Chapitre 10


Je repris l'ascenseur pour descendre encore d'un étage vers mes quartiers et remontai un long couloir souterrain, gris et bardé de portes identiques sur toute la longueur. L'endroit n'était pas très chaleureux, et la chambre que je partageais avec Samuel, la dix-huitième à gauche, n'était pas pour améliorer les choses.

La pièce qui nous était réservée était carrée, petite et bétonnée du sol au plafond. Pour tout mobilier, elle comprenait une commode près de la porte, un bureau et une chaise en fer sur la droite, et enfin, le lit, droit devant moi. Quelques nuits seulement après notre emménagement, Sam et moi avions décidé que nous dormirions à tour de rôle sur le sol, car nous ne parvenions pas à tenir à deux sur le matelas – et ce n'était pas faute d'avoir essayé. La place n'était tout simplement pas prévue pour deux à moins d'aimer se coucher chacun dans un sens, avec les pieds de l'autre sous le nez.

Séparée de la chambre par un rideau marron clair du plus bel effet se trouvait une salle de douche minuscule. Des toilettes, une cabine si petite qu'il fallait rentrer en marche arrière et ne plus bouger ensuite, et un lavabo surmonté d'un miroir fendu avaient été installés là. Gaspard m'avait expliqué qu'il possédait exactement la même salle d'eau, à ceci près que je ne devais partager la mienne qu'avec une seule personne – et mon compagnon de surcroit – alors que lui et tous les membres de l'unité s'entassaient dans la leur. Selon mon équipier, les meubles étaient agencés de sorte qu'il était possible de prendre une douche tout en se brossant les dents et en visant la cuvette pour faire pipi. Je n'avais pas tout à fait le matériel pour vérifier ses dires, mais je le croyais volontiers.

Une fois dans ma chambre, je me débarrassai de mes vêtements de la nuit et filai sous le jet de la douche pour me savonner en vitesse, puis brossai mes cheveux et les tressai de manière fonctionnelle. J'enfilai une brassière de sport, un bas de jogging, une paire de baskets et un sweat zippé à capuche. Pas le temps pour la coquetterie, j'étais attendue en salle d'entraînement, au hangar 1. Les autres avaient certainement fini de s'échauffer, à l'heure qu'il était.

Tout en me dirigeant vers le hangar, je repensai à mon entrevue avec Niels et les autres. C'était un fait, nous n'avions pas de pistes suffisantes pour espérer prendre de l'avance sur les GEN. Irina Malcolm devait bien rire depuis son nouveau bureau. Marx refroidi, elle devenait la tête de l'hydre, et je la pensais encore plus redoutable que son prédécesseur. Celui-ci avait eu le malheur de baisser sa garde devant moi mais Irina ne ferait jamais la même erreur. Elle implanterait tous ses collaborateurs avec une puce s'il le fallait. En m'échappant de l'Institut, j'étais bien loin de m'être libérée de cette saleté de guerre.

Je chassai ces pensées qui me ramenaient sans cesse à Allan en débouchant dans le hangar 1, et montai au deuxième étage. Là, l'espace n'avait pas été scindé en plusieurs pièces et restait immense, équipé de tapis de gymnastique, de sac de frappes, et de machines de musculation perfectionnées. Les fenêtres au verre flouté apportaient de la lumière et le plafond la laissait aussi passer. Quant aux tapis, de couleur bleue ou verte, pour certains bien abimés, ils délimitaient des espaces d'entrainement permettant à chaque unité ou groupe de soldats venus les utiliser de travailler tranquillement. La plupart étaient d'ailleurs déjà occupés par les Revenant en plein effort, et sur mon passage, on me salua du regard ou d'un signe de tête.

