Chapitre 17


L'airbag se déploya d'un coup sec et m'écrasa le visage dans « bang » retentissant. Une odeur lourde et piquante se répandit dans l'habitacle alors que, projetée en avant et ballotée comme une salade dans une essoreuse, je prenais conscience que nous étions littéralement en train de nous envoler.

La voiture se retournait, vrillant sur le côté après l'impact à pleine vitesse. Nous allions retomber plus loin, peut-être même après quelques tonneaux.

Je dégonflais l'airbag d'un coup de poing tout en me retenant en volant alors que le capot de la voiture heurtait le bitume et me propulsai vers Nathan qui ballotait sur son siège, la main tendue devant lui comme un mauvais ralenti et les yeux grands ouverts, puis m'agrippai à lui pour le maintenir en place et le protéger.

Le second choc me secoua jusque dans la colonne vertébrale et j'en vins presque à plaindre la Hyundai qui allait finir broyée si on ne stoppait pas rapidement. La tête contre celle de Nathan, j'attendis résolument que le véhicule s'immobilise sur la chaussée et priai pour que mon frère n'eut pas trop de mal.

La voiture retomba enfin un bon coup et ne bougea plus, en équilibre sur l'aile gauche. Je relevai la tête, les oreilles bourdonnantes, et tapotai la joue de Nathan. Il avait le nez en sang et ses yeux papillonnaient mais au moins, il n'était pas mort.

- Nathan ? Tu m'entends ?

- Qu'est-ce que... 

- La voiture s'est retournée, on a eu un accident.

Je le relâchai et me retrouvai donc debout sur le goudron car j'avais les pieds à l'emplacement de ma vitre conducteur qui s'était brisée. Au-dessus de moi, l'autre portière avait l'air bien cabossée mais je ne doutais pas de pouvoir l'ouvrir.

- Chelsea ? souffla mon frère.

Le jeune homme commença à se tortiller pour enlever sa ceinture. Pendre ainsi sur le côté, ficelé sur son siège devait lui scier le ventre. Alors qu'il se décrochait, je jetai un coup d'œil à sa compagne qui était inconsciente. Les airbags présents dans le siège de devant et dans la portière s'étaient ouverts, mais elle avait malgré tout du sang plein la figure.

- Elle a perdu connaissance, dis-je laconiquement. On va sortir de là, et ensuite je m'occuperai d'elle.

J'escaladai le tableau de bord et actionnai la poignée, puis poussai vers le haut. Je dégondai la porte plus que je ne l'ouvris, mais je fus aussitôt à l'air libre et inspectai la situation.

La Hyundai gisait sur le côté, en travers de la ligne blanche séparant les deux voies. Derrière nous, un bouchon monstre s'était créé avec à sa tête la familiale rouge intacte, mais quelques voitures parvenaient à passer le long de la glissière de sécurité centrale et à nous dépasser en klaxonnant. Quant à nos ennemis, ils étaient bien là, en train de sortir de leurs propres véhicules, arme au poing, à l'avant du bouchon. Quelques humains tentèrent de les imiter mais leur élan fut douché par la vue des GEN. Les portières se rabattirent et nul ne broncha plus. Comme quoi, des fois, il vaut mieux faire confiance à son instinct de survie...

- Ils arrivent, sors de là !

J'attrapai le bras de Nathan qui peinait à s'extraire de l'épave et le forçai sans ménagement à s'asseoir sur le goudron, abrité par la voiture. Je m'empressai ensuite de charger mon revolver et choisis un angle de tir. La première balle ennemie se ficha dans le capot et je jurai intérieurement.

Une Twingo grise qui ne datait pas d'hier s'engagea alors dans le maigre espace laissé entre nous et la barrière, et nous frôla avant de piler à deux mètres derrière moi. La portière s'ouvrit sur un humain au front dégarni qui sortit la tête d'un ait inquiet.

- Vous avez besoin d'aide, madame ?

- Dégagez de là, aboyai-je. Vous allez vous faire tuer !

Non, mais il était aveugle ce type ou quoi ? Il allait se faire plomber comme un faisan un jour de chasse par excès de bonté – ou de bêtise, selon l'angle d'où l'on prenait les choses.

- Mais... Ils vous tirent dessus !

Je pressai la détente, atteignant un GEN à l'épaule et comptai mentalement les nombre de munitions que j'avais encore. Pour l'instant, nos poursuivants ne bougeaient pas mais ils attendaient que je ne sois plus en mesure de les tenir à distance. C'était une stratégie vieille comme le monde, et le pire était qu'elle marchait.

Je m'accroupis et foudroyai le bon samaritain du regard.

