Chapitre 3
Je courrais.
Autour de moi, je distinguais à peine la forme des arbres et des rochers, juste assez pour ne pas tomber et les éviter à temps. Il faisait nuit noire, et la pluie était de la partie avec ses gros nuages qui opacifiaient presque entièrement la lumière de la lune.
Je sautai par-dessus un tronc d'arbre, me rétablis sans mal et accélérai. Je n'étais plus très loin du but. Au détour du sentier détrempé, le sol se changea en pente raide mais je ne faiblis pas et forçai encore l'allure. La paysage s'éclaircit soudain et les arbres se firent moins nombreux. Je contournai un amas de pierre et me retrouvai enfin sur un plateau herbeux surplombant une falaise. Le grondement de la rivière en contrebas emplit mes oreilles et je m'autorisai à m'arrêter.
Il était trois heures du matin. J'étais sortie de ma chambre à peine après le couvre-feu de vingt-trois heures et n'y étais pas retournée depuis. Le mauvais temps ne me stoppait jamais dans mon élan. L'effort sous la pluie était mille fois préférable au sommeil qui me fuyait. Cela faisait trois nuits d'affilée que je ne dormais pas.
Je regardai autour de moi, savourant le calme de l'endroit désert. Mon sweat était trempé, au même titre que mes cheveux que je roulai dans mes doigts pour les égoutter de mon mieux. Après quoi, je m'accroupis au bord du précipice, respirant à fond et fermai les yeux, contrôlant les battements de mon cœur. Ici, seule, je me sentais presque bien, presque apaisée, mais cela ne durait jamais. Il n'y avait qu'une personne qui aurait pu endormir le monstre en moi, et elle m'avait quittée pour ne plus revenir.
Quelque chose sonna dans ma poche droite et j'en sortis mon bipper. Il était temps de rentrer, à présent.
Je me remis en route plus lentement cette fois, et descendis un chemin tout juste visible à flanc de colline, m'enfonçant de nouveau entre les arbres touffus. La plupart viraient déjà à l'orange, surpris par la brusque chute des températures depuis plusieurs semaines. Désormais, ceux qui s'étaient désespérés de la sécheresse se plaignaient de pluies incessantes et d'inondations. Personne n'était jamais content.
Je continuai droit devant jusqu'à tomber nez-à-nez avec un grillage haut de sept mètres. Il était surmonté de rouleaux de barbelés qui dissuadaient facilement d'essayer de sauter par-dessus, même si quelqu'un comme moi en serait ressorti sans une égratignure. Je me contentai donc de le longer, les mains dans les poches, tandis que la pluie se transformait en crachin glacé. Sans me presser, j'atteignis l'angle du grillage puis poursuivis encore sur quelques mètres avant de stopper devant un grand portail de fer aussi austère que le reste de la barrière. Bardé de caméras de surveillance et d'un système d'alarme assez performant, il constituait la seule entrée officielle du périmètre. L'autre se trouvait être un tunnel de vingt kilomètres de long débouchant en pleine campagne. C'était par là qu'on faisait passer les prisonniers, les personnes indignes de confiance, et que l'on faisait évacuer la zone si nécessaire.
J'essuyai mes paumes sur mon pantalon et sortis de ma poche un badge gris métallisé que j'insérai sans attendre dans un boitier prévu à cet effet sur le devant du portail. Son voyant vira au vert et le battant s'entrouvrit de quelques dizaines de centimètres : juste assez pour me permettre de me glisser à l'intérieur. Il se referma d'un claquement sec et je balayai du regard ce qui m'entourait.
La base des Revenants.
Les souterrains que j'avais eu le privilège de visiter lorsque Niels m'avait obligeamment sauvée du poison n'étaient que la partie invisible du quartier général qui s'étendait en fait autant à la surface qu'en sous-sol. Dans le rectangle formé par le grillage et les barbelés se dessinait un vaste terrain goudronné surmonté de trois immenses entrepôts autrefois désaffectés – jusqu'à l'organisation de la résistance anti-GEN quelques années après la deuxième guerre mondiale. La Fourmilière ne comprenait en fait que les quartiers d'habitation, l'hôpital et ses bureaux sous la surface, et les entrepôts, tout le reste. Ils étaient disposés en U en plein milieu de la zone et regroupaient stocks d'armes, véhicules, transports aériens ou encore salles d'entraînement. Seul celui formant la barre droite du U – le hangar 3 – possédait un accès aux souterrains.
