Chapitre 4
Retour en arrière...
Je descendis de voiture, quittant avec regrets l'habitacle climatisé de l'Audi, et observai les alentours. Allan, quant à lui, se dirigea droit sur l'interphone placé près du portail et nous annonça. Après un bip sonore, l'un des pans de celui-ci bascula et nous pénétrâmes dans la cour.
La maison de campagne – si l'on pouvait vraiment la nommer ainsi – était un monstre rectangulaire, à deux étages et pourvu de balcons en fer forgé à toutes les fenêtres. Une immense baie-vitrée couvrait la majorité des murs du rez-de-chaussée, et une imposante porte en bois massif tenait lieu d'entrée. Pour un homme qui vivait seul, avec ses deux filles un week-end sur deux, il s'agissait d'un vrai palace. La bâtisse était posée en plein milieu d'un immense terrain entouré d'un mur haut, crépi, et orné d'affreux lions en marbres à chaque angle. Devant elle, une allée pavée coupait la cour en deux parties symétriques elles-mêmes décorées de parterres de fleurs et de buissons taillés en rond. Enfin, derrière la maison, je pus distinguer ce qui semblait être un parc herbeux, parsemé d'arbres coupés au cordeau, comme tout le reste de la végétation. Si ne n'avais pas su que Marx avait choisi Paul Duquesne pour sa proximité avec le gouvernement et son ouverture d'esprit, j'aurais pu penser qu'il avait pris sa décision sur des critères de goûts en matière de jardinage. Ne manquait plus qu'une fontaine, et le compte était bon.
Alors que nous approchions du perron, une femme sortit de la maison d'un pas rapide et se porta à notre rencontre. La peau mate, les cheveux bruns tirés en arrière en chignon serré, elle portait une jupe crayon bleu marine et une chemise blanche légère. Elle tendit à Allan une main aux doigts forts et épais qui s'avérèrent surprenant par rapport à son apparence, et sourit.
- Enchantée, monsieur David. Et vous devez être madame Grimelin, ajouta-t-elle à mon intention. Je suis Juliette Baker, la secrétaire de monsieur le maire.
- Ravie de vous rencontrer, répondis-je aimablement.
- Il vous attend dans son bureau, je vais vous y conduire. Suivez-moi.
Ainsi, Charles David et Alice Grimelin emboîtèrent le pas à la femme, et franchirent la porte de la grande maison.
Un vestibule spacieux et clair nous accueillit, puis la secrétaire de Paul Duquesne nous guida vers un escalier qui grimpait dans les étages, sans cesser de parler de son patron, de sa campagne pour conserver la mairie aux prochaines élections, et de son principal adversaire. J'échangeai un regard amusé avec Allan qui faisait de louables efforts pour lui répondre cordialement tout en notant chaque détail de l'intérieur de la maison. Nous n'avions pour projet d'attaquer personne, mais j'avais toujours le réflexe de prévoir un itinéraire de secours.
- Nous y voilà, monsieur le maire va vous recevoir, déclara Juliette Baker en stoppant net devant une porte.
Nous nous trouvions dans un couloir long et large, au sol recouvert de parquet luisant. Tout au bout se trouvait une fenêtre donnant certainement sur le parc. La secrétaire toqua contre le battant et entra aussitôt.
Je la suivis la première, les doigts serrés sur la hanse de mon sac. Je savais ce que j'avais à faire, et tout était censé bien se dérouler, mais une légère appréhension me nouait le ventre. D'autant que la discussion n'était pas le seul but de notre venue... Ne montrant rien de mon état intérieur, j'adressai un large sourire à l'homme qui se leva de sa chaise à ma vue.
- Monsieur le maire, le saluai-je poliment en lui tendant la main.
- Vous êtes là, s'extasia-t-il. Enchanté, enchanté !
Sa main moite serra la mienne et je détaillai rapidement son visage au front haut, accentué par des cheveux rares. Il était bien plus petit que moi et légèrement bedonnant. Après cela, il s'approcha d'Allan en bombant inconsciemment le torse, puis consulta sa montre.
- J'espère que vous avez fait bonne route, dit-il. Nous sommes mieux ici que dans mon appartement du centre-ville, n'est-ce pas ? La vraie vie à la campagne, il n'y a que ça de vrai.
