Chapitre 12


Je serrai le bipper au creux de mes doigts et jetai un rapide coup d'œil vers Gaspard et les autres qui bavardaient toujours sans s'affoler. J'étais donc la seule à avoir reçu l'alerte, ce qui signifiait qu'ils n'étaient peut-être pas concernés. Je me détournai sans attendre et dévalai l'escalier.

La salle des informations stratégiques se situait au même niveau que le bureau où avait eu lieu le débriefing avec Niels et Anabelle Maturet. Je marchai vite tout en notant qu'aucune alarme n'avait été déclenchée, et parvins devant la porte en un rien de temps. Je la poussai, débouchant dans une cacophonie de cris monstre et une agitation sans pareille.

Félix Castel se tenait au beau milieu de la pièce rectangulaire, sans fenêtres et bordée d'une dizaine de postes de travail avec ordinateurs perfectionnés – plus, en tout cas, que le reste du matériel des Revenants. L'homme aboyait des ordres, apparemment furieux, les yeux rivés sur la projection visible sur le mur d'en face. Des séries de chiffres y défilaient à toute allure.

- Bloquez-les, nom de Dieu, sifflait Félix. Rétablissez nos pares-feux !

Ça, ça sentait le piratage informatique et ce n'était pas de très bon augure. Je grimaçai dans le dos du responsable de la sécurité et me faufilai sur la droite vers le dernier poste de travail. Je ne voyais pas ce que je faisais là dans la mesure où aucune des jumelles Maturet n'était en vue, et où même Albert Niels ne se montrait pas. Peut-être s'agissait-il d'une erreur, mais j'étais quand même curieuse de savoir.

L'humain qui se trouvait devant l'ordinateur le plus excentré s'appelait Vince. Je le connaissais un peu parce qu'il était souvent amené à effectuer des programmations sur les machines que Steve réparait à l'atelier. Il était arrivé très jeune dans la rébellion, et désormais âgé de quarante ans au moins, il était si habitué à vivre parmi les GEN qu'il n'avait même pas cillé en me rencontrant. Petit, le corps sec et nerveux, une bonne calvitie attaquant ses cheveux blonds, Vince portait des lunettes rondes dorées, mais surtout, il était l'un des meilleurs informaticiens de Niels. A cet instant précis, il tapait si fort et si vite sur son clavier que je m'attendis à voir s'envoler les touches. Je m'accroupis discrètement à côté de sa chaise puisque Castel ne m'avait pas vue. De la peau de saucisson devant les yeux, celui-là... 

- Vince ? chuchotai-je. Qu'est-ce qui se passe ?

L'autre me lorgna du coin de l'œil mais revint immédiatement à son écran.

- L'Institut s'est introduit dans nos systèmes avec un cheval de Troie. Ces salauds tentent de récupérer nos informations.

Il cliqua à plusieurs reprises tandis que Castel fulminait derrière nous, intimant à son équipe de repousser l'ennemi virtuel. Je ne comprenais pas forcément tout ce que je voyais mais je savais tout de même deux ou trois choses en la matière. Vince et les autres érigeaient des boucliers autour de leur système et les agents d'Irina les détruisaient méthodiquement à grand renforts de formules.

- C'est moi qui t'ai envoyé l'alerte, reprit Vince. Niels est en déplacement et les lieutenants sont à l'extérieur jusqu'à ce soir.

- Félix va être content quand il va s'en apercevoir, ricanai-je. Tu crois que vous allez parvenir à les repousser ?

- Il faudra bien. Ils cherchent à fouiller les dossiers personnels de nos agents.

- C'est bon, patron, s'écria soudain une femme à deux chaises de celle de Vince. Ils sont bloqués.

- Déconnectez tout et relancez les pares-feux, ordonna Félix. Ensuite... Deveille ? Je peux savoir ce que vous foutez ici ?

Je me redressai tranquillement sous quelques regards qui retournèrent bien vite à autre chose. On ne prenait pas une intrusion dans les systèmes informatiques à la légère car cela signifiait que l'ennemi était en mesure de recommencer.

- J'ai vu de la lumière et je suis entrée, lâchai-je le plus sérieusement du monde.

- Je n'ai pas besoin de vous ici, cracha Castel. Votre truc c'est de décapiter les gens, alors contentez-vous de ça.

