Chapitre 27
Piégés. Comme des rats.
Ce fut la première chose qui me vint à l'esprit avant que l'urgence de la situation ne m'atteigne. Pour résumer, j'étais dans une pièce pleine d'une saloperie de gaz aux effets obscurs avec un Gaspard au bord de l'inconscience. Affalé sur le dos, il avait renoncé à se relever après avoir été sonné par Léo.
- Veuillez procéder à l'évacuation vers les niveaux supérieurs, crachota la voix de Félix, plus audible sans la sonnerie d'alerte. Merci de vous munir d'un masque et d'aider vos camarades de chambrée à sortir. Conservez votre calme, des équipes médicales sont en route.
J'entrepris de respirer à intervalles réguliers mais espacés et m'agenouillai près de mon équipier, le cerveau carburant à toute allure. Je tachai de ne pas écouter le chef de la sécurité répéter ses consignes et ajouter d'un ton égal de laisser les morts sur place. Très réjouissant. Le poison gazeux tuait. Je n'étais pas faite pour me laisser aller à la panique, mais là, on avait quand même un gros problème. Je m'accroupis près de Gaspard et l'aidai à se remettre assis :
- Gaspard ? Comment tu te sens ?
- Vaseux. Il ne m'a pas raté, ce connard.
- Tu parles de ton meilleur pote, fis-je avec un sourire. Il ne l'a pas fait exprès, le truc qu'on respire lui a retourné la tête.
- Tu l'as poussé dehors ?
- Oui, j'espère que quelqu'un va s'occuper de lui, mais là, on doit réfléchir à se sortir de ce merdier. Essaye de ne pas trop remuer la tête. Tu as des vertiges ? Tu vois des choses bizarres ?
- Euh, je ne sais pas. Je me sens tour drôle, mais ça doit venir du coup.
Gaspard cligna des paupières comme pour tester son état. On aurait dit un mec alcoolisé en train de vérifier s'il pouvait se lever sans se casser la figure.
- Respire lentement, conseillai-je, ça limitera l'absorption de gaz.
Le Revenant se mit debout alors que je m'écartai de lui pour inspecter le bloc. Quatre murs, une réserve de matériel chirurgical au fond, quelques médicaments mais rien de vraiment utile, et du sang du côté de l'évier. J'ignorais si le patient avait été sauvé ou non avec une opération interrompue. Ne trouvant rien de concluant, je retournai vers la porte sous l'œil de Gaspard.
- Tu ne l'ouvriras pas, me prévint-il. Ce machin est conçu pour résister à une charge d'éléphants, alors...
J'opinai du chef sans cesser de l'inspecter. Des joints épais venaient combler la moindre fente, le moindre interstice entre le battant et le mur ou le sol. Ils étaient constitués d'une matière plutôt souple me faisant penser à du pneu – oui, d'accord, je n'avais pas de diplôme d'ingénieur en bâtiment – et certainement destinée à épouser la forme du trou à boucher lorsque la porte se fermait. Aucun bruit ne nous parvenait depuis le couloir, chaque son étouffé par son épaisseur.
Je pivotai sur mes talons et me dirigeai droit sur la bouche de ventilation située à deux mètres du sol. Elle était fermée par une plaque métallique striée d'ouvertures et je la démontai soigneusement.
- Tu as une idée ? interrogea Gaspard en se massant le crâne. Parce qu'on ne peut pas sortir par ici.
- Je sais, répliquai-je, pas besoin d'être surdoué pour comprendre que ce qu'on respire nous a été envoyé par là. Je veux juste récupérer ça.
Je brandis la plaque carrée de cinquante centimètres de côté.
- Arrête de réfléchir, Gaspard, tu gaspille ton oxygène.
L'autre eut un petit rire douloureux et s'appuya contre la table d'opération désertée. Je guettais ses signes de faiblesse, les lèvres pincées, tout en m'emparant d'un scalpel et d'autres ustensiles coupant dans un tiroir. De retour près de la porte, j'entrepris de découper le joint central le plus rapidement possible. J'avais une idée, mais restait à savoir si cela marcherait...
Lorsque l'espèce de long couteau que j'avais décidé d'utiliser fit céder la matière souple, je poussai un peu la porte pour tenter de la bouger mais ce ne fut bien évidemment pas suffisant. J'avais pratiqué une fente de quelques millimètres qui ne me permettait même pas de voir le couloir. En revanche...
Je pris la plaque métallique et tentai de la coincer dans le trou et de la pousser pour que plus de la moitié de sa largeur dépasse de l'autre côté. Si cela ratait, je n'avais pas d'autre plan.
Gaspard s'approcha mais je le renvoyai d'un geste. Pas question qu'il force sur quoi que ce fut si c'était pour tomber dans les pommes encore plus vite. Il ne protesta pas et se rassit, les jambes flageolantes. Bon, je n'avais plus beaucoup de temps.
