Chapitre 40


Je rentrai à l'Institut à une heure plus acceptable pour un petit déjeuner et me rendis directement au réfectoire. J'y entrai seule, ignorant les regards, et chargeai mon plateau d'un bol de céréales, de pain, de confiture et d'une énorme omelette. Au moins, les problèmes ne me coupaient pas l'appétit.

Je me dirigeai vers une table seule, à l'écart de celles qui étaient les plus occupées, lorsqu'une silhouette à l'épaisse chevelure rousse me coupa la route. Victoire – l'une des dernières personnes à qui je pensais être obligée de devoir parler ce matin-là – me fit un large sourire, quoiqu'un peu timide.

- Salut, Luna. Je...Enfin, ça te dirait de manger avec moi ?

- J'allais m'asseoir, répliquai-je sans refuser ni accepter pour autant. Tu as l'air d'avoir meilleure mine.

Je la toisai tout en la dévisageant. Irina Malcolm m'avait informée de son retour à l'Institut pour reprendre des forces avant la prochaine phase d'injections, mais la rapidité avec laquelle mon ancienne amie se remettait me surprenait. Bien qu'un peu pâle, elle avait retrouvé l'apparence d'une magnifique GEN, et tout ça en à peine deux jours. Je ne savais pas si Victoire avait réellement du mal à supporter les doses de sérum, mais elle guérissait à vue d'œil. Son amélioration fonctionnait sans aucun doute.

- Oui, opina-t-elle, je me sens mieux. Mon taux de cellules mutantes a augmenté, mais pas mes performances physiques, pour le moment.

Je grimaçai intérieurement. On aurait dit une gamine annonçant sa moyenne du trimestre avec une faiblesse en sport.

- Ecoute, Luna... Je tenais à m'excuser pour ce que j'ai dit dans la chambre, aux Laboratoires, l'autre jour. Je n'étais pas dans mon assiette. Mais j'ai quand même pris conscience de certaines choses, si tu vois ce que je veux dire.

Victoire rejeta ses cheveux roux en arrière. Elle sous-entendait quelque chose, sauf que je n'avais pas l'intention de mordre à l'hameçon. Hors de question de la croire bêtement, de me laisser penser qu'elle pouvait vouloir partir de l'Institut et de lui faire comprendre ce que j'avais en tête. Nous verrions bien, le moment venu, dans quel camp elle choisirait de se ranger – si elle n'était pas tuée dans l'affrontement.

- Ravie que tu ailles mieux, lâchai-je laconiquement.

J'amorçai mon départ, consciente que les GEN installés aux tables proches nous fixaient, mais Victoire m'attrapa le bras d'une main, faisant trembler le contenu de mon assiette.

- Attends, s'il te plait. J'ai voulu aller voir Geb, hier soir, mais on ne m'a pas permis d'entrer. Tu sais pourquoi ?

Je pinçai les lèvres et pivotai vers la GEN, une remarque acerbe aux lèvres. Pourtant, je me retins en observant ses traits. Quelle importance l'état de mon ami pouvait-il bien avoir pour elle ?

- Luna ! brailla brusquement quelqu'un à ma droite. Luna, c'est bien toi ?

Un GEN blond, plutôt séduisant si l'on faisait abstraction de sa moustache absolument affreuse, traversait le self au pas de course. C'était la première fois que je le voyais, mais lui avait l'air de savoir parfaitement qui j'étais. D'après son absence de plateau, il devait avoir abandonné son repas pour venir me parler.

En arrivant à ma hauteur, il me tendit une main solennelle qu'il remballa aussi sec en s'apercevant que j'avais les bras occupés et sourit d'une oreille à l'autre.

- Salut, fit-il. Tu es bien Luna Deveille ? Enchanté. Je suis Hermann Mayer, le copilote d'Amanda. Elle m'a beaucoup parlé de toi, tu sais ? Evidemment, je te connaissais déjà avant, qui ne connaît pas la commandante de l'Armée Noire, et tout ça, hein ? Célèbre jusqu'à l'étranger ! J'étais en Allemagne avant de revenir à l'Institut, infiltré en tant qu'ingénieur en armement aéronautique. Et tous les GEN qui vivent là-bas ont eu vent de ta réputation. Je n'arrive pas à croire que je te rencontre en personne !

Chouette. Encore l'un des fans de mes prouesses meurtrières. Si Marx avait entendu cela, il aurait été aux anges.

J'adressai un sourire poli à Hermann qui reprenait son souffle, tout en anticipant la suite. Il était le copilote de ma meilleure amie. La seule raison qui pouvait donc le pousser à m'interpeller à cet instant – à moins de désirer un autographe – était de vouloir de ses nouvelles. Le docteur Malcolm avait certainement pensé à des justifications concernant l'absence d'Amanda, mais je n'en avais pas des masses en stock.

- Bon, s'amusa le GEN à la moustache, je ne voudrais pas te retarder. Tu n'aurais pas vu Amanda, ce matin ? On devait se retrouver pour des essais avant le petit déjeuner, et elle n'est pas venue.

Je sentis le regard inquisiteur de Victoire, silencieuse et en retrait depuis l'arrivée d'Hermann. Entre l'interdiction de rendre visite à Geb et ça, elle allait avoir de quoi nourrir des soupçons. Sans compter qu'elle s'interrogeait probablement sur ma propre présence ici, alors que je devais mener l'Armée sur le terrain et kidnapper des cobayes pour le programme GENESIS.