Je me dirigeai vers un rectangle de tapis situé à peu près à mi-chemin entre l'escalier et le fond de la salle. C'était là que mon U.I.T se plaçait presque toujours pour les séances collectives, et je voyais la haute carcasse de Léo s'agiter devant un mannequin sur lequel il tapait. Je me portai à sa hauteur, rejoignant ainsi le colosse, Gaspard, Martial et Lynx. Je remarquai aussi la présence d'Aurélien Adam, le patrouilleur, et de deux autres soldats. Ils discutaient entre eux, mais étant donné leur dos trempé de sueur, ils n'avaient pas perdu de temps.

- Salut, les gars, fis-je. Échauffement terminé ?

Léo opina du chef tout en portant le coup de grâce à sa victime fictive et la tête de celle-ci s'envola. Sur le terrain, le demi-GEN était fait de force brute, mais son style d'attaque manquait souvent de finesse, le conduisant à s'exposer inutilement.

- Bien, on va se mettre au travail. Soldat Adam, venez par ici.

Le patrouilleur s'approcha tandis que je retirai ma veste et je vis ses yeux s'écarquiller à la vue de mon abdomen dénudé. Ma brassière de sport ne couvrait pas les sillons noirs courant sous ma peau depuis que j'avais reçu une dose considérable de poison, frôlant de près la mort grâce aux bons services de mon ancien ami, Marc. Le soldat avala lentement sa salive et se fit violence pour relever la tête. Ma blessure impressionnait autant les humains que les GEN et les persuadait que j'étais invulnérable. Ce n'était pas tout à fait vrai, en s'y prenant bien, il était sans doute possible de me tuer, mais le croire motivait tout ce petit monde. Après tout, comment perdre une guerre quand on avait dans son camp une guerrière immortelle ? Je n'allais pas leur casser le moral en remettant les pendules à l'heure. Il y avait plus important que ça.

- Vous êtes trois, c'est ça ? demandai-je à Adam en lorgnant ses camarades.

- Oui, commandante. Rémi Delgado et Brian Fontaine. Je réponds de ces hommes, commandante.

Je hochai la tête. Tous étaient humains, mais avaient l'air solide. J'avisai l'espace d'entrainement voisin où se détachait la silhouette athlétique de Nacera et lui fit signe.

- Salut, Luna, dit-elle avec un petit sourire ne venant vers moi.

- Salut. On a quelques nouveaux membres, j'aimerai que tu travailles avec eux et ton équipe, s'il te plait. On va reprendre l'exercice du miroir.

- Pas de problème, opina la jeune GEN. C'est parti, on y va.

L'ancienne petite amie de Samuel rejeta ses cheveux coupés en carré plongeant en arrière et entraîna sans rechigner Adam et les deux autres. Je l'observai les présenter aux deux humains et à l'autre GEN de son unité. Catherine n'était pas là, se remettant au mieux de ses plaies. Après avoir vérifié que tout le monde se mettait correctement en route, je retournai auprès de mes co-équipiers.

Deux-cent six Revenants s'entraînaient le plus souvent possible avec moi. Cela pouvait sembler beaucoup, mais compte tenu des effectifs dans les rangs de Niels, je trouvais que c'était plutôt ridicule. Tout le monde subissait une formation spéciale pour affronter les GEN, mais elle était moins poussée que celle à laquelle je soumettais mon groupe. Ici, chacun apprenait à maîtriser et tuer un soldat mutant. Il n'y avait qu'ainsi que les humais auraient une chance de ne pas se faire couper en rondelles, le jour venu.

L'exercice en miroir consistait simplement à faire se placer en face à face un GEN et un humain. Le premier exécutait des mouvements, simples et espacés au départ, puis de plus en plus rapides avec des enchaînements, et le second devait les reproduire, alliant précision et vitesse. Sur le même genre de modèle, j'avais instauré un travail sur la force et la souplesse. Les soldats humains devaient être les meilleurs, les plus solides, pour être aptes à se mesurer à l'Armée. La seule volonté de gagner ne suffirait malheureusement pas.

- Alors, qu'est-ce que tu nous as concocté aujourd'hui ? me relança Léo. Miroir pour nous aussi ?

