Chapitre 30
- Baner Sylvain.
Bang !
- Bilanga Lucinda.
Bang !
- Di Martino Tiffany.
Bang !
Le vent froid s'était levé et balayait sèchement la cour du quartier général. Le soleil, timide à cette heure matinale, se cachait encore derrière les nuages, rendant la lumière piquante.
C'était dans cette ambiance lugubre que deux mille Revenants en uniforme s'étaient rassemblés dans la cour pour célébrer les funérailles. Médecins, pilotes, soldats et civils s'alignaient donc en rang d'oignons, les bras dans le dos pour écouter Niels lister les morts et Madeleine ponctuer chaque nom d'un tir à blanc.
Immobile à la droite de Niels, je laissai mon regard errer d'une personne à l'autre. Tout d'abord, Samuel, entouré des autres pilotes et impeccable dans sa tenue de rebelle, puis Steve Marx qui se tenait légèrement en retrait de ses collègues mécaniciens. Tous deux ne cillaient même pas aux coups de feu et regardaient droit devant eux, les yeux empreints de solennité. Ensuite venait Nathan. On avait refilé à mon frère un simple t-shirt marqué du poing fermé des Revenants pour se joindre à la cérémonie. Il se dandinait nerveusement et épiait tout le monde avec une expression de biche traquée. Après lui, une grosse masse de médecins et d'infirmiers en blouse blanche s'était rassemblée pour pleurer Lucinda Bilanga et les six autres soignants qui n'avaient pas survécu à l'attaque. Je ne vis pas Brittany parmi eux, car elle avait accepté de rester à l'arrière pour prendre soin des jumeaux. Amanda les lui avait confiés de bon cœur et avait rejoint les membres de mon unité pour la durée des funérailles. Mon amie se trouvait d'ailleurs un peu plus loin sur la gauche, les cheveux tressés strictement et le dos bien droit. Elle avait retrouvé une ligne miraculeuse à faire vomir de jalousie les accros du bikini de l'été et ne cachait pas son intention de reprendre l'entrainement pour être en capacité de se battre le moment venu. Je ne pouvais pas l'en empêcher mais une partie de moi désapprouvait. J'avais juré à Tribal de veiller sur elle et les petits, mais qu'en serait-il si elle se rendait sur le champ de bataille ? Dans la catégorie mère-poule, je n'étais pas la mieux placée pour m'occuper de ses enfants en cas de problème...
Nacera, Lynx, Martial et Gaspard se groupaient à proximité d'Amanda et je regrettai un instant de ne pas être avec eux. Cependant, Niels m'avait priée de venir à ses côtés pour le début de l'hommage rendu aux victimes et j'avais décidé de dire oui, histoire de marquer mon intention de coopérer avec lui, et rien que pour me délecter de l'air mauvais qu'affichait Madeleine. Plus le temps passait et plus j'en venais à croire que l'animosité de la GEN envers moi était liée à de la crainte. Madeleine avait peur de moi, mais pas uniquement pour le danger que je pouvais, à ses yeux, représenter pour la rébellion et ses doutes concernant ma loyauté. Elle était en vérité inquiète quant à mon influence sur son entourage – dont Niels. Je le sentais. Evidemment, j'étais un leader, façonnée ainsi par Marx qui avait eu besoin d'une créature parfaite et capable de conduire les autres dans la bataille, mais je me fichais du pouvoir de Niels. Et si Maddie s'imaginait que je voulais me taper son amant... Non merci !
- Sigman Marc-Antoine.
Bang !
Je basculai mon poids sur une seule jambe sans quitter Gaspard des yeux et pinçai les lèvres au coup de feu suivant. La liste était presque achevée, et j'avais hâte de retourner avec mon unité. La mort de l'un des nôtres nous liait désormais avec une plus grande force. Cela dit, ce constat n'enlevait rien à l'injustice de la perte de Léo et à la colère que chacun éprouvait contre l'ennemi, Gaspard le premier. Il n'était pas sujet à la rage comme les GEN mais je savais qu'il en voulait à l'Institut comme jamais, et surtout au traitre qui se terrait parmi nous. Pendant la nuit passée tous les deux au dortoir après un entrainement tardif – Lynx avait dormi devant son ordinateur et Martial était introuvable – il m'avait raconté ses souvenirs de formation avec le colosse, empreint de nostalgie. Il me rappelait ce que j'avais éprouvé lorsqu'Allan s'était fait tuer ainsi que le vide qui m'habitait encore. Irina ne perdait rien pour attendre.
- Zang May.
Bang !
Le bruit du dernier tir, suivi d'un silence, parut se diluer dans l'air progressivement. Nul ne broncha, sachant que la cérémonie n'était pas terminée. A présent, les cercueils de fortune contenant les corps allaient être acheminés au crématorium collé au hangar 3 et les adieux se feraient en regardant les cendres s'envoler par la cheminée. Il n'y avait pas de place au quartier général pour les sépultures.
- Commandante ?