- J'avais remarqué, grondai-je. Sortez-vous de ce merdier avant qu'ils ne vous prennent pour cible.

Un projectile ricocha sur le sol à quelques centimètres de la Twingo et l'homme sursauta.

- Je... D'accord, mais je vais prévenir les secours.

- C'est ça, faites donc.

Il referma aussi sec la porte de sa voiture et celle-ci redémarra avec une puissance étonnante pour un tel véhicule. Je me recentrai sur l'ennemi qui conservait toujours la même stratégie. Dans une société où chacun ne pensait qu'à ses propres intérêts – moi la première, d'ailleurs – il avait fallu que je tombe sur le seul individu capable de stopper en pleine fusillade pour porter secours. Ce gars-là finirait mal, j'en étais persuadée, mais il irait probablement au paradis s'il existait un tel endroit.

Quant aux secours promis, je doutai qu'une pauvre fourgonnette de police parviennent à se frayer un chemin jusqu'ici, et surtout à affronter une dizaine de GEN surentrainés.

- Qu'est-ce qu'on va faire ? lança soudain Nathan, prostré là où je l'avais fait asseoir.

Je jetai un œil par-dessus le pneu qui se situait près de ma tête et pinçai les lèvres.

Je n'avais pas de plan, si ce n'était canarder l'ennemi à intervalles irréguliers pour ne pas donner l'impression que je n'avais plus de balles. La partie rationnelle de moi-même me hurlait de prendre Nathan sous le bras et de foncer dans le bois qui longeait l'autoroute, mais mon maigre sens des sentiments me disait qu'il n'accepterait jamais de laisser sa compagne sur place. Il fallait une diversion, quelque chose qui me donnerait la possibilité de sortir Chelsea de la voiture et de fuir...

- Rien, pour l'instant, sifflai-je. Ils restent à distance en attendant que j'ai tout épuisé.

J'agitai mon arme vers mon frère qui opinai du chef. Il avait l'air persuadé que sa dernière heure était venue.

Une série de coups de klaxon me fit lâcher brièvement des yeux un Soldat Noir terré derrière une camionnette et je regardai un nouveau conducteur tenter de se frayer un passage dans le bouchon pour remonter la route. C'était un 4x4 en piteux état, et je retins de justesse l'envie d'insulter son occupant quand celui-ci s'arrêta, au même titre que le premier homme, à ceci près qu'il avait placé sa voiture en travers, de manière à boucher tout l'espace à ma droite. Je levai mon arme, prête à abattre tout intrus, mais n'en fis fort heureusement rien.

Gaspard Olbec jaillit littéralement de son siège et se jeta à genoux près de moi. La surprise passée, je vis qu'il était armé jusqu'aux dents, vêtu de pied en cape de sa tenue de Revenant. Une bouffée de soulagement m'envahit car j'avais enfin l'opportunité de nous offrir une ouverture pour nous sauver. J'ignorais pourquoi et comment il était venu, mais c'était sans importance. Je faisais confiance à Gaspard depuis qu'il était devenu mon équipier. Les explications, je pouvais m'en passer.

- A chaque fois qu'il y a une fête, je ne suis pas invité, lâcha-t-il. Pourtant, on peut dire qu'il y a de l'ambiance !

Il me jeta sans cérémonie un chargeur et tira deux coups vers les Soldats Noirs. Je vis son regard glisser sur Nathan, puis se figer sur le bois ne bordure de route. Il avait la même idée que moi.

- Il reste quelqu'un à l'intérieur, fis-je en désignant la voiture d'un geste.

Je me relevai vivement, pressai la détente et me laissai retomber au sol. Une pluie de balles me répondit.

- Tu peux me couvrir ? ajoutai-je.

- Pourquoi est-ce que tu crois que je suis venu ? ricana Gaspard. J'aurais préféré un rendez-vous galant, mais qu'est-ce que tu veux, dans la vie, on ne peut pas tout avoir, pas vrai ? Enfin, raconter partout que l'Ange Noir a eu besoin de moi et que je lui ai sauvé la vie, c'est déjà un début !

Je lui souris malgré la tension dans mes muscles. Maintenant, c'était à moi de jouer.

J'avançai rapidement jusqu'au 4x4 de Gaspard et empoignai le châssis avant de relever la voiture sur le flanc, comme la Hyundai. Avant même que je ne lui en donne l'ordre, le Revenant avait soulevé mon frère, qui me fixait avec des yeux ronds, et l'obligea à changer de place. Je pouvais désormais m'occuper de Chelsea.

