Ulrich Marx épousseta son costume et marcha dans la cour d'un pas lent, embrassant les dégâts du regard. A sa droite, le docteur Girond tenait son parapluie, un air obséquieux sur le visage et le suivait comme son ombre.

- Combien de morts ? interrogea Marx d'un ton parfaitement neutre.

- Dix-huit, monsieur. Et bien plus de blessés, mais ils s'en remettront vite. Nous avons mis les cellules à lumière bleue en route.

Marx hocha la tête sans écouter la suite du discours superflu de Girond. L'assistant d'Irina était un âne, mais un âne bien utile. On ne pouvait pas lui ôter cela.

Le directeur passa devant la portion de mur défoncé avec un grognement de frustration. Le matériel, les bâtiments, tout cela n'importait guère étant données les ressources financières dont il disposait. La seule chose qui l'obsédait et lui brûlait les entrailles de l'intérieur, c'était la trahison. Celle de trente-sept de ses hommes. Celle de Stone, son fidèle instructeur. Celle d'Allan. Celle de Luna Deveille. Cette garce s'était moquée de lui depuis le départ, et avait réussi à le berner. Il n'avait jamais eu le dessus sur elle. La créature s'était retournée contre le maître.

Marx entra dans le laboratoire pour échapper à la pluie. Il faisait nuit mais le temps ne s'était pas amélioré. Il fit un geste agacé en direction de Girond qui détala sans attendre vers l'infirmerie pour vaquer à d'autres occupations.

Irina Malcolm était là, debout près de deux GEN qui soulevaient un brancard. Elle vint à lui, une tablette à la main, ses talons crissant sur les débris de verre.

- Encore en vie, dit-elle laconiquement, mais tout juste.

Marx regarda passer la civière dont le drap avait légèrement glissé, laissant entrevoir des mèches rousses.

- Il vous reste une dose ? voulut-il savoir.

- Une seule, oui. Son corps refuse de se régénérer, monsieur, et je doute que cela suffise.

- Les résultats ont été très probants sur Nina. Vous avez mon feu vert.

La doctoresse se contenta d'un hochement de tête et s'en alla à la suite des brancardiers.

Marx demeura seul dans le laboratoire. Il fit quelques pas, les bras dans le dos. On avait enlevé le corps de Rick – celui-ci, soit dit en passant, avait dû passer un sale quart d'heure face à Luna – mais pas encore celui d'Allan. Le GEN brun reposait là, calme, les yeux clos, dans cette insupportable veste grise.

Allan, donc. L'adolescent récalcitrant qu'il avait cru mater. Un agent remarquable qui avait fait de Luna ce qu'elle devait être, tout en préparant le jour où tous deux le poignarderaient dans le dos. Un traître qui l'avait payé de sa vie.

Le directeur s'accroupit et passa une main sur le front de son agent. L'amertume emplit sa bouche et il s'apprêtait à se relever quand un bruit aigu lui fit froncer les sourcils. Il se retourna, constatant que l'électricité revenait, accompagnée des lumières bleues de N.I.A. Le système se remettait en route.

Mais il ne remarqua pas le drone blanc, troué d'une balle en son centre, et en train de se rallumer, pas plus qu'il ne vit que la lumière qui l'éclairait était rouge. Il ne le vit pas s'élever dans la pièce d'un vol irrégulier et se placer dans son dos. Il n'avait d'attention que pour le cadavre d'Allan.

- Bonsoir, monsieur le directeur.

La voix électronique emplit la pièce sans que Marx ne daigne se retourner. Il l'attribua sans réfléchir à l'intelligence artificielle qui sécurisait le domaine et se réinitialisait.

- Bonsoir N.I.A, dit-il.

- Monsieur le directeur, vous avez échoué.

Le GEN replet haussa les épaules et se remit debout pour de bon. Le programme défaillait, il allait devoir en toucher deux mots à ses informaticiens.

- Monsieur le directeur, vous avez échoué.

- Qu'est-ce que tu dis, bon sang ?

Marx soupira et voulut sortir de la pièce, mais son regard tomba sur la lumière rouge et il aperçut le drone. Son sang se glaça dans ses veines.

- Vous avez échoué, répéta la voix crépitante. Avec les félicitations de l'agent Vallet.

Ulrich Marx, directeur de l'Institut, ouvrit la bouche et poussa un long hurlement.