Chapitre 13


Je n'entendis pas la remarque de Vince qui tendis la main pour me toucher le bras et me dégageai. En un rien de temps, je remplaçai mon trouble par une froide colère qui se diffusa dans mes veines. Irina Malcolm comptait s'en prendre à mon frère. Il n'était pas question que je reste ici sans rien faire.

Ignorant Castel et l'informaticien qui se regardaient en chien de faïence, je pivotai sur mes talons et sortis de la salle si vite qu'aucun ne me retint. Il n'y avait pas une minute à perdre car la venimeuse doctoresse agirait le plus vite possible.

Mais quel était son but final ? Tuer Nathan Deveille ? Sous mes yeux, si possible ? Non, parce que cela ne lui apporterait rien de plus. J'avais déjà perdu Allan, je voyais difficilement comment souffrir plus que cela. S'en servir comme moyen de pression ? Plus probable, en effet. Ou alors, encore mieux, le transformer et le retourner contre moi. Irina était plus retorse que Marx, elle pouvait inventer n'importe quoi.

Une volée de jurons s'échappa de mes lèvres alors que je fonçai dans la cage d'escalier, heurtant au passage Martial qui débouchait dans le couloir. Le soldat se retourna dans ma direction, un air interrogateur sur le visage mais je filai sans demander mon reste. Je n'avais pas l'intention d'impliquer qui que ce fut d'autre que moi-même. Mon frère était déjà dans la merde jusqu'aux yeux, c'était bien assez !

Bon sang, mais qu'est-ce que Niels avait foutu ? N'avait-il pas promis de protéger ma famille en échange de mes services ? Et pour quel résultat ? Cet imbécile était un incapable doublé d'un menteur. Lorsque je lui avais demandé de faire sortir Amanda de l'Institut, il avait mis ses pirates informatiques sur le coup pour retirer à Marx toutes les informations sensibles sur moi, Allan, et quelques autres GEN censés s'enfuir dès le départ. Il devait les mettre en sécurité pour empêcher l'Institut de s'en prendre à nos proches. Quelle blague...

Je déboulai en dérapant dans le couloir de mes quartiers, fis un aller-retour dans ma chambre histoire de me changer, et entamai ma remontée vers la surface. Je portais à présent un jean, mes rangers, un pull à col roulé bleu marine et une veste en cuir – pratiquement les seuls vêtements civils que comportait mon armoire. Contre ma hanche, je sentais le poids habituel de mon arme et j'avais caché plusieurs chargeurs dans ma tenue, ainsi que quelques couteaux. Les agents d'Irina Malcolm en auraient pour leurs frais.

Tandis que je me dirigeai vers le garage, mon portable sonna deux fois, mais je fis comme si je n'entendais pas. En quelques minutes, Félix Castel avait dû prévenir les jumelles et Niels, mais nul ne m'arrêterait. C'était leur faute, après tout. Laisser l'ennemi entrer si facilement dans le serveur était une grave erreur. Si aucune protection ne fonctionnait vraiment, les Revenants n'auraient aucune chance de gagner la guerre.

Je stoppai net devant un coupé Hyundai, de couleur grise et avec seulement trois portes. Steve avait bossé sur ce genre de véhicule pour installer de nouveaux moteurs et je savais que la voiture en avait sous le capot. Clés en main, j'ouvrais la portière quand Niels pénétra dans le garage, le regard dur. Je portai sans équivoque la main à mon arme et le défiai. A cet instant, j'aurais été capable de le tuer pour qu'il me laisse partir.

Vêtu d'un costume impeccable qui lui allait aussi bien qu'un tablier à une vache, le chef Revenant se dressa devant moi. Je ne savais pas d'où il revenait, mais cela devait être important, même s'il portait mieux l'uniforme que le costume. Peut-être avait-il rencontré le président, ou quelqu'un dans ce genre-là.

- Où croyez-vous aller, agent Deveille ? lança le demi-GEN.

- Où bon me semble, monsieur, ironisai-je. Je ne pense pas avoir demandé votre autorisation pour quitter la base.

- Je vous interdis de partir. Félix m'a informé de la situation et nous allons dépêcher les équipes compétentes dès que...

- Dès que quoi ? coupai-je. Que mon frère sera mort ? Maintenant sortez-vous de là Niels. Sinon je vous écrase.

Albert Niels bomba le torse et fit un pas vers moi, apparemment pas d'accord du tout. Soit. Je refermai la porte qui claqua sèchement et lui fis face, la rage au ventre.

- Que les choses soient claires, agent Deveille, je refuse que vous partiez voler au secours de votre frère. C'est une réaction inconsidérée qui pourrait bien mettre en péril tout ce que...

Je fus sur lui en deux pas et le saisit au col. Une envie sourde de lui casser le nez me taraudait au point que ma main trembla lorsque je le poussai contre le mur.

- Ecoutez-moi bien, Albert, sifflai-je. Vous me faites perdre un temps considérable alors que mon frère est en danger. Je vous promets que s'il lui arrive quoi que ce soit, vous le regretterez.

- Nous avons un accord, commandante, vous devez...

