Chapitre 18


La pente était abrupte et rendue glissante par la couche de feuilles mortes qui la tapissait. L'humidité et la fraîcheur brutale depuis le mois de juin avaient précipité l'automne. Nathan et Gaspard arrivaient tout juste en bas lorsque j'enjambai la rambarde et jetai un œil vers eux. Ils se mirent à courir entre les troncs sans un regard en arrière, ainsi que je l'avais demandé.

Je bondis directement au pied de la descente et m'élançai à leur suite.

- Sauve-toi ! aboyai-je à Nathan. Allez !

Je pivotai sur moi-même au moment où une GEN apparaissait au sommet de la côte, stoppai net et l'arrêtai d'une balle dans le front. La femme s'écroula et roula dans les feuilles, agitée de spasmes, mais elle n'était pas morte et chercha à ramper vers moi. Après m'être assurée que ni Gaspard ni mon frère n'avaient ralenti, je me jetai sur le Soldat Noir et lui brisai les vertèbres.

Des cris de rage me parvinrent alors au-dessus de moi, depuis l'autoroute et je décidai de décamper. Je n'avais pas assez de balles pour maîtriser tous les GEN qui promettaient de se lancer à notre poursuite, et plus je m'éloignai de Nathan, moins j'étais en capacité de le protéger.

Arme au poing, je n'attendis pas de voir le premier Soldat tenter de rejoindre sa défunte complice et repris ma course.

Gaspard, qui hurlait à mon frère d'accélérer, avait pris avec lui quelques centaines de mètres d'avance et forçait encore l'allure. Le Revenant pouvait courir bien plus vite que ça, mais cela aurait signifié laisser Nathan sur le carreau, et une telle idée ne semblait pas l'effleurer. J'ignorai comment il avait appris ma situation, mais Gaspard paraissait déterminé à m'aider.

Nathan trébucha alors que je n'étais plus qu'à vingt mètres derrière lui et je bondis en avant pour le saisir au col et le relever. Il était suant et haletant, le visage rouge.

- Cours ! grondai-je. Ils seront bientôt sur nous !

Galvanisé par la peur, il se remit sur ses pieds et rattrapa Gaspard en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Pour ce qui était de la proximité de l'ennemi, je n'avais même pas besoin de me retourner pour être certaine de ce que j'avançais. Le bruit des pas sur les feuilles mortes et l'humus me permettait d'estimer précisément la distance qui séparait sept GEN de nous. Et celle-ci se réduisait un peu plus à chaque seconde.

Une rafale de tirs déchira l'air et une pluie de balles s'abattit sur le sol, là où mes pieds se trouvaient une fraction de seconde plus tôt. Une rapide vérification m'appris qu'un GEN roux et grand avait sorti l'artillerie lourde avec une mitraillette et visai droit devant lui.

Gaspard fonça sur la gauche, entraînant Nathan dans son sillage pour le faire pénétrer dans une zone à la végétation encore plus dense. Je me précipitai à leur suite et me calai dans la lignée de mon frère de sorte qu'aucun projectile ne pourrait l'atteindre. L'ennemi gagnait du terrain, mais pas tant qu'il l'aurait pu avec des capacités pareilles. Les Soldats Noirs voulaient-ils éviter le corps-à-corps ?

Une balle déchiqueta un tronc d'arbre à dix centimètres de mon bras et je posai subitement un genou à terre pour riposter. L'un des GEN tituba mais ne s'arrêta pas pour autant, le visage vide de douleur. Je dérapai dans les feuilles en prenant mon appel et avisai le paysage qui s'étendait devant moi, avec Gaspard et Nathan au premier plan.

Les arbres défilaient à toute allure dans mon champ de vision, se confondant avec les rochers, et la pente vers le bas devenait plus prononcée. Mon frère ralentissait à vue d'œil, le souffle court. Mais, encore quelques mètres et nous serions dans une position favorable pour que j'attaque nos poursuivants. Encore quelques mètres, et....

Le double coup de feu me déchira le tympan. Je plongeai en avant pour me rapprocher de Nathan, persuadée qu'il avait été visé, mais le bruit que firent les balles expulsées du canon ne fut rien en comparaison du hurlement qui m'échappa à la vue de Gaspard qui s'écroulait, fauché en pleine foulée.

- Gaspard !

Je me jetai à genoux près du Revenant et le plaquai contre le sol en ignorant son grognement de douleur, juste à temps pour recevoir à sa place un troisième projectile qui se ficha dans ma cuisse. Je l'empoignai par le col de sa veste et le traînai sans cérémonie sur le sol, jusqu'à une énorme souche contre laquelle je l'adossai.