Albert Niels avait pivoté vers moi. Sa demande muette était formulée par des sourcils haussés et un pli de bouche. Normalement, à ce stade, c'était au chef Revenant de faire un discours mais je m'étais doutée qu'il n'avait pas requis ma présence uniquement pour faire de la figuration. Niels souhaitait que je m'adresse à la foule pour clore les funérailles.
Alors que la première fumée sortait du crématorium et que deux Revenants emmenaient le mort suivant, je hochai légèrement la tête et m'avançai. Niels s'effaça sous l'œil furieux de Madeleine. Tirée à quatre épingles avec mon uniforme et mon chignon serré, j'embrassai l'assemblée du regard avant d'ouvrir la bouche :
- Camarades Revenants ! Aujourd'hui, nous nous tenons ici, ensemble, pour pleurer nos morts. Aujourd'hui, nous sommes en deuil. Aujourd'hui, nous sommes en guerre !
Je fis une pause et fis un pas en avant sur la petite estrade. Je vis des épaules se redresser et des expressions farouches se peindre sur quelques visages.
- Notre ennemi a frappé, repris-je d'une voix forte. Il nous a atteint par sa ruse et sa lâcheté, car une telle attaque n'est pas digne de ceux qui se vantent d'être supérieurs et impossible à vaincre ! Il nous a atteint et a mené vers la mort nos proches, nos frères d'armes pour semer dans nos cœurs le doute et la peur. Camarades ! Relevez la tête ! Relevez-la, et rappelez-vous ce que vous faites ici ! Pourquoi vous levez-vous chaque matin pour vous entrainer et prendre des coups ? Pourquoi vivez-vous dans un bunker protégé ? Pourquoi passez-vous votre temps à craindre pour vos familles, vos amis ? A craindre pour vos vies ? Nous avons tous une raison qui nous pousse à lutter, mois après mois, contre cet ennemi qui nous dépasse, une raison personnelle qui donne du sens à ce que nous faisons, du sens aux Revenants ! Rappelez-vous quelle est cette raison, et préparez-vous à regarder l'Armée Noire en face avant de la réduire à néant ! Le moment venu, vous aurez la force de l'affronter !
J'écartai les bras pour englober tout le monde, encouragée par les sourires et les hochements de tête. Le nom de l'Ange Noir flottait sur les lèvres, même si je n'aimais pas le surnom. Le symbole qui se cachait derrière galvanisait les Revenants.
- Hier, l'Institut Bollart a planté un couteau dans notre dos. Mais puisqu'il a échoué à nous tuer, demain, nous lui tirerons une balle dans la tête. Et il ne s'en relèvera pas ! Pour la paix et la liberté !
- Pour la paix et la liberté ! rugit la foule.
Des applaudissements suivirent, accompagnés de sifflements et de cris approbateurs. Derrière nous, les dernières cendres s'éparpillèrent au vent.
***
- Beau discours.
- Merci. C'est l'un de mes talents cachés.
Gaspard émit un petit rire et se tourna lentement vers le hangar 3. Le rassemblement se dispersait peu à peu, par petits groupes, mais la matinée ne serait sans doute pas productive pour grand monde. Pourtant, il faudrait bien vite se remettre à l'ouvrage et à l'entrainement.
- Léo aurait adoré.
Mon équipier fixa le ciel avec tristesse et secoua la tête avec désolation.
- Il est parti, chuchota Lynx d'un ton chevrotant.
Personne ne trouva rien à ajouter. C'était la première fois que j'entendais le son de la voix de l'informaticien depuis le décès de notre compagnon. Lynx fuyait les regards, ébranlé par tout cela. Lui qui n'aimait ni le combat, ni la mort, il était servi !
- Les gars, je dois vous dire quelque chose.
Martial rompit brusquement le silence et je lui jetai un coup d'œil étonné. Avec un ton pareil, je m'attendis à ce qu'il annonce une catastrophe.
- C'est grave ? bafouilla Lynx.
- Oui, enfin, non, mais...
Martial hésita.
- Je vais vous laisser, suggéra Nacera.
- Non, reste, insista le Revenant. Tu fais partie de l'unité, maintenant, et puis je ne pense pas que tu sois la plus gênée par ce que j'ai à dire.
- D'accord.
La jeune femme sourit et ne bougea pas. Je fixai Martial, impatiente. Ce dernier prit de l'air comme s'il allait piquer un sprint, le visage rouge brique.
- Alors, voilà, murmura-t-il. Je suis gay. La nuit dernière, j'étais avec Steve Marx.
Il y eut un moment de flottement pendant lequel je cherchais ce qu'il y avait de terrible dans la déclaration de Martial qui semblait au bord du malaise. Il aimait les hommes, oui, et alors ? Cela ne regardait que lui et n'avait pas de quoi nous choquer. Amanda ouvrit aussitôt la bouche mais le Revenant l'arrêta vivement :
- Je suis désolé. Pas d'être gay, mais de ne pas en avoir parlé avant. C'est que... Ma famille ne l'a jamais accepté et j'avais peur que ce soit pareil avec vous. Mes amis de lycées disaient qu'il valait mieux ne pas se retrouver seul dans un couloir avec moi, après l'avoir appris.
- J'ose espérer que tu ne fréquente plus ces gens, grinça Gaspard.