- Patron, intervint Vince, on redémarre.

Les ordinateurs se rallumèrent dans un bel ensemble et Félix Castel se détourna de moi. Il avait les poings serrés mais se contenait malgré sa colère. Je fis un effort pour ne pas le défier du regard.

- On va passer les fichiers en revue, fit l'informaticien. A mon avis, ça sent le traquenard à plein nez. Ils se sont retirés beaucoup trop vite, on ne les a pas vraiment repoussés.

- Ils ont trouvé ce qu'ils voulaient, devinai-je.

- Il y a des chances, murmura Vince.

La roulette de sa souris se mit à faire descendre les données qu'il parcourait du regard. Les informations s'étalaient pour la majorité sous forme de chiffres et non de mots, ce qui impliquait un décodage pour les pirates, mais je restais surprise qu'Irina Malcolm ait mené une telle attaque.

- Tu peux savoir à quoi ils ont eu accès ? demanda Félix en se penchant par-dessus son épaule.

Vince ouvrit un dossier, le lut et le ferma, puis recommença avec un autre. Il se figea brusquement, la bouche ouverte.

- Luna, c'est ton dossier...

Mon sang se glaça dans mes veines et je me précipitai à mon tour près de lui. Mon nom était écrit en gros, en haut de la page.

- C'est tout ce qu'ils ont pu visiter ? insista Félix qui n'en avait apparemment rien à faire.

- Qu'ont-ils lu ? grondai-je en écartant l'homme d'un coup d'épaule.

- Agent Deveille, protesta Castel, je...

- Ils sont directement allés dans les informations familiales, annonça Vince. Ils savaient ce qu'ils faisaient et n'ont rien pris d'autre.

Il cliqua sur un lien et afficha les données récupérées par Irina.

La directrice de l'Institut avait l'adresse de Nathan Deveille. Mon frère.


***


Victoire Robilland émergea à l'air libre, dans la cour de l'Institut et tourna les yeux vers le soleil, offrant son visage à la caresse du vent. Il faisait beau, le premier jour sans pluie depuis une éternité, d'après ce que disaient les autres, mais la GEN s'en moquait. Rien n'avait d'importance, si ce n'était le fait qu'elle avait enfin atteint son objectif. Devenir la meilleure. Désormais, son potentiel était illimité.

Les tests que Victoire avait passé les dernières vingt-quatre heures avaient révélé qu'elle dépassait même les scores de Luna Deveille. Son taux de cellules mutantes était de quatre-vingt-quinze pourcent, soit trois de plus que celui de la traitresse, comme quoi, celle-ci n'avaient finalement rien d'exceptionnel. Victoire l'avait surpassée, personne n'avait jamais été autant GEN qu'elle sans devenir fou. Elle était la plus grande réussite de l'espèce.

Victoire sourit en traversant la cour. A présent qu'elle pouvait sortir, elle n'aspirait qu'à une chose : tester ses nouvelles capacités. Elle sentait ses muscles jouer sous sa peau, ses cheveux soyeux battre ses flancs, son sang affluer à son cœur avec force. Elle était inarrêtable, maintenant, et par-dessus tout, elle avait soif de mort. C'était le propre des GEN, après tout. Tuer, dominer, asservir. Leur place se situait tout en haut de la hiérarchie terrestre, au-delà des humains. Et ceux qui n'étaient pas d'accord avec ça n'avaient qu'à se préparer à mourir.

La jeune femme parvint devant le portail où l'attendait sa voiture. Elle avait hâte de se trouver devant sa cible. Un peu plus tôt, face à cet imbécile de docteur Girond, elle avait eu envie de se jeter sur lui et de le déchiqueter. Le gout du sang était venu sur sa langue, puissant, enivrant, ses yeux s'étaient voilés de rouge, mais elle avait tenu bon. Si elle tuait l'assistant d'Irina, celle-ci en déduirait qu'elle ne se contrôlait pas et voudrait l'enfermer. Victoire ne voulait pas de cela. Elle désirait être libre de massacrer qui bon lui semblerait, de répondre à l'appel du meurtre qui pulsait en elle.

Sa première victime serait Nathan Deveille. Victoire s'assit au volant en souhaitant voir le visage de Luna lorsqu'elle égorgerait son frère.

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