En arrivant ici, j'avais eu la sensation d'entrer dans un camp militaire, ce qui, en tenant compte de l'état de guerre du pays, ce n'était pas tout à fait faux.
J'avançai sur l'allée de gravillons, le visage dégoulinant de pluie et croisait une jeep avec deux hommes à son bord. Ils me saluèrent d'un signe de tête, armés jusqu'aux dents et je les suivis des yeux le temps qu'ils rejoignent le bord du périmètre et se mettent à rouler au pas le long du grillage. Il y avait des patrouilles jour et nuit, Niels y tenait et n'aurait pas toléré le moindre relâchement. Cela dit, quand on avait un ennemi aussi puissant, mieux valait se tenir prêt...
En vue du hangar numéro 1, communément appelé « le 1 », je notai la silhouette masculine adossée au mur, les bras croisés sur le torse. Gaspard Olbec m'attendait, à l'abri des gouttes sous le préau formé par l'avancée du toit. Fidèle à lui-même, avec ses pommettes saillantes et ses yeux noisette brillant, il se passa une main dans les cheveux. Récemment, il avait décidé de couper plus court ses cheveux jusqu'aux tempes tout en gardant un peu plus de longueur sur le dessus ce qui ne lui allait finalement pas trop mal, même si je m'étais bien moqué de lui quand il l'avait fait. Habillé de pied en cap de la tenue des Revenants dont la veste laissait entrevoir l'épaisse cicatrice qui lui barrait le torse, il sourit. A ses pieds était posé un sac de sport noir qu'il poussa vers moi.
- Bien couru ? lança-t-il.
- Pas trop mal, répondis-je, ouvrant la bouche pour la première fois depuis des heures. Je n'ai pas croisé beaucoup de monde.
Gaspard laissa échapper un rire avant de désigner le sac.
- On décolle dans dix minutes. Les autres sont partis devant, ils n'ont pas le même itinéraire.
Je hochai la tête et m'emparai de la besace avant de pénétrer dans le hangar 1. Son rez-de-chaussée était sombre, sans lumière si tôt le matin – Niels ne rigolait pas avec les économies d'électricité – et encombré de voitures et camions de toute sortes. Seule la lune passait légèrement à travers les fenêtres situées à deux mètres de haut, tout autour de l'entrepôt. N'ayant nul besoin de clarté pour me déplacer, je me dirigeai sans mal vers une petite porte tout au fond et la poussai pour déboucher dans une petite cabine de toilettes. Les vrais sanitaires étaient au sous-sol, dans la Fourmilière, et on ne possédait ici que le minimum syndical en la matière.
Je posai le sac sur la cuvette fermée, me débarrassai en vitesse de mes vêtements trempés, puis ouvrit le zip. J'en sortis des rangers noires, des sous-vêtements propres, un débardeur, un pantalon gris foncé et une veste assortie marquée du poing serré des Revenants. Une petite serviette avait aussi été pliée dans un coin et j'en profitai pour essorer ma crinière et l'attacher en natte fonctionnelle. Au moment de fourrer ma tenue sale dans la grande poche, je découvris un sachet contenant un gobelet de lait chaud fermé par un couvercle et du pain. Cela tombait bien parce que je n'avais pas avalé grand-chose au dîner de la veille et que mon métabolisme mutant brûlait énormément d'énergie.
Une fois prête, je filai hors des toilettes rejoindre Gaspard qui avait démarré une grosse jeep semblable à cette que j'avais vu quelques minutes plus tôt. Je balançai le sac sur le siège arrière.
- C'est moi qui conduit, m'avertir le Revenant.
- Comment ça ? protestai-je. C'est toujours moi, d'habitude.
- Eh bien on va changer les traditions, si tu permets. Vomir mes tripes en descendant de voiture hier m'a suffi.
- Petite nature, ricanai-je.
Gaspard leva les yeux au ciel et s'assit derrière le volant avec une telle expression affligée que j'en ris vraiment. Hormis avec les membres de mon unité ou Amanda, ce qui se limitait à peu de personnes, c'était une chose qui m'arrivait rarement.
Je pris place à mon tour, et, dans un crissement de gravier sous les pneus, la jeep quitta l'enceinte du quartier-général.
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