- Tu veux rire ? ricanai-je. Je te rappelle que vous êtes mon unité. C'est bien trop simple pour vous.

Lynx, dans le dos du colosse, grimaça. Il était certes l'informaticien du groupe, plus souvent terré dans un van à nous donner des informations, mais cela ne le mettait pas à l'abri des sessions collectives. Je savais qu'il détestait la violence et l'idée même de se retrouver pris dans un combat lui mettait la nausée, mais c'était comme ça. Nous devions tous être prêts. Tous.

- Non, j'ai prévu autre chose, repris-je avec un petit sourire que je voulais rassurant à l'adresse de Lynx. On va bosser l'affrontement direct en groupe.

- D'accord, l'unité contre un Amélioré, résuma Gaspard en faisant rouler ses épaules.

- On va se faire laminer, ronfla Lynx. Avant-hier, avec Samuel, ça s'est mal terminé.

- Ce n'est pas Samuel, cette fois-ci, répliquai-je. Tout Amélioré présente un profil différent. Vous devez apprendre à cerner les faiblesses de n'importe quel adversaire.

L'informaticien opina sans conviction et enleva son sweat, révélant des bras pâles et minuscules à côté de ceux de Léo.

- Bon, c'est qui ? voulut savoir ce dernier.

J'esquissai un sourire carnassier.

- Moi.

Martial et Gaspard ouvrirent la bouche pour protester, mais je levai une main pour couper court à toutes leurs récriminations et me plaçai au centre du tapis.

- En place, exigeai-je. Comme d'habitude, vous devez me mettre à terre, un genou sur ma poitrine ou mon dos. Cela représente l'ouverture possible pour m'achever. Pas d'armes, c'est un corps à corps.

- Tu as prévenu l'infirmerie pour qu'ils libèrent des lits, j'espère ? lâcha Gaspard.

- Ne t'en fais pas pour ça, je vais y aller doucement, m'amusai-je.

Mes quatre équipiers se mirent en position, tout autour de moi, à distance respectable. Il m'arrivait de donner une situation précise à respecter, comme par exemple un ordre d'arrivé près de l'adversaire, ou une configuration de l'environnement, mais j'avais choisi de faire simple. La difficulté était déjà assez présente comme cela.

Je fléchis les genoux, le regard planté dans celui de Léo qui se trouvait pile dans mon axe et inspirai un coup. Je donnai le top.

Le cercle formé par les garçons se referma immédiatement sur moi, restreignant ainsi mes possibilités de fuite ou d'esquive. C'était une tactique qui pouvait porter ses fruits à condition d'être justement dosée. Ainsi que je l'avais dit à mes équipiers, se rapprocher de l'ennemi, c'était aussi se mettre à sa portée et se rendre vulnérable.

Léo s'avança le premier, Martial dans mon dos. Ils attaquèrent de concert, rapides et bien coordonnés mais je bloquai le bras du géant, trop lent pour moi et pivotai à toute allure vers Martial, balayant le sol de ma jambe pour faucher les siennes, ce qu'il parvint à éviter. Evidemment, je ne mettais pas toute la gomme dans mes mouvements histoire de leur laisser une chance. Un combat terminé en quelques secondes n'avait d'intérêt pour personne. L'homme recula prestement, reprenant position mais je ne le laissai pas faire et me concentrai sur lui, tentant de le frapper au visage.

- Plus vite, intimai-je. Déplace tes bras, tu cherche à m'atteindre mais tu laisse ton abdomen sans protection.

Martial resserra aussitôt les bras, mais, trop concentré sur cette zone, ne vit pas venir le second balayage que je lui infligeai et s'affala sur le dos. Je posai un genou à terre, vive comme l'éclair et le clouai au sol.

- Échec, lâchai-je pour symboliser sa mise hors-jeu.

