Chapitre 24
Je me dirigeai au radar, sans réfléchir, mes pieds claquant sur le sol de béton de la Fourmilière. Une partie de moi s'agaçait de ce qui s'était passé avec Samuel, mais l'autre ne trouvait pas cela très étonnant. Ces deux derniers mois de semi-liberté chez les Revenant n'avaient clairement pas contribué à nous rapprocher, lui et moi, et je devais bien admettre m'être renfermée. Seulement, ce que Samuel ne comprenait pas, c'était que j'avais agi de même avec tout le monde, et que partager mes émotions ne faisait pas partie de mes qualités premières. J'avais mes torts, certes, ce qui ne justifiait pas qu'il ait pu s'en prendre comme ça à Allan, d'autant qu'ils avaient toujours manifesté le plus grand respect l'un envers l'autre. Et puis merde, comment se faisait-il que Samuel ait plutôt bien pris le fait de lui avoir caché ma collaboration avec les Revenants eu début alors qu'il ne pouvait apparemment pas supporter ma manière de gérer la mort de mon mentor ?
Tout en bougonnant dans ma barbe, je sortis de l'ascenseur qui était remonté de quelques étages et marchai droit devant moi pour toquer à la cinquième porte sur la gauche. J'entrai sans attendre de réponse et la refermai précipitamment, comme si je pouvais confiner mes problèmes dehors.
La pièce était un dortoir de petite taille – aucun quartier d'habitation n'était grand de toute façon – meublé de cinq lits au total : deux superposés contre le mur de droite, la même chose au fond, près d'armoires métalliques, et une couchette individuelle dans l'angle gauche. Cela ferait l'affaire.
- Luna ?
Je m'aperçue que j'étais restée de longues secondes adossées à la porte sans bouger. Je me redressai légèrement pour croiser le regard de Martial, piqué comme un poteau à l'entrée de la salle de bain. Il était torse-nu, ses muscles fins et secs se dessinant sous sa peau, les joues couvertes de mousse à raser et me fixait d'un air surpris. Je remarquai son pendentif maintenu par un lien de cuir noir : une épaisse croix en argent.
- Ouais, dis-je.
Avant que je ne trouve un truc plus intelligent à formuler, la tête aux cheveux mouillés de Gaspard s'encadra par-dessus son épaule et le jeune homme haussa les sourcils, brosse à dent en main :
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Oh, rien du tout, ironisai-je, je passai juste récupérer votre linge sale et vous porter de bons petits plats.
Martial éclata de rire ce qui fit voler un peu de mousse et poussa Gaspard pour retourner dans la salle de bain.
- Si tu cuisine aussi bien que tu tires, on n'a pas de soucis à se faire ! s'exclama-t-il.
Je ne pus m'empêcher de sourire un peu et, avisant le lit d'en face, allai poser mon sac sur la couchette vide du bas. Gaspard ne me quitta pas des yeux et recommença à se frotter les dents, comme cela devait être le cas avant mon arrivée.
- Je pourrais te retourner la question, fis-je à son intention tandis qu'il crachait dans le lavabo. Tu n'étais pas censé rester à l'infirmerie ?
- L'infirmière Brittany m'a autorisé à partir si je promettais de me tenir tranquille, répliqua l'autre avec un haussement d'épaules. J'ai des antibiotiques à prendre et c'est tout. En plus, elle voulait me mettre à côté de l'agent Maliski et je ne sais pas ce qu'elle a chopé mais ses plaies sentent tellement mauvais que ça me donnait envie de gerber...
- Ça va, merci, j'ai compris.
Je levai les yeux au ciel. Martial émergea de nouveau de la petite salle d'eau, la moitié du visage débarrassée de mousse blanche.
- Ne t'en fais pas, je vais veiller à ce qu'il n'en fasse pas trop, Luna. Gaspard, tu veux que je te brosse les dents pour soulager ton poignet ?
- Très drôle, râle l'intéressé.
- Et ton frère, Luna ?
- En sécurité, répondis-je sobrement. Tu le rencontrera surement toute à l'heure. A ce propos, Martial...
- Ouais ?
- Merci.
L'autre darda son regard gris sur moi et les coins de ses lèvres se relevèrent. Il n'ajouta rien et je trouvais que c'était très bien comme ça. Sans lui, Gaspard n'aurait pas su qu'il fallait venir à ma rescousse et Nathan serait mort.
- Tu comptes dormir ici ? intervint Gaspard.
Je regardai dans sa direction et étudiai son visage neutre. Il devait forcément se douter de la raison qui me faisait venir là, mais n'en laissait rien paraître, comme si c'était normal. Martial aussi masquait ses interrogations, et pour un peu, je leur en aurais baisé les pieds de reconnaissance. Je n'avais pas besoin de remarques stupides sur Sam et moi.
- Oui, pourquoi ?
- Pour rien, lâcha Gaspard en haussant les épaules. A titre d'information, la chambre d'en face a de la place, et ce sont des femmes.