- Merde, Gaspard, ça va ?

Le silence emplit mes oreilles et je lorgnai en direction de nos ennemis. Ils s'étaient figés, derrière le couvert de la végétation, à quelques centaines de mètres de nous. Leurs traits tendus n'exprimaient rien. Ils patientaient, dans l'attente de quelque chose, comme si blesser mon équipier faisait partie de leur plan. Ils me firent penser à une meute de loups encerclant leur proie.

Nathan avait eu le bon gout de cesser sa course folle et gisait, à l'article de la mort par asphyxie, derrière un rocher positionné un peu plus bas dans la pente. Tant qu'il ne bronchait pas, il restait hors de portée de tir.

Comptant chaque seconde qui s'écoulait sans que les GEN ne daignent bouger, je reportai pleinement mon attention sur Gaspard. Il était déjà occupé à défaire sa veste et je l'aidai en vitesse puis soulevai son t-shirt.

- Ça fait un mal de chien, lâcha-t-il.

La première balle l'avait atteint au-dessus de la hanche droite mais n'était pas restée dans la plaie en se contentant seulement d'arracher de la chair. Quant à la seconde, elle s'était fichée dans l'abdomen, près du nombril, sans doute pendant la chute où Gaspard s'était retrouvé sur le dos. Le sang coulait abondamment, rouge vif.

Je m'assis dans les feuille, retirai mon pull et le débardeur que je portais si vite que mon équipier papillonna des yeux sans parvenir à suivre mon geste. Je vis ses paupières se plisser sur ma brassière de sport avec l'expression de celui qui va lancer une bonne blague bien grivoise, mais le foudroyai du regard.

- Il faut stopper le saignement, dis-je. Tu peux te redresser ?

J'attrapai un large bout d'écorce bien plat – dans un bois, ce n'était pas ce qui manquait – et l'enroulai dans le tissu avant de le plaquer sur le ventre de Gaspard. Je déchirai ensuite une bande du pull pour la passer dans son dos et revenir sur le devant avec un nœud. L'effort bloqua un bref instant le souffle du Revenant qui ne se plaignit pourtant pas.

- Appuie là-dessus, lui ordonnai-je. Tu vas tenir le coup ?

Il s'efforçait de conserver une respiration lente pour s'économiser. Je n'avais aucun doute sur sa résistance, mais c'était un humain. Il pouvait mourir.

Gaspard opina du chef et s'empara du garrot de fortune pour presser la plaie :

- Ne t'inquiète pas, c'est bon.

- D'accord. Reste ici, assure-toi juste que Nathan n'aille nulle part, okay ? Je m'occupe d'eux.

- Attends, Luna, qu'est-ce que tu fous ?

Je posai mon arme à laquelle il ne restait que peu de munitions sur le sol, sachant qu'il en ferait bon usage si une fenêtre de tir s'ouvrait et me relevai d'un mouvement souple sans répondre. Si ces Soldats Noirs faisaient partie de nouvelles recrues qui ne m'avaient jamais vue à l'œuvre, ils allaient être servis... Peu m'importait qu'ils soient contrôlés par puce, je ne pouvais pas plaindre tout le monde et sauver mes proches. Tant pis pour eux.

- Reste ici, répétai-je simplement à Gaspard.

Je fis rouler mes épaules et sortis de notre cachette.

Sept GEN convergèrent comme des mouches vers un morceau de viande dans ma direction. Ils s'étaient déployés de façon à me couper toute retraite, prêts à m'affronter, et je songeai avec un sourire intérieur que celui qui leur avait donné les ordres allait passer un sale quart d'heure avec Irina Malcolm. On avait dû oublier de leur spécifier que l'Ange Noir était coriace, et qu'une attaque frontale était à éviter. Les GEN dirigés par puce élaboraient leur propre stratégie en fiction des consignes reçues, et là, il leur manquait clairement un détail. S'ils se concentraient sur moi sans s'en prendre à Nathan et Gaspard, ils n'avaient aucune chance.

Mon premier ennemi – le GEN roux – se jeta sur moi depuis la droite. Je ne l'esquivai pas, le laissant me heurter de plein fouet et accompagnait la chute jusqu'au sol en crochetant son bassin avec mes cuisses. Mon poing rencontra sa mâchoire dans un craquement sec, je le retournai comme une crêpe, attrapai son poignard à la ceinture et lui tranchai la gorge.