- Je ne vous dois rien du tout Niels. Je suis ici parce que vous avez besoin de moi, point final. Vous voulez l'Ange Noir, le symbole des GEN, pour galvaniser vos troupes, mais vous ne voulez pas qu'il vous dérange et qu'il empiète sur votre autorité, hein ? C'était une potiche qu'il fallait demander au Père Noël, Niels, pas moi.

Je le poussai un peu plus, appuyant sur sa gorge. Un filet de bave coula le long des lèvres du demi-GEN qui cherchait son air. Sa main droite voulut me faire lâcher prise mais il n'était pas assez fort. Je lui ricanai au nez.

- Quant à notre engagement, il ne vaut plus rien, repris-je. Vous avez obtenu ce que vous vouliez, et même plus avec tous les GEN qui m'ont suivi, mais, moi qu'ai-je reçu en retour ? Vous avez libéré Amanda et c'est bien la seule chose que vous avez su faire correctement ! Mon frère est pris pour cible par le docteur Malcolm, Niels, alors que vous deviez veiller sur lui !

- Je...

- Fermez-la. Je vais me débrouiller seule. Et vous allez vous ôter de mon chemin.

Albert Niels retomba sans grâce sur le sol mais se releva plus vite que je ne l'aurais cru. Cependant, je me fichais pas mal de le voir se masser le cou et lui tournai le dos pour regagner la voiture.

- Restez où vous êtes, Albert, l'avertis-je. J'ai assez de balles pour vous en offrir une.

Là-dessus, je m'assis au volant et démarrai dans un rugissement de moteur. Dans mon rétroviseur, la dernière chose que je vis fut Félix Castel rejoignant son patron, Madeleine Maturet sur les talons.


***


Nathan Deveille avant dix-neuf ans lorsque sa sœur avait disparu dans un accident de car qui avait tué tous les élèves et les enseignants en voyage scolaire. A l'époque en fac de maths dans la ville de St Etienne où il louait un studio étudiant pour la semaine, c'était un jeune homme sportif, discret, et impliqué dans le club de musique de l'université. La mort de Luna avait été un choc pour lui et ses parents, et Nathan n'avait pas su remonter la pente. Il avait abandonné ses études au semestre suivant, et la police l'avait arrêté deux fois pour suspicion de possession de drogue, même si elle n'avait jamais rien pu prouver. Après avoir squatté un appartement avec des amis et trempé dans quelques affaires pas très nettes, Nathan avait fini par revenir chez ses parents, se trouver un petit boulot de mise en rayon au supermarché, et avait arrêté les bêtises. Six mois plus tard, il entamait une formation qui l'avait conduit à postuler à la médiathèque municipale où il avait été embauché. Âgé d'un peu plus de vingt-deux ans, il logeait à présent non loin de son lieu de travail, seul, et ne sortait plus du droit chemin.

C'était toutes les informations que j'avais pu trouver sur Nathan Deveille avant d'arriver à destination. J'avais conduit sans pause pendant des heures, le cerveau uniquement connecté sur ce que j'avais à faire, si bien que l'après-midi touchait presque à sa fin lorsque je m'engageai dans la rue jouxtant la nationale et permettant un accès à la place principale.

Peu importait le nom de la ville, finalement. J'avais gravé dans ma tête l'adresse de Nathan qui habitait toujours la même commune bien qu'il eut quitté le domicile familial, et cela me suffisait. Les bâtiments et les commerces ne me rappelaient rien, pas le moindre souvenir et encore moins d'émotions, mais c'était un peu comme si le plan de la ville de mon enfance était imprimé en moi. Je savais y aller et m'y diriger, point.

Je roulai au pas à travers la place, scrutant les alentours à la recherche d'un signe de Nathan ou d'un éventuel ennemi. J'avais l'avantage de la distance, plus courte de la base à l'appartement de Nathan, que de l'Institut au même endroit, mais Irina avait dû envoyer ses hommes avant mon départ. Elle avait un coup d'avance, et je sentais la tension s'accumuler en moi, d'autant que la doctoresse pouvait très bien avoir mené des agents jusque-là en jet plutôt qu'en voiture, mais cela n'était pas discret du tout pour le voisinage. J'espérais qu'elle n'avait pas eu d'appareil à gaspiller pour une mission alors qu'elle préparait une guerre, car je n'avais moi-même pas eu le choix de mon mode de déplacement. Pour un peu, Niels m'aurait obligée à venir à pieds...

Je traversai la place bordée de deux coiffeurs, de la poste et d'une auto-école en plus d'un monument dédié aux anciens combattants, puis tournai à son extrémité dans une ruelle qui regroupait pas moins de trois cabinets médicaux. Au bout s'étendait un vaste parking au pied de l'église. Il était presque désert à cette heure-ci. Les mains crispées sur le volant, je longeai tout l'édifice religieux pour me garer près d'un pot de fleurs. Sur ma droite, une impasse s'enfonçait entre deux grosses maisons mitoyennes à étage. La médiathèque se trouvait là, à quelques mètres, avec mon frère dedans.

Je mis le frein à main, expirai une grosse goulée d'air et me regardai brièvement dans le rétroviseur. Voilà, j'y étais. Nez-à-nez avec mon passé d'humaine qui aurait pu choisir un autre moment pour me revenir dans la face.

Je sortis du véhicule en claquant la porte, prête à abattre tout ceux qui se dresseraient entre moi et Nathan.

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