaule de mon chauffeur, je tendis la main vers la sienne, ouverte, et y déposai la somme correspondant au déplacement effectué. Après quoi, j'ajoutai un billet supplémentaire qui lui fit ouvrir de grands yeux.
- Attendez-moi là, je n'en ai pas pour longtemps. Vous avez un numéro de portable sur lequel je pourrais vous joindre pour que vous veniez me récupérer ? Je dois ensuite me rendre à mon hôtel.
- Bien sûr, madame. Merci, dit le chauffeur en se faisant un devoir de prononcer le dernier mot en français.
Je sortis du véhicule et claquai la porte derrière moi, puis attendis que le taxi se fut garé sur le bord pour m'éloigner, volontairement dans le sens opposé à celui qui m'intéressait réellement. Rio était plus calme, ici, du fait de ma proximité avec des quartiers plus résidentiels, et surtout, très riches. Ipanema, celui que je visais, était réputé pour son chic avec sa plage parmi les plus belles du monde.
Je retirai mon sweat sous lequel je portais un simple t-shirt gris imprimé ananas et lissai ce dernier sur mon pantalon de toile. J'avais l'allure d'une touriste ordinaire. D'un pas assuré mais absolument pas pressé, je remontai une rue faiblement éclairée et fit un large détour avant de revenir sur ma trajectoire de base, ce qui me prit de longues minutes. Je croisai quelques promeneurs profitant de la fraîcheur du début de soirée et se rendant à la plage. Si la France était touchée par un désordre climatique encore jamais vu, il régnait à Rio la chaleur attendue d'un tel pays. Je m'engageai enfin dans une large rue aux massifs bien entretenus et longeai un certain nombre de villas toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Jardins immenses taillés avec soin, piscine avec lumière colorées dans le fond et portails hautement sécurisés s'alignaient, avec en prime, une belle vue mer pour leurs propriétaires. Je ne pensais pas m'être trompée dans mes recherches, mais on pouvait dire que mon contact ne se refusait rien...
Le septième portail sur la gauche me fit stopper net. C'était là. Un simple entretien et je n'aurais plus qu'à sauter dans le premier avion de retour pour rejoindre la base. Avant que je ne coupe toutes mes communications, Gaspard m'avait appelée pour m'informer qu'un premier convoi de militaires avait débarqué à la base et que leur entrainement avait commencé, ceci moins de vingt heures après la venue du président. Le Premier Ministre avait refusé en bloc toutes les propositions des jumelles Maturet et de Castel pendant la réunion, mais Hubert avait pris la décision finale. Gaspard, parce qu'il faisait partie de mon unité et savait combattre les membres de mon espèce, Stone et quelques autres GEN étaient censés commencer la formation de nos nouveaux alliés en mon absence. Quelque chose me disait que si la cohabitation entre Revenants s'était toujours bien passée grâce à un objectif commun et une volonté de s'unir, il n'en serait probablement pas de même avec l'armée française. Je sentais que j'allais découvrir une ambiance électrique à mon retour.
Devant l'interphone du portail en fer forgé qui me surplombait, je dégainai mon portable, la version dépassée de P.I.A en marche et collai ce dernier à l'appareil. En quelques secondes, il m'afficha la suite de chiffre – 5, 6, 5, 0, 5 – à taper pour déverrouiller l'entrée. J'esquissai un sourire et m'exécutai immédiatement. Ulrich Marx avait jugé bon de remplacer le programme par N.I.A mais je trouvais une grande utilité à l'ancienne version car elle était indétectable pour le serveur de la nouvelle intelligence artificielle.
Le portail s'ouvrit sans un bruit sur une allée pavée encadrée de grands arbres et remontant jusqu'à un garage au niveau inférieur de la maison. Tout transpirait le luxe, depuis la voiture de sport rouge que l'on n'avait pas pris la peine de rentrer jusqu'à un petit terrain de golf privé semblant s'étendre derrière la villa. Des pas japonais agrémentaient une pelouse vert vif dont pas un brin d'herbe ne dépassai et je les empruntai pour atteindre la porte. Une caméra se tourna vers moi mais j'avais la figure cachée sous ma casquette lorsque je sonnai. Un ding-dong sonore emplit la maison et le bruit d'une personne dévalant un escalier s'ensuivit.
Alors, le battant s'écarta sur des traits que je n'avais pas contemplés depuis des années et dont je me souvins pourtant comme si je les avais vu la veille.
- Que... ? Mademoiselle Hill ?
- Bonsoir, sénateur Reilly.
***
Trois ans et demi plus tôt – Résidence du sénateur Gabin Reilly
...
- Je suis désolée, couinai-je, je suis désolée. Je ne voulais pas. Je..., je suis désolée.
Personne ne répondit et mes frissons redoublèrent. J'avais tué. J'étais une meurtrière.
Me balançant d'avant en arrière avec la certitude que j'étais seule depuis une éternité, dans ce couloir démoli, je tournai la tête vers le sénateur Reilly.
Le teint gris de cendre, du sang imprégnant sa chemise, il ne bougeait plus. Juste avant l'explosion, il avait porté la main à sa veste et, presque inconsciemment, je passai une main dessous. Une feuille poissée de rouge effleura mes doigts, feuille que je cachai dans ma combinaison. La liste.
Envahie par le froid, je posai la tête contre le mur et continuai à observer le sénateur. Son torse se soulevait encore, mais à peine. Sa vie, ténue, s'échappait avec le sang qu'il perdait, et bientôt, il aurait rejoint le roux, Chaffaron et les autres. Le pire, c'était que cette idée ne me faisait rien...