- C'est gentil, mais je crois que la rudesse de mon entrainement d'Elite me permettra de survivre à deux ou trois poils de barbe dans la salle de bain et à tes slips sales, m'amusai-je.
J'ouvris dans le même temps l'armoire jouxtant le lit et y découvrit un emplacement vide. Hormis mes uniformes Revenant et quelques tenues civiles, je ne possédais pas grand-chose et ce serait suffisant. Je dépliai des draps propres et entrepris de faire le lit.
- Qui dort au-dessus ? voulus-je savoir.
Martial, qui avait fini de se raser, enfila un t-shirt et gagna la seule couchette individuelle.
- Gaspard, et je te rassure, il ne ronfle pas. Par contre, je n'en dirais pas autant de Léo, et tu vas voir que ça fait peur, les premières fois.
Je hochai la tête et achevai de m'installer rapidement tout en songeant que cela ne devait pas être si terrible que ça.
***
Aux alentours de deux heures du matin, je commençais à comprendre ce que Martial avait voulu dire et me retournai pour la cinquante-troisième fois sur le côté. L'oreiller n'étouffait rien du raclement bizarre que produisait Léo en dormant et je ne trouvais pas le sommeil. J'avais tenté de me caler sur la respiration profonde de Gaspard, en vain. Cependant, je ne savais pas si c'était le ronflement du demi-GEN qui me perturbait vraiment ou l'agitation qui régnait dans mon crâne. A moins, bien sûr, que le violon de Lynx dont il avait tenu à me jouer avant de se coucher, n'y fut pour quelque chose. Je ne voulais pas le vexer d'autant qu'il paraissait angoissé depuis quelques jours, mais je n'avais jamais rien entendu de si peu harmonieux.... A en juger par les regards de mes équipiers, ils pensaient comme moi et supportaient la musique de leur ami tous les soirs.
Après le dîner en compagnie de mon unité, de Nathan et de son chaperon, le soldat Aurélien Adam, j'avais fait visiter quelques zones de la base à mon frère puis l'avais reconduit à sa chambre. Amanda n'était pas venue et avait préféré se reposer et prendre son repas à l'infirmerie. Elle se sentait fatiguée et son dos la faisait un peu souffrir du fait du poids de son ventre. J'avais quand même pris le temps d'aller lui parler quelques minutes pour qu'elle se sente moins seule et elle avait dit avoir hâte de rencontrer Nathan. Annie s'était arrangée pour loger celui-ci avec le patrouilleur Adam, sans doute plus pour garder un œil sur lui que pour le rassurer, mais les deux hommes s'entendaient bien. Il était prévu que Nathan aille assister à une séance de tir le lendemain matin, ce que j'approuvais même si je ne le voyais pas trop devenir un combattant. Cela lui changerait les idées. J'avais ensuite proposé un entrainement en début de soirée et Nacera s'était jointe à nous. Discrète et efficace, elle s'était bien fondue dans le groupe et plaisait beaucoup à Léo. La pimbêche que je ne pouvais pas supporter pendant mes premiers mois à l'Institut n'était plus la même, mais nous avions certainement tous changé. Dans la mesure où Lynx était autant un guerrier que moi une bonne sœur, un cinquième membre de l'équipe capable d'assurer sur le terrain ne serait pas de trop. Vers vingt-deux heures, chacun avait regagné ses quartiers, et depuis, je supportais ce boucan infernal.
Lassé de faire la crêpe sous ma couverture, je m'assis sur mon lit, et, n'y tenant plus, glissai les pieds dans mes bottines. Courir me ferait le plus grand bien. Alors que j'allais me pencher pour remonter le zip de mes chaussures, mon téléphone posé sur le sol s'illumina dans le noir et la sonnerie déchira le silence relatif dans lequel les autres dormaient. Je pestai et me jetai dessus pour l'éteindre avant qu'il ne réveille tout le monde, mais il était trop tard, et au moment où je m'en emparai, le portable de Martial se joignit au mien, vite imité par ceux des autres.
- Putain, c'est quoi ça ? grommela Gaspard qui tâtonnait dans sa couchette.
Lynx manqua de tomber depuis son lit au-dessus de Léo en cherchant son propre appareil et, interloquée par cet appel collectif, je me décidai à décrocher.
- Allô ?
- Commandante Deveille ? Ici le docteur Bilanga, la collègue du docteur Firell.
- Bonsoir, docteur. Qu'est-ce qui se passe ?
Je fronçai les sourcils. Lucinda Bilanga était l'un des médecins du quartier général. Contrairement à Firell qui gérait les blessures de combat, elle s'occupait des maux quotidiens à la Fourmilière : grippes, petits bobos et autres gastros, mais c'était une professionnelle compétente et que j'appréciais beaucoup plus que son collègue.
- Si vous voulez voir un accouchement, c'est le moment, commandante. Votre amie l'agent Otto vient de perdre les eaux dans mon infirmerie, et vu la force des contractions, je pense que ça va être rapide.
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