Chapitre 46
Sitôt dans la cabine, je remarquai le clignotement rouge des boutons permettant de sélectionner l'étage où nous voulions nous rendre et m'en approchai un peu plus. D'habitude, lorsque je voulais descendre dans des zones top-secrètes, j'annonçai mon matricule à N.I.A, mais comme nous nous passions désormais de ses services, je décidai d'entrer le code sur le panneau de contrôle. Les boutons virèrent au vert et je souris sans retenue.
Où cet imbécile de Marx pouvait-il bien se cacher ? Ici-même, dans ses quartiers ? Dans une salle sécurisée du manoir ? A moins, évidemment, qu'il n'eut déjà pris la fuite en direction de la Cascade... Dans tous les cas, il n'avait même pas pris la peine de bloquer mes accès à l'Institut. Ce cher directeur perdait décidément pieds.
Le couloir des Déformés était plongé dans le silence et toujours aussi lugubre. Je le parcourus rapidement, Samuel surveillant nos arrières et Gaspard marchant à côté de moi, bien que légèrement en retrait. J'observai du coin de l'œil la gestuelle de l'agent de Niels. Il se déplaçait avec discrétion, vigilant et prêt à bondir si besoin. Il émanait de lui une certaine puissance qui me faisait penser que le chef des Revenants ne plaisantait pas avec la formation de ses hommes. Selon l'épaisse cicatrice qui dépassait du col de Gaspard, il avait dû se frotter plus d'une fois au danger et éprouver sa résistance à la souffrance. Si tous les rebelles étaient faits du même bois que lui, alors leur cause avait peut-être une chance.
- Amanda ? appelai-je doucement alors que nous nous rapprochions de sa cellule. Amanda ?
- Luna ?
La réponse de mon amie me soulagea et je réprimai un soupir quand je la vis de mes propres yeux, à genoux sur son lit, les doigts serrés sur le pied de la lampe de chevet dans le petit espace de sa cellule.
- C'est toi, souffla-t-elle. J'ai cru...
Je m'avançai vivement et lui pris la main. Apparemment, nul n'était parvenu jusque-là. Derrière moi, Samuel se plaça près de l'entrée pour surveiller le couloir.
- Tout va bien ? voulus-je savoir. Tu n'as rien ?
- Non, ça va. Mais je ne comprends pas ce qui se passe, Luna.
La GEN agita nerveusement la tête tout en louchant avec suspicion sur Gaspard dont la large silhouette emplissait l'espace. Ce dernier affichait un franc sourire.
- Gaspard Olbec, pour vous servir, très chère.
- C'est un ami, fis-je, les yeux levés au ciel. Ecoute, Amanda, les Revenants sont ici.
- Je... Quoi ?
- Ce sont nos alliés, il faut me croire. Ils sont venus pour nous aider à sortir de l'Institut. Et pour vous mettre en lieu sûr, toi et le bébé.
Amanda haussa ses fins sourcils sans détourner son attention de Gaspard, comme si la simple opinion qu'elle se faisait de lui allait influencer toute sa décision. Mais, malgré tout le respect que je devais à mon amie, je savais que si elle refusait de venir, je n'hésiterais pas à la charger sur mon épaule comme un sac pour la ramener de force à la surface.
- C'est toi qui les as menés jusqu'à l'Institut ? murmura-t-elle.
Je me contentai de confirmer tout en captant du coin de l'œil le signe de Samuel m'indiquant de me dépêcher.
- Je n'ai pas le temps de tout t'expliquer, ajoutai-je. On doit partir maintenant. Fais-moi confiance, Amanda. Les Revenants ne nous feront aucun mal.
Amanda se laissa tomber sur les fesses et lâcha enfin la lampe. Elle avait le teint fatigué et porta une main à son ventre difforme. Les émotions et la peur qu'elle avait eu à rester cloîtrée ici sans savoir ce qui se tramait au-dessus de sa tête ne lui réussissaient pas. Je croisai les doigts pour qu'elle ne se mette pas à avoir des contractions tout de suite.
- D'accord, dit-elle enfin. Mais on ne peut pas partir comme ça, il faut récupérer les jumelles.
- Les jumelles ? releva Gaspard.
L'image des fillettes sur lesquelles j'avais tiré une cartouche de sérum qui n'avait pas eu l'effet escompté s'imposa à mon esprit. Les jumelles de l'école qu'Irina avait juré d'étudier pour savoir ce qui les rendait résistantes...
- Elles sont ici ? demandai-je.
- Oui, elles sont arrivées il y a deux ou trois jours et étaient logés à l'étage de Geb, m'informa Amanda. Girond est venu les enfermer ici il y a un quart d'heure mais je ne sais pas pourquoi. Elles n'ont que huit ans, on ne peut pas les laisser.
- Très bien, grommelai-je, on y va.
Agacée par le contretemps, je fis se lever Amanda sans ménagement et la conduisit près de Gaspard qui comprit tout seul que j'attendais de lui qu'il ne la lâche pas d'une semelle puisqu'il n'était pas armé. Après quoi, je m'enfonçai plus loin dans la zone des Déformés à la recherche des deux enfants.
Je les trouvai tout au fond, prostrées l'une contre l'autre à même le sol et me figeai un instant devant la grille. Elles étaient sensiblement identiques et parfaitement humaines sur le plan physique mais je perçus quelque chose d'étrange. Une énergie similaire à celle des GEN se dégageait d'elles et les rendait presque inquiétantes. L'une d'elle se leva brusquement et me fixa d'un regard beaucoup plus âgé que celui d'une gamine de primaire. Avec ses cheveux longs et ses yeux bruns, elle ne se différenciait de sa sœur que par la couleur de son haut – vert pour elle et orange clair pour l'autre.