Il éclata d'un rire que je trouvai quelque peu nerveux. Cela dit, se retrouver en présence de deux GEN, même s'il était averti de notre nature, ne devait pas l'aider à se sentir à l'aise. D'autant plus que Marx avec qui il s'était déjà entretenu, n'était pas des plus impressionnants pour un GEN. Je me contentai d'un sourire en réprimant mon envie de dire que sa colossale maison n'avait pas grand-chose à voir avec une vie à la campagne.
- Vous avez vraiment une demeure magnifique, le complimenta Allan.
- Oui, vous avez remarqué ? se gaussa le maire. Héritage familial, voyez-vous.
Paul Duquesne rit encore – cette manie était d'ailleurs bien partie pour me taper sur les nerfs – avant de se racler la gorge. Il se dandina sur place comme s'il ne savait plus quoi faire.
- Hum... Juliette, ce sera tout, je vous remercie, jeta-t-il finalement à l'intention de sa secrétaire restée debout dans l'encadrement de la porte.
- Vous êtes bien sûr de n'avoir besoin de rien, monsieur le maire ?
- Non, non, retournez donc à votre courrier. Nous avons des choses importantes à traiter, vous serez donc bien aimable d'éviter tout dérangement.
La femme opina, dissimulant mal une expression agacée qui m'apprit que le maire de Paris avait une attitude généralement déplaisante avec ses employés. Elle prit donc congé, le dos raide, et s'en fut dans le couloir. Pas plus perturbé que cela par la réaction de Juliette Baker, Duquesne referma la porte laissée ouverte.
- Bien. Nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses. J'ai eu de longues conversations avec votre supérieur, voyez-vous ? Et je dois dire que je suis tout à fait disposé à accorder l'attention nécessaire à ses projets scientifiques, surtout après avoir fait la connaissance de la délicieuse Irina Malcolm, ainsi que la vôtre.
Duquesne fit le tour du bureau qui s'avérait relativement petit, compte tenu de la superficie de la maison. Il ôta sa veste de costume, révélant de sympathiques auréoles, et la disposa sur le dossier de sa chaise. Son attitude empressée avait de quoi surprendre.
- Le directeur Marx s'est montré très satisfait des négociations entamées avec vous, monsieur le maire, commentai-je.
- Bien évidemment, qui ne porterait pas attention à une telle révolution scientifique ? Le docteur Malcolm m'a exposé toute les spécificités et effets de la mutation, et de la transformation en « GEN », c'est cela ? Monsieur Marx veut permettre à l'humanité de bénéficier de ce sérum, et c'est tout à son honneur. Il faut bien qu'il soit soutenu par quelques personnes haut placé.
Le maire revint plus près de nous. Je songeai que, pour un hôte, il manquait de sens de l'accueil en ne nous offrant même pas un siège. Sa lèvre supérieure se couvrit d'une fine pellicule de sueur avant qu'il ne poursuive.
- Cependant... Vous comprendrez que je ne peux pas me mêler à tout ceci sans quelques garanties.
Voilà, il était arrivé là où il voulait en venir depuis le début, et de façon très peu subtile. Sa « garantie » était la raison pour laquelle Marx nous avait envoyé, Allan et moi, et Duquesne le savait parfaitement. Il tentait juste de masquer son impatience.
- Nous avons ce que vous avez demandé, affirma Allan en désignant la mallette posée à ses pieds. Désirez-vous le voir ?
- Non, s'affola aussitôt l'autre, enfin, si. Mais pas ici. Certaines conversations méritent d'être poursuivies dans des endroits appropriés. Suivez-moi, nous allons descendre.
Le maire nous passa devant et quitta le bureau en premier. Avant de faire de même, j'échangeai un regard avec Allan. Il devait être aussi étonné que moi du profil de l'homme en lequel Marx plaçait nos espoirs d'entrée en matière pacifique avec le gouvernement.
Paul Duquesne reprit le couloir en sens inverse mais n'emprunta pas l'escalier. Il s'arrêta devant une cabine d'ascenseur située près de ce dernier, et nous y montâmes dans le silence complet. La porte refermée, je fixai des yeux le battant jusqu'à ce qu'un bip nous indique son ouverture.
Je posai le pied dans un couloir blanc et froid, jouxté de plusieurs salles aux portes fermées et à l'odeur de produits antiseptique prononcée. Un frisson gagna ma colonne, car cette zone me rappela les laboratoires de l'Institut.
- Mon arrière-grand-père était féru de chimie et d'expériences, expliqua doucement