Je pris place contre le morceau de plaque restant, l'épaule contre le métal froid. Un levier me donnerait plus de force pour faire basculer la porte, à la condition qu'il ne cède pas avant. Sans plus me poser de questions, je poussai de tout mon poids et gainai mes muscles. Sur le moment, je crus que je ne parviendrais à rien, puis mes bottines dérapèrent sur le carrelage et je grognai en accentuant mon effort. Il y eut un grincement, puis un autre, et les dents serrées, je sentis le battant se décaler d'un poil.
- Allez, sifflai-je.
Je contractai les épaules, appuyai la tête contre la plaque et me jetai de toute mes forces en avant.
- Tu veux que...
Gaspard n'acheva pas et s'effondra à quatre pattes, le front en sueur. La porte choisit cet instant pour s'ouvrit suffisamment pour permettre de passer en bras dans l'espace libre. Arqueboutée contre elle, je l'empêchai de se refermer mais ne pouvais définitivement pas aller plus loin.
- Gaspard, allonge-toi, ça va aller, je...
Des cris dans le couloir me coupèrent et je louchai dans l'interstice que je maintenais.
- Ils sont là ! brailla un timbre féminin. Grouille-toi !
Nacera déboula alors comme une furie dans mon champ de vision, suivie par Harvey Matthews. Une sacrée paire, ceux-là ! N'en croyant pas mes yeux, je voulus avertir Gaspard que nous n'étions plus seuls mais celui-ci avait perdu connaissance. Mon sang se glaça.
- Aidez-moi à ouvrir cette porte, Gaspard ne va pas bien !
- J'ai un masque et de l'oxygène mais il faut le sortir de là, confirma Stone.
Le colosse et Nacera se jetèrent sur la porte alors que mes bras criaient grâce mais je ne lâchai pas pour autant.
- Tout le monde a reçu l'ordre de remonter à la surface et les appareils électronique sont hors-service, m'informa Nacera en saisissant la plaque. Castel nous a envoyé vous chercher.
- C'est très aimable à lui, même s'il ne se mouille pas trop, observai-je. Tu as vu Amanda ?
- Martial s'occupe d'elle, répliqua laconiquement la GEN. Prêts ?
Dans un bel ensemble, nous nous escrimâmes contre la porte qui refusait de céder un pouce de terrain sans une protestation grinçante.
- Harvey, tu pourrais démonter le bras articulé, là-haut ? suggérai-je en soufflant.
- Vous pouvez garder la porte ouverte ?
- Le temps que tu le fasses, oui, assura Nacera. Mais je...
Je fixai la GEN qui s'était interrompue et fixait ses propres mains avec un air étrange. Mes semelles glissant sur le sol, je fronçai les sourcils.
- Ça ne va pas ?
- Je... je tétanise, bafouilla-t-elle. Je ne peux plus...
« Plus tenir la porte » aurait de l'être la fin de sa phrase, mais en voyant le battant se rabattre subitement vers moi, je compris tout de suite et m'empressai de glisser le haut du corps dans l'ouverture pour la maintenir. Nacera, les jambes coupées, s'était reculé en titubant.
- Stone ! hurlai-je, à demi-broyée par la porte. Démonte ce truc !
La cage thoracique pressée, je m'efforçai de tenir avec un grondement d'effort et lorsque Stone dégonda quasiment le tout d'un geste sec, je m'affalai à genoux, libérée.
- Gaspard, articulai-je.
L'ancien instructeur de l'Institut balança le morceau de porte qu'il tenait et se précipita dans le bloc opératoire pour s'occuper de mon équipier. Les côtes un peu endolories, je soutins Nacera qui haletait.
- C'est le gaz, dit-elle. Je suis...désolée.
- Ne t'inquiète pas. Harvey ?
- Ça va, vous devriez remonter. Je vous suis.
Il leva un pouce après avoir appliqué le masque sur le visage de Gaspard. L'appareil se couvrit de buée au rythme de sa respiration. Il allait s'en sortir puisque c'était le seul à ne plus absorber de l'air vicié.
- Okay, on y va, déclarai-je. Nacera, tu es priée de ne pas tourner de l'œil.
- Oui, commandante, rit-elle doucement. Si j'arrive en haut, tu me prends officiellement dans ton unité ?
- Peut-être. Maintenant, ferme-la et avance.
***
Le silence empreint de malaise qui régnait dehors me frappa alors que j'émergeai avec Nacera, flanquée de Stone, hors du hangar. Nous avions doublé des dizaines de personnes grimpant escalier après escalier dans la mesure où les ascenseurs ne fonctionnaient plus, des personnes hagardes et choquées, tirées de leur sommeil par l'alarme. Tous les humains portaient un masque mais ce n'était pas le cas des GEN qui les aidaient en portant les plus faibles. En pyjama, il était difficile de différencier les soldats des simples civils et tout le monde avait l'air totalement perdu. La Fourmilière, si solides que fussent ses portes, n'était pas passée très loin de se transformer en tombeau géant.