- Je ne sais pas où elle peut être, répondis-je sans me démonter. Je suis arrivée hier soir pour voir nos techniciens et demander quelques modifications sur les armes des Soldats Noirs, et je ne l'ai pas vue. Tu as essayé de l'appeler ?

- Evidemment, mais son portable est éteint.

Hermann haussa les épaules, une expression sincèrement soucieuse sur le visage. Il passa les doigts dans ses cheveux.

- Elle a peut-être été envoyée en mission d'urgence, suggérai-je. Quelque chose de top secret.

- Oui, intervint Victoire qui se rapprocha de nous, mais dans ce cas, pourquoi n'a-t-elle pas...

- Qu'est-ce que c'est que ça ? la coupai-je brusquement en regardant par dessue l'épaule du GEN blond.

Sur le haut des murs, les petites lumières bleues indiquant l'emplacement des projecteurs de N.I.A avaient viré au rouge et clignotaient bizarrement. Je plissai les yeux et m'avançai sous les yeux surpris des deux autres. Le visage numérique de l'intelligence artificielle apparaissait rarement dans cette zone de l'Institut, mais cela arrivait pour des alertes incendies ou des informations importantes à propos de la sécurité.

J'ouvrais la bouche pour appeler un informaticien dans la salle du réfectoire lorsque la lumière s'éteignit. Les projecteurs se mirent alors en marche et un visage se forma au beau milieu de la pièce, dans le silence de plomb qui avait saisi les GEN.

Je portai instinctives la main à ma ceinture et la crispai sur mon revolver. Il ne s'agissait pas de N.I.A. C'était Albert Niels.

Il y eut quelques hoquets de surprise et la plupart des GEN se levèrent pour mieux voir. L'image tremblota, redevint bleue puis rouge avant de se stabiliser. J'avalai ma salive, affichant la même surprise teintée de méfiance que les autres. Officiellement, je n'avais jamais rencontré Niels.

L'hologramme du Revenant gagna et netteté. Le demi-GEN était visible jusqu'aux épaules, et l'on devinait un siège dans son dos.

- J'ai un message pour les GEN, déclara-t-il d'une voix forte. Je suis Albert Niels, le leader des Revenants et de la rébellion. Mais nous ne sommes pas vos ennemis ! Nos rangs comptent certains de vos semblables, et nous ne cherchons pas à vous détruire. Nous nous opposons à cette guerre déclarée aux humains, cette guerre dénuée de sens. Ces affrontements et votre volonté d'expansion n'apporteront que la mort des deux espèces. La souffrance et l'esclavage ? Est-ce vraiment ce que vous voulez, vous qui reprochez aux humains d'avoir tenté de vous éliminer et de se servir de vous ? Des erreurs ont été commises par le passé, mais elles ne sont pas irréparables. Un avenir commun est encore possible.

Le visage de Niels balaya l'espace du regard. Il ne voyait personne, sûrement face à une caméra dans son bureau, mais faisait comme s'il se trouvait bien en face de nous.

- Réfléchissez et décidez. Quand l'heure sera venue, vous devrez choisir un camp et mettre un terme à la guerre d'une façon ou d'une autre. GEN ! Depuis trop longtemps les Revenants sont restés dans l'ombre ! Depuis trop longtemps, ils ont attendu. Désormais, les choses vont changer. Nos forces ont grandi et nos rangs se sont étendus. Nous avons des agents, des espions et des soldats. Tant que l'Institut s'en prendra aux humains, nous nous dresserons sur son passage. Votre organisation tombera, et pour l'abattre, nous commencerons par lui trancher la tête.

Le silence revint et la projection cessa aussi vite qu'elle avait commencé. Je relâchai l'air bloqué dans mes poumons, le cœur battant. La tactique de Niels était osée, mais pouvait se révéler efficace. Sous couvert d'appeler les GEN à la raison, il menaçait clairement la sûreté du directeur de l'Institut, la « tête » de notre communauté, Ulrich Marx. Il ne m'en fallait pas plus pour agir.

Je balançai mon plateau sur la table voisine, éclaboussant vigoureusement son occupant et m'élançai vers la sortie, non sans avoir attiré l'attention de Stone dans la foule. Je stoppai près d'un groupe de GEN ébahis parmi lesquels se tenait Ismaël, la mâchoire pendante. Ses amis étaient tous des informaticiens.

- Retournez à vos postes, grondai-je, vous finirez de manger plus tard. Nous avons une faille dans la sécurité. Analysez nos systèmes et faites-moi un rapport sur nos défenses. Ismaël, prévient le docteur Malcolm que je serais en salle de réunion. Dis-lui de me rejoindre.

- Oui, commandante, dit l'autre, le dos aussi raide qu'une planche.

Le compagnon de Geb fuyait visiblement mon regard, mais c'était le cadet de mes soucis. On s'attendait à ce que je réagisse en conséquence pour la sécurité du directeur, et c'était exactement ce que j'allais faire. Je tournai donc le dos au petit groupe qui se mettait en mouvement et quittai le self sans une seconde d'attention pour Hermann et Victoire qui m'appelaient à l'autre bout de la pièce.

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