Un sourire lumineux éclaira les yeux gris de Martial et tout le poids du monde s'envola de ses épaules.
- Léo ne savait pas, dit-il, et je regrette de ne pas avoir été franc avec lui. C'est pour ça que je devais tout vous avouer immédiatement.
- Je ne vois pas en quoi ça nous gênerait, commenta Amanda. C'est ta vie privée, et tes orientations ne changent pas ce que tu représente pour nous.
- Si tu savais comme ça me soulage ! s'exclama Martial en écartant les bras. Je ne savais pas trop ce que vous en penseriez en tant qu'Améliorées, les filles.
J'échangeai un coup d'œil avec mes deux congénères et vis Nacera secouer la tête :
- Les GEN se fichent éperdument de savoir si tu couche avec une personne du même sexe, Martial. Ils sont très tolérants en la matière, mais ça n'a rien à avoir avec une quelconque ouverture d'esprit.
- C'est vrai, appuyai-je. Dans la mesure où nous ne pouvons pas nous reproduire naturellement, ça n'a pas d'importance. Que tu te tapes une femme, un homme ou une chèvre, le résultat sera identique.
- Avec tout de même une mention spéciale pour la dernière option, ricana Gaspard.
- Vous allez sortir ensemble ? Steve et toi ? intervint Amanda.
La jeune Noire battit des mains comme une fillette à la fête foraine. Elle était dans son élément avec les affaires de cœur et cela m'amusa.
- Je ne sais pas, admit Martial, je n'y ai pas réellement pensé. Cette nuit, c'était sous le coup de l'émotion, vous voyez ?
- En tout cas, si tu as besoin de conseils sur ce qu'il aime, demande à Luna. Elle est sortie avec lui, il y a quelques années.
- Hé ! protestai-je.
Amanda se couvrit la bouche avec les mains avec une expression désolée peu convaincante et je la foudroyai du regard. Je n'aimais pas étaler ces détails devant tout le monde, d'autant plus que Gaspard m'observait comme un chat devant une souris bien grasse. Il n'allait pas me lâcher avec cette histoire.
- Attends, tu es sortie avec Steve Marx, le fils du directeur psychopathe de l'Institut ?
- Je ne savais pas qui il était, à l'époque, et de toute manière, ça n'a pas duré longtemps. On n'avait pas grand-chose en commun, tous les deux.
- Et moi qui croyait qu'il n'y avait eu que Samuel !
- C'est ça, enfonce le clou, grommelai-je. Eh bien, non, il n'était pas le premier.
- Oh oh, la vie amoureuse de l'Ange Noir enfin déballée ! brailla Gaspard.
- La ferme, Olbec. Tu me payeras ça.
- J'en prends note, Deveille.
Les commissures de mes lèvres remontèrent d'elle-même car je n'étais pas vraiment fâchée. J'avais quasiment envie de rire, d'ailleurs, ce qui semblait très saugrenu à la fin d'une cérémonie de funérailles. J'administrai une tape sur l'épaule de mon équipier qui feignit la douleur avec une grimace. Martial, le front plissé, restait bloqué sur une chose :
- Tu es sortie avec Steve ? Vous avez couché ensemble ? Parce que je me disais que... Enfin, je suis humain et pas lui, alors j'ai peur que ça ne fonctionne pas sur le plan physique.
- Là, ça devient gênant, glissa Nacera.
- Ça n'a rien à voir, le rassurai-je sérieusement. Les GEN sont généralement très bons dans tout ce qu'ils font mais dans ce domaine ça ne veut rien dire.
- Tu en sais quelque chose, donc tu as dû fricoter avec des humains, lança Gaspard d'un ton candide avant de faire un clin d'œil à son ami. Ça, ça veut dire que tu peux tomber sur des humains très bon au lit comme sur des Améliorés qui baisent comme des pieds.
- Gaspard, il va falloir que tu surveilles ton langage en présence de mes fils, le gronda Amanda.
- Quoi ? s'étonna l'autre.
Martial rasséréné par ses révélations releva les épaules.
- En tout cas, merci, les gars, vous êtes super.
- De rien, mon vieux, opina Gaspard, mais à vrai dire je me doutais de quelque chose.
Comment ça ? Moi-même, je n'avais rien remarqué.
- Ah bon ? s'inquiéta Martial. Pourquoi ?
Mon équipier frotta sa barbe et ses iris aux reflets rougeoyants brillèrent en prévision de ce qu'il allait dire. Il haussa les épaules :
- Quand Luna est venue dormir chez nous, tu as refusé de m'aider à voir ses nichons pendant qu'elle sortait de la douche.
- Gaspard !
Mon cri tout autant que la tirade du Revenant firent souffler un vent d'hilarité bienvenue sur le groupe, à tel point que Lynx sortit de sa torpeur pour se tenir les côtes et que Nacera versa des larmes de rire. Je me calmai tant bien que mal mais redescendis vite sur terre en apercevant à l'extrémité du périmètre, par-dessus l'épaule de Martial, deux berlines noires franchirent la sécurité.
Le président Hubert était arrivé.
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