Chapitre 48

Je me mis debout et étirai mes épaules. La douleur dans mon crâne se transformait déjà en démangeaison, signe de la guérison imminente des coups infligés par Rick. Ce dernier ne nuirait plus à personne.

Je fouillai le laboratoire en ruine du regard et fis quelques pas en avant pour me rapprocher d'Allan qui me sourit. Il était indemne, heureusement et je sentis mon cœur s'alléger un peu. J'avais eu peur qu'il ne fût blessé par Nina ou pire, tué dans la bataille. Mais non, tout allait bien.

- Amanda, tout va bien ? demandai-je à voix haute.

Mon amie Noire se redressait tant bien que mal avec son ventre difforme et prenait appui sur Geb dont l'air prévenant me rassura un peu plus. S'il y avait bien une chose dont j'étais certaine, c'était qu'il ne ferait jamais de mal à Amanda, qu'il fût Steve Marx ou notre ami amnésique.

- Oui, fit doucement la jeune femme. Ça...

Le coup de feu me déchira le tympan et la balle passa si près de moi que je la sentis me brûler l'épaule. Je clignai des yeux, et, sur le moment, je ne compris pas.

Victoire avait tiré, le corps si frissonnant que j'ignorais si elle avait pu viser quoi que ce fut. Je cherchai toute trace de plaie supplémentaire sur le corps encore agenouillé du chef de la sécurité et n'en trouvai pas. Le projectile s'était fiché dans le torse d'Allan.

- Nom de Dieu, Vic, arrête, grondai-je en tendant le bras dans sa direction. Il est mort !

Une remarque acerbe me vint aux lèvres. Ce n'était que maintenant que tout danger était écarté qu'elle parvenait à presser la détente, et il fallait en plus qu'elle loupe Richard Simon ? Marx s'était fourré le doigt dans l'œil quand il avait pensé faire de Victoire un soldat à mon image avec ses expériences scientifiques. Pourtant, je ravalai mon animosité – Allan n'avait pas l'air d'avoir mal et semblait juste surpris par le tir – et me contentai de fixer Victoire dans les yeux d'un air réprobateur. Elle avait baissé son arme, pâle comme un linge.

Soudain, son expression se modifia et se durcit, de même que le pli de sa bouche.

- Oui, chuchota-t-elle. Il l'est.

Je sentis le danger qui me glaça jusqu'aux tréfonds de mon être et me jetai sur elle à une vitesse foudroyante, mais les deux autres coups partirent avant que je ne la heurte. Je stoppai son bras d'une torsion et le quatrième projectile se planta dans un néon, accompagné d'une pluie d'étincelles. Amanda avait étouffé un cri et plaqué ses mains sur sa bouche.

- Qu'est-ce que tu fais ? sifflai-je en forçant Victoire à se mettre à terre.

- Luna !

J'ouvris la bouche pour répondre à Amanda dont la voix ressemblait à un couinement mais rencontrai les yeux glacés d'Allan et me figeai. Le sang quitta mes joues et mon souffle se bloqua dans mes poumons.

Allan se tenait toujours debout, juste à côté du cadavre repoussant de Rick. Il porta lentement sa main droite à son torse atteint par les trois balles de Victoire et la retira pleine de sang. Du sang noir.

Un froid terrible s'insinua en moi, me liquéfiant les entrailles et pétrifiant chacun de mes muscles.

- Non, m'entendis-je gémir. Pas ça...

Les images de Marc, empoisonné, et de Tribal à l'agonie défilèrent dans mon esprit. Je n'avais pas pu les sauver. C'était impossible. Pas encore une fois. Pas Allan.

- Luna, hoqueta alors Victoire dont je serrais le poignet si fort que mes ongles faisaient couler le sang.

Ce fut sa voix, et ce simple mot prononcé sur un ton suppliant après ce qu'elle venait de faire qui déclencha tout. Ma fureur. Ma haine. Mon désir de meurtre.