Fascinée par ce souffle qui ne tenait plus qu'à un fil, je ne le quittai pas des yeux.
Marx aurait donc ce qu'il voulait. Sa putain de liste et moi. Un toutou de plus à son service, et cette évidence me donnait envie de hurler. Que devrais-je encore accomplir pour lui ? Quelles horreurs ? Je ne doutais pas qu'il y avait pire que de tuer un homme pour se défendre, dans le feu de l'action. Malgré la préparation d'Allan, j'allais devenir un monstre.
Soudain, le sénateur Reilly toussota un peu d'écume rosâtre et gémit en basculant sur le flanc. Clouée sur place, je le fixai comme si je le voyais pour la première fois. Bon sang, il n'était pas mort ? Il revenait à lui ? Tirée du choc causé par la mort du roux, je rampai près de lui et l'examinai. La douleur l'avait propulsé dans l'inconscience de prime abord, mais le flot de sang était un peu moins important qu'au départ. Le pieu planté entre ses côtes jouait le rôle de bouchon. Je déglutis difficilement, la cervelle sur le point de surchauffer tant elle fonctionnait.
- Sénateur ? Vous m'entendez ?
Je n'obtins pas de réponse, le cœur battant et me tournai vers le couloir soufflé par l'explosion. Je bénéficiais d'une minute, deux maximum pour agir et... Agir ? Non, mais à quoi pensais-je, là ? Ce type agonisait sur le sol, il n'y avait rien à faire du tout. Non ? Partant du principe qu'il était humain et avait déjà perdu pas mal de sang, combien de temps lui restait-il à vivre ?
Je jurai tout haut et installai Reilly en position assise sans même réfléchir. Allan m'avait prise sous son aile en me jurant que je pouvais espérer garder un semblant de liberté si je courbais l'échine devant le directeur. Épargner ma propre cible au nez et à la barbe de tous était peut-être un bon début. Encore fallait-il que le sénateur survive... En un éclair, j'avais fait un choix, bien qu'une part de moi-même restât persuadée que c'était une grosse bêtise qui causerait mon découpage en rondelles si on me démasquait.
Je soulevai Reilly et le calai contre moi avant de détaler sans plus attendre vers le fond du couloir où se trouvait une issue de secours sous la forme d'un escalier métallique qui conduisait dans la pelouse. Comme la résidence accueillait beaucoup de personnel, elle devait bénéficier d'évacuations correctes. J'écartai la porte d'un coup de mon épaule blessée qui me fit grimacer et me jetai dans les marches, un décompte mental défilant sous mon crâne.
Alors que j'arrivais à hauteur des premiers arbres, le sénateur se remit à remuer et je le déposai en hâte contre un tronc pour lui retirer sa veste. Il papillonna des paupières, une lueur d'incompréhension dans le regard, puis laissa retomber sa tête. Avec des gestes rapides et précis, si concentrée que j'en oubliais la situation, je le calai de manière à ce qu'il ne puisse pas tomber et sortis mon portable. Après un dernier coup d'œil à Reilly, je me résolus à l'abandonner et passai mon appel, fébrile.
- Monsieur Tom, répondit une voix masculine à la première sonnerie. Transport de personnes particulières vers des lieux particuliers.
- J'ai besoin d'une récupération de colis, jetai-je, le souffle court, en m'agrippant à la rambarde de l'escalier que j'avais rejoint.
Monsieur Tom était un contact d'Allan que je n'avais pas encore eu l'occasion d'appeler moi-même. C'était désormais chose faite. Je ne fis pas dans la dentelle parce que tout ce qui intéressait ce personnage bizarre était sa commande et son paiement.
- Quel genre de colis ?
- Un cadavre, si vous tardez trop à venir à l'adresse de cet appel, cinglai-je. Le blessé doit recevoir des soins le plus vite possible. Votre prix sera le mien. Je peux virer un acompte si vous le désirez.
- Il me faut une garantie. Et un nom.
- Monsieur Alexander, prononçai-je une fois arrivée en haut de l'escalier en utilisant l'identité sous laquelle Tom connaissait mon mentor. Je possède également une liste d'informations à vous remettre ultérieurement.
- Monsieur Alexander ? Entendu, alors. Je saurais comment vous contacter.
Le chauffeur particulier raccrocha. Les mains tremblantes, je retournai en courant près du roux étalé sur le sol, la face explosée par la balle et le mis sur le dos. J'avais dépassé le temps imparti et si quelqu'un d'autre qu'Allan débarquait maintenant... Je m'empressai de plonger les doigts dans son sang et de lui en barbouiller cheveux et visage pour dissimuler ses traits, puis lui enfilai la veste de Reilly. Une fois le feu passé par ici, il ne resterait pas suffisamment d'ADN pour savoir qui était le mort. Du moins le pensais-je, mais rien n'était certain. Enfin, je me saisis d'un long pieu identique à celui qui avait transpercé les côtes du sénateur et le plantai férocement dans la poitrine. Il en résultat un bruit écœurant qui me donna la nausée. Reilly pouvait bien s'en sortir, ça n'effacerait pas ce que je devenais. Une tueuse.
Les jambes coupées, peinant à réaliser que je venais vraiment de sortir l'homme que je devais assassiner de sa maison pour lui sauver la vie, je m'affalai contre le mur, sonnée...
- C'est bon, elle est ici !
- Dépêche-toi, la baraque flambe, on va griller !
Des pas, des voix. Sortant du brouillard dans lequel je flottais, je vis s'encadrer dans mon champ de vision le visage soucieux d'Anne-Lucie Hubbel. Je clignai des paupières, perdue.
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