Un.

Je me relevai à toute vitesse, évitai une jambe qui fusai vers mon visage, basculai les hanches pour passer sous un bras et tailladai férocement une épaule. Le sang gicla, éclaboussant les feuilles, et l'adversaire voulut reculer vers ses alliés. Je l'en empêchai, le saisissant aux épaules juste à temps pour que la balle qui m'était destinée, tirée par une Soldate aux cheveux sombres, lui perfore la carotide dans un bruit de giclures. Pour faire bonne mesure, j'appliquai une pression colossale sur sa nuque puis l'abandonnai au milieu des feuilles mortes.

Deux.

Sans perdre mon élan, je bondis sur la tireuse dont je déviai un second projectile, lui balançai un solide coup de genou dans le ventre, tordis son bras en arrière. Un GEN surgit alors derrière moi pour me saisir les cheveux mais je le repoussai du tranchant de la main, lui explosai les côtes et les dents avant d'en finir avec la femme. Cette dernière émit un grondement sourd en prenant appui sur une souche pour me sauter dessus mais ne rencontra que le vide à l'atterrissage. Un coup à l'arrière du crâne plus tard, et les os de celui-ci enfoncés vers l'intérieur, elle s'écrasait face contre terre.

Trois. Plus que quatre.

Mes derniers poursuivants s'étaient écartés dans les buissons. Cette fois-ci, c'était moi qui allait passer à l'offensive. Je visai d'abord celui que j'avais déjà frappé, parai sa tentative pour m'atteindre, l'empoignai violemment aux épaules et le projetai en arrière. Deux bras m'enserrèrent alors le cou avec une puissance phénoménale, mais je me défendis, voulus basculer mon ennemi par-dessus moi sans succès. Tirée malgré moi en arrière je sentis la pression se renforcer sur ma trachée. Les pieds dérapant sur le sol humide, j'incitai le GEN à reculer jusqu'à un tronc épais. L'air se raréfiait mais je ne paniquai pas plus que cela. Il serait mort avant d'avoir réussi à m'étouffer.

Je me penchai en avait dans un rugissement de rage, puis cambrai brutalement les reins, envoyant mon agresseur heurter l'écorce qui se fissura. L'autre refusait de lâcher prise, je sentis son haleine chaude me chatouiller l'oreille. Mon coude trouva son estomac, je ruai de nouveau à deux reprises, jusqu'à me sentir partir en arrière. Un craquement emplit l'air lorsque le tronc se brisa dans la largeur et le roulai à terre en me défaisant du GEN. Il ne bougeait déjà plus – un choc qui brisait un arbre pouvait bien avoir raison d'un mutant tueur.

Quatre.

Je récupérai vivement son arme, m'élançai dans la direction du Soldat Noir qui m'avait déjà échappé deux fois. Il dégaina son propre revolver, mais avant d'avoir pressé la détente, il reçut le contenu de mon chargeur dans le front et s'affala en gargouillant.

Cinq.

Les deux derniers Soldats giclèrent de leur abri pour me bloquer des deux côtés. Les yeux étaient vides, leurs gestes automatiques et calculés. Ils ne tenaient même pas compte du sort subi par leurs camarades. Ceux-là auraient mérité un petit changement du programme qui leur contrôlait la cervelle.

Plus rapide qu'eux, je déplaçai mes pieds, esquivai chaque coup avec une facilité qui me donnait envie de leur rire au nez. Je feintai, récupérai un couteau fixé à un mollet et virevoltait avec ma lame. La tactique ennemie passa de l'attaque à la défense et je cherchai une ouverture qui me fut offerte par une balle tirée en plein dans la cuisse du premier GEN. Il ne tomba pas mais perdit un instant son appui, et la tête par la même occasion sous l'effet de mon poignard. Ma force combinée au tranchant de l'arme ne lui laissèrent aucune chance. Les morceaux retombèrent un peu plus loin.

Six.

Mes yeux papillonnèrent une fraction de seconde vers Gaspard qui avait fait diversion et s'était tant bien que mal agenouillé près de sa souche, et un demi-sourire gagna mes lèvres.

Décidée à en finir, je plongeai au sol, me retrouvai en un clin d'œil derrière le dernier Soldat qui voulut se retourner et s'empala tout seul sur le poignard. Pour faire bonne mesure, je me saisis d'un cailloux bosselé enfoncé dans la terre et lui explosai le nez, puis la tempe. Il n'émit pas une plainte et tomba sans grâce.

Sept.    

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