Après une dernière balle vers nos poursuivants, je fis subir le sort inverse à ma voiture qui émit un grincement funeste en atterrissant sur ses roues. Je rangeai mon arme dans ma ceinture de pantalon et arrachai la portière pour me glisser sur le siège.

Je n'eus même pas besoin de toucher Chelsea pour comprendre qu'il était trop tard. Le vacarme de la route m'avait jusque-là empêchée de percevoir son souffle ou son cœur, mais rien qu'à l'angle de son cou, on savait immédiatement qu'elle n'avait pas survécu au choc. Les yeux grands ouverts, la face couverte d'un sang qui s'étalait jusque sur la vitre, elle avait eu le crâne fracassé. Les airbags déclenchés pendaient autour d'elle, mais ils ne l'avaient pas sauvée. Si je ne m'étais pas agrippée à mon frère, il aurait certainement fini comme elle. Par principe, je lui abaissai les paupières et pris son pouls, mais la jeune australienne refroidissait déjà. Une pointe d'amertume se diffusa sur ma langue et je secouai la tête. Quel gâchis...

- Luna ? m'appela Gaspard d'une vois étouffée. On n'a plus le temps, ils viennent vers nous.

Je détournai les yeux de Chelsea. Pour elle, la fuite s'arrêtait là, mais j'avais encore son compagnon à sauver. Je sortis en marche arrière de l'habitacle et me relevai prestement.

- Combien de balles il te reste ? voulus-je savoir.

Les coups de feu pleuvaient sur notre abri sans discontinuer. L'ennemi devait être mieux équipé que nous.

- Qu'est-ce qui se passe pour Chelsea ? s'interposa mon frère qui quitta sa place près du 4x4 renversé.

Je lorgnai vers le bouchon monstre à quelques mètres de là. Les Soldats Noirs aux pupilles vides s'étaient avancés jusqu'à l'avant des premiers véhicules et nous observaient comme des loups face à une poignée de moutons. J'affrontai ensuite l'air inquisiteur de Nathan tout en lui bloquant le passage vers la Hyundai.

- Je suis désolée. On ne peut rien pour elle, Nathan. Le choc a été trop rude.

Gaspard grimaça dans son dos, puis enclencha un chargeur dans son arme. Nathan, immobile me regardait sans comprendre, comme si l'information refusait de monter à son cerveau. Mais il y avait urgence, il fallait bouger.

- Non, souffla mon frère. C'est impossible, je... Elle ne peut pas...

- Je suis désolée, répétai-je.

- Non !

Nathan se jeta en avant – à quatre pattes cela n'était pas très impressionnant – le visage déformé par la douleur, mais Gaspard le retint par le dos de son pull et le ramena brutalement à sa place. Comme pour nous presser un peu plus, un Soldat Noir fit un pas vers nous.

- Je vais faire diversion, lâchai-je en prenant une grosse inspiration.

- On ne peut pas la laisser ici, haleta Nathan, les yeux exorbités.

- Bien sûr que si, sinon on va tous y passer. Gaspard, c'est bon pour toi ? Droit devant vous, sans jamais ralentir, okay ?

Le Revenant opina du chef et saisit le coude de mon frère qui bégayait encore des arguments pour rester auprès de Chelsea. Il ne quittait pas la Hyundai des yeux. Le décoller de là n'allait pas être de la tarte.

- Bien reçu, confirma Gaspard.

Il tira Nathan jusqu'à l'extrémité de la voiture et le força à ne pas regarder dedans. Les GEN prenaient leur temps pour s'élancer, à présent qu'aucun de nous le leur tirait dessus. Je pris position contre le 4x4 et posai les mains sur la carrosserie, juste entre les deux pneus gauches. Après réflexion, je dégainai mon couteau et en deux coups précis, entaillai le réservoir d'essence qui se mit à goutter sur le sol.

- J'espère que tu aimes courir, mec, entendis-je Gaspard dire à Nathan. Ça va être le moment de libérer l'athlète qui sommeille en toi.

- Prêts ? demandai-je. Maintenant !

Je poussai de toutes mes forces avec un rugissement de rage pas féminin pour deux sous tandis que Gaspard donnait le départ et fonçai à toute allure vers la barrière de sécurité, Nathan pendu à son bras. La voiture s'envola pour retomber dans une gerbe d'étincelles sous le nez des GEN. Il y eut une explosion qui souffla le toit métallique et la carcasse s'embrasa en un rien de temps, sous les cris d'horreur des humains coincés dans leurs voitures. Projetés en arrière, deux Soldats Noirs percutèrent durement le bitume et les autres se jetèrent au sol pour se protéger.

Sans demander mon reste, je pivotai sur mes talons et courus vers le bois.

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