- Qu'est-ce que vous voulez ? cracha-t-elle.
- Je vous sors d'ici, répliquai-je sans me laisser intimider par une si petite chose.
J'attrapai l'un des barreaux et le tordis avec un grondement sourd. Certes, ces pièces avaient été créés pour résister aux Déformés, mais pas à moi, d'autant plus à présent que N.I.A n'aidait plus à la sécurité de l'endroit.
- Joli, commenta Gaspard en parvenant à ma hauteur.
Amanda se cramponnait à son bras et Samuel restait en alerte. Si quelqu'un descendait nous chercher, nous serions pris au piège car il n'y avait pas d'autre issue que la cage d'escalier ou l'ascenseur.
- C'est de votre faute, tout ça, siffla encore l'enfant. On n'ira nulle part.
Je notai que la seconde petite fille ne bronchait pas, les bras croisés autour de ses genoux et fit un pas pour mieux la regarder. Cependant, la première s'interposa dans mon champ de vision, un air farouche sur ses traits juvéniles.
- Elle est malade. Ne l'approchez pas.
- Comment ça, malade ? interrogea doucement Gaspard. Personne ne l'a soignée ?
L'enfant secoua énergiquement la tête et hésita avant de se détourner de moi. Considérant que s'adresser à un humain devait moins la terroriser que de me voir, moi, je reculai un peu et la laissai parler au Revenant.
- On ne peut rien faire, chuchota-t-elle en tirant le bas de son t-shirt. Elle ne répond pas. C'est comme si elle n'était plus là.
- Comment tu t'appelles, dis-moi ? Moi, c'est Gaspard.
- Alice. Et ma sœur, c'est Orianne.
- Eh bien, Alice, là où nous allons, il y a d'autres docteurs. Ils pourront prendre soin de ta sœur, et essayer de l'aider. Ce serait bien, non ?
Effectivement, la dénommée Orianne n'avait pas l'air dans son assiette. Elle ne réagissait pas à notre présence, les pupilles dilatées et immobiles. Une des conséquences indésirables de l'injection ?
- Je ne peux pas aller avec elle, marmonna la gamine en me montrant du doigt.
- C'est bon, on n'a plus le temps, intervins-je sèchement.
Je pris Gaspard par le bras et achevai de rompre les barreaux sans effort. Cette discussion stérile se contenait de nous mettre en retard et de nous faire risquer un peu plus nos vies.
- Fais comme tu veux, Alice, nous, on est pressés. Soit vous venez et on aura une chance de sauver ta sœur, soit vous restez et tu verras bien ce que les gentils médecins de cette maison de fous vous feront. A mon avis, s'ils apprennent que vous nous avez parlé, ce sera vite réglé, mais c'est toi qui voit. Après tout, il faut bien mourir un jour, hein ?
Là-dessus, je pivotai sur mes talons et me dirigeai dans l'autre sens, flanquée de Sam qui pensait clairement que je n'étais pas du tout pédagogue. Pourtant, cela fonctionna car Alice força sa sœur à se lever en nous suivit d'un pas timide. Bien. Un problème en moins.
- On remonte par l'escalier, dis-je. Gaspard, tu gardes un œil sur Amanda et les jumelles.
Je poussai la porte de la cage d'escalier et entamai l'ascension, vérifiant à chaque pallier que personne ne nous guettait à un angle de mur. Amanda suivait sans difficultés ce qui me rassura quelque peu sur son état et Orianne marchait comme un automate près de sa sœur.
Lorsque nous arrivâmes devant la porte débouchant sur le laboratoire, je posai une main prudente sur la poignée. Les bruits que j'entendais en provenance de la pièce ne m'emballaient pas vraiment. Il y avait du grabuge, ça, c'était sûr. Le cœur battant, je glissai une main sur ma hanche et en détachai un couteau avant de lancer silencieusement mon arme à Gaspard. Il était peut-être très bien entraîné mais aurait plus de chance si nous devions combattre et qu'il avait de quoi se défendre à distance.
Avec une lenteur délibérée, je j'appuyai sur la poignée et poussai la porte de quelques centimètres.
Victoire était là, ainsi que Geb, mais ils n'étaient pas seuls sur les lieux. Tous deux se terraient derrière un plan de travail et quatre autres Revenants en veste marquée d'un poing fermé faisaient de même, plus près de la baie vitrée. Cette bande d'imprudents s'était fait coincer par l'ennemi ! Passée la surprise de voir mon amie d'enfance du côté des gentils, je cessai d'observer la scène et réprimai des jurons. Puisque ces six personnes se trouvaient là, cela signifiait qu'il y avait du danger dehors, et donc que faire traverser Amanda et les fillettes ne serait pas une mince affaire.
Avant tout, je devais savoir ce qui les maintenait piégés dans le labo et amorçai un geste pour donner des ordres muets à Samuel. Je n'eus pas le temps de finir, interrompue par l'ouverture brutale de la porte qui fut arrachée de ses gongs. Une main me saisit à la gorge et me balança dans la pièce avec tant de force que j'allai m'échouer contre un tabouret et roulai dans le verre brisé. Je me redressai, toujours équipée de mon poignard et retroussai les lèvres sur mes dents.
Richard Simon, le visage convulsé de rage se jeta sur moi et m'expédia un coup de poing en pleine face. Mon sang éclaboussa le carrelage.
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