Un voile rouge se posa sur mon champ de vision, je refermai le poing et la frappai. Au premier coup, je lui brisai le nez. Au second, je lui enfonçai la pommette. Au troisième, ses dents se détachèrent de ses gencives. Mais ce n'était pas assez. Elle méritait pire que ça. Elle méritait de souffrir. Alors, je l'attrapai violemment par les cheveux, la retournai face contre terre et appuyai mon genou sur sa colonne. Un grondement inhumain franchit mes lèvres quand celle-ci craqua et je lui empoignai la tête à deux mains. Elle se débattit, voulut m'échapper, et au bout de quelques chocs avec le carrelage rougit, cessa de bouger. Mais je cognai, encore, et encore, consumée par la rage.

- Luna. S'il te plait.

Allan.

Je lâchai Victoire comme un chat se désintéresse de sa proie sans vie et m'arrachai à la vision de son visage réduit à un amas de chair sanguinolente avec l'impression d'être tirée d'un rêve. Quiconque aurait essayé de la reconnaître n'aurait pas pu, à part peut-être grâce à l'unique œil vert encore visible, trouble et vide.

- Luna, répéta doucement Allan.

Ma colère s'évapora brusquement, remplacée par un chagrin si fort que je crus prendre un coup de poignard dans le ventre. Mon ancien mentor chancela et je me levai juste à temps pour le rattraper.

- Allan, murmurai-je en l'accompagnant jusqu'au sol. Allan, je suis désolée, je suis tellement désolée...

Un bruit rauque s'échappa de mes lèvres, un sanglot comme je n'en avais plus eu depuis des années et des larmes inondèrent mes joues. Des spasmes de douleur arquaient déjà le corps d'Allan qui me saisit derrière la nuque et m'attira vers lui. Nos lèvres se joignirent et il m'embrassa.

- Luna, haleta-t-il, écoute-moi, Luna. Ne...Ne me laissa pas mourir comme ça. Je...S'il te plait...

La douleur contracta ses traits et un peu de liquide noir épais coula de ses narines. Des veines sombres courraient sous sa peau.

- Tiens, reprit-il en glissant un objet de petite taille dans ma poche.

Je ne vis pas de quoi il s'agissait, incapable de détacher mon regard des iris clairs d'Allan. Un étrange apaisement s'empara de moi. Je savais quoi faire. Je le lui devais bien.

Je me penchai doucement sur lui, enserrant son cou et ses épaules de mes bras et me blottit dans son étreinte. Allan posa doucement ses mains sur ma taille et colla sa bouche contre mon oreille.

- Main...Maintenant, Luna, dit-il si bas que je fus la seule à l'entendre. N'oublie jamais que...que... Je t'aime.

Allan mourut de ma main, comme je le lui avais promis. Ce fut rapide, comme une expiration éteignant une bougie. Fugace.

A la vue de son visage serein, exempt de souffrance, plus calme que je ne l'avais jamais connu, je sentis quelque chose se rompre en moi et posai mon front contre celui de l'homme qui m'avait tant donné et que je venais de perdre.

Il était parti. A sa manière, il était libre.


***


Annabelle Maturet rabattit la bâche qui servait de fermeture à la remorque du camion en jetant un dernier regard à Nina Duquesne, ligotée et inconsciente avant d'en descendre, le front moite de sueur. Les derniers GEN à embarquer s'éternisaient dans le laboratoire, et il était plus que temps de s'en aller de ce guêpier.

Annabelle se tourna vers le manoir silencieux et la cour vide à l'exception des corps. Ce calme lui faisait froid dans le dos, tout comme les visages collés aux vitres de la bâtisse, se contentant de regarder leurs ennemis sans intervenir. Les Revenants avaient prédit un départ sous le feu nourri de leurs adversaires, mais il n'en était rien. Marx avait retiré ses troupes, certainement pour ne pas subir de pertes supplémentaires.

Soudain, la GEN se figea sur place, les muscles raidis, happée par une sensation de chagrin qui la fit trembler de tous ses membres. Elle fixa du regard le laboratoire aux fenêtres brisées, incapable de se défaire de ce sentiment et tomba à genoux, privée de sa volonté propre.

Quelqu'un était mort, et sans savoir pourquoi, elle se mit à pleurer.


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