L'air vif de la nuit me gifla le visage et Nacera inspira à pleins poumons. Elle avait perdu le contrôle de sa jambe gauche, paralysée, pendant la remontée mais je ne doutais pas que les effets se dissiperaient. Irina Malcolm devait être très fière d'une invention capable d'infliger des difficultés respiratoires, des problèmes musculaires et même des hallucinations. Je ne me faisais aucune illusion sur la provenance de l'attaque nocturne mais une question me perturbait : qui était le traitre parmi nous ? La directrice de l'Institut semblait avoir inversé la vapeur par rapport à l'époque où l'organisation de Marx était grouillante d'agents doubles. Je trouvais cela très frustrant et les Revenants étaient en danger.
- C'est bon, déposez-moi, je peux marcher ! Je ne suis pas un enfant !
Le mécontentement de Gaspard me tira de ma réflexion et je me tournai vers lui juste à temps pour le voir se tortiller dans les bras de Stone. Je ricanai, moqueuse et aidai Nacera à s'asseoir, le dos contre la taule du hangar. Les projecteurs avaient été allumés pour éclairer les alentours, nimbant tout d'une lueur jaune.
- Ça va passer, lui dis-je. Entrainement, demain, sept heure.
La jeune femme eut un sourire reconnaissant et amical. La hache de guerre était enterrée.
Je détaillai ensuite la situation dans la cour de la base. Armée d'un mégaphone, Madeleine Maturet ordonnait un regroupement par dortoir pour compter ses troupes et vérifier les blessés. Les Revenants se tassaient en grappes, serrés les uns contre les autres en essayant d'obéir, mais je sentis mon estomac se contracter en remarquant les civières que l'on regroupait devant la porte du hangar 3. Des civières sur lesquelles on avait tiré un drap pour préserver la dignité d'un mort.
- Harvey, emmène Gaspard voir un médecin et remercie le docteur Firell de ma part de ne pas trop s'être inquiété de nous après m'avoir envoyée chercher les garçons. Si c'était encore possible, il vient de tomber encore plus bas dans mon estime.
- Mais je te dis que je vais bien, ronfla mon équipier. Un rapide examen et c'est fini, je refuse de me laisser tripoter sous toutes les coutures !
- Arrête de râler, ça donne des rides, et je te rappelle que tu as été blessé il y a à peine deux jours, m'amusai-je. Je vais voir où sont les autres et comment va Léo, d'accord ? Il doit bien être quelque part.
Stone masqua un sourire et consentit à accompagner Gaspard en le laissant marcher. Je fis comme si je n'avais pas vu le regard noir du jeune homme derrière son masque et entrepris de traverser l'espace me séparant du hangar. Je devais savoir. Qui était mort ?
Je contournai plusieurs groupes de personnes, fouillant la foule du regard. Je découvris Amanda, lovée contre Martial et entourée des jumelles, Orianne et Alice que je n'avais pas vues depuis une éternité. Elles avaient pris au moins vingt centimètres et n'avaient plus du tout l'air d'enfants, seulement quelques mois après leur injection. Orianne ne parlait toujours pas mais communiquait par signe, ce que Firell avait trouvé positif. Alors que je les fixais, Alice darda sur moi un regard centenaire et me dévisagea longuement avant qu'Annabelle ne se porte à la hauteur du groupe pour les faire tous s'installer plus loin. Nul ne m'avait vue en dehors de la fillette.
Je stoppai en arrivant près des premiers brancards. Un infirmier à l'air las m'accueillit avec un soupir :
- Ah, vous voilà, je pensais bien que vous voudriez le voir.
- Qui ça ?
- Il est là-bas, c'est le dernier. Les autres sont déjà venus mais l'un des petits braillait alors...
L'infirmier s'éloigna sans finir sa phrase et je demeurai immobile, clouée sur place. Qui... ? Les traits de Nathan se présentèrent à moi subitement. Où était-il quand on avait sonné l'alarme ? Seul ?
J'avançai lentement jusqu'à l'endroit indiqué, le cœur battant et dépassai sans réagir le soldat Adam qui pleurait près d'un autre homme – un membre de son équipe. Je m'agenouillai en silence mais lorsque vint le moment de soulever le drap, je sentis la nausée me gagner et le fis d'un geste vif.
Ce n'était pas Nathan mais je crus recevoir une gifle cuisante.
- Il s'est mis à convulser quand on l'a trouvé, m'informa l'infirmer revenu sur ses pas. Je suis navré, commandante, mais les victimes sont principalement humaines et demi-GEN. Le poison dans l'air les a particulièrement affectées.
Je ne répondis rien. Léo contemplait le ciel d'un œil vide. Peut-être allait-il revoir sa fille.
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