Je me relevai aussi sec vers Léo qui m'avait contournée. Gaspard demeurait en retrait : un bon point car en conditions réelles, mieux valait surveiller ses arrières en cas d'arrivée de renforts. Décidant de passer à la vitesse supérieure, je bondis en hauteur et retombai de toutes mes forces sur les épaules du colosse qui s'agita aussitôt pour me chasser comme si j'étais un insecte gênant.

- Tu es exposé, l'avertis-je sans lâcher prise pour autant. Ton cou est l'une des zones les plus sensibles. Déloge-moi.

L'autre ronfla, rua et finit par se jeter en arrière, me tombant dessus. Écrasée sous son dos puissant, je sentis l'air sortit brutalement de mes poumons. Je croisai les jambes sur son torse et basculai les hanches, forçant ainsi le demi-GEN à rouler de côté. Son poids ne me posant aucun problème, je réussis à reprendre le dessus et à me tenir sur lui plutôt que dessous. Le colosse riposta d'un coup placé en plein visage que je lui rendis avec violence, sans m'empêcher de sourire. Avec lui, j'avais moins besoin de me retenir, et il appliqua à la lettre mes consignes consistant à ne surtout pas ménager un adversaire GEN, même à l'entrainement. Nous étions bien assez solides pour guérir ensuite.

- Encore, aboyai-je en détournant son bras lors de sa seconde tentative. Donne tout ce que tu as, bon sang !

Une main se posa alors sur mon épaule et me tira, mais j'avais vu Lynx venir et balançai les jambes de côté pour me retrouver face à lui, si vite que Léo ne put pas profiter de la faille. Du plat de la main, je repoussai Lynx qui alla rejoindre Martial au sol et j'esquissai une petite moue avant de m'abattre sur le demi-GEN, mimant le geste pour lui écraser la trachée.

- Double échec, les gars. Vous avez de la purée dans les biceps, ou quoi ?

Gaspard entra en piste à ce moment précis et se jeta sur moi avec tant de force que nous roulâmes loin de Léo jusqu'à sortir du tapis. Ses doigts m'agrippèrent les cheveux, cognant mon crâne sur le sol avec une force surprenante pour un humain. Là, ça devenait intéressant.

Je remontai mes jambes contre sa poitrine et le dépliai d'un coup, envoyant le jeune homme valdinguer à quelques mètres, puis me remis debout. Il se mit à quatre pattes sans mal, et nous nous affrontâmes du regard. Gaspard attaqua le premier d'une détente spectaculaire et je bloquai, rendant coup pour coup.

- Plus vite, Olbec, attention à ta défense. Bouge tes pieds, nom de Dieu, t'en a deux, ça te sert à quoi ? Tes pieds, je te dis ! Arrête d'exposer ton flanc, replace tes bras.

Un filet de sueur coula de la tempe de Gaspard jusqu'à la cicatrice dépassant de son t-shirt mais ses yeux conservaient une concentration sans limites. Il était le meilleur de l'unité, après moi, bien sûr, et cela se sentait. Il avait été formé par les jumelles Maturet elles-mêmes.

- Maintenant, attaque, fis-je. Plus rapide, plus précis. Profite des ouvertures lorsque je défends un côté. Déplace-toi, prends-moi par surprise.

- Je vais t'avoir, grogna-t-il.

- Tais-toi et agis.

Je souris d'une oreille à l'autre quand son poing me percuta le nez mais me défendis dans la foulée, le forçant à reculer de plusieurs pas. Il m'atteignit encore en visage, puis au ventre mais son troisième essai rata et je m'effaçai avant l'impact, me tenant ainsi dans son dos. D'un coup pied dans la colonne, je le fis s'étaler à plat ventre et le plaquai sur le tapis. Empoignant une mèche de cheveux, je lui fis relever la tête, exposant sa gorge et approchai mes lèvres de son oreille. Installée sur lui de cette façon, je l'empêchai de faire le moindre mouvement.

- Échec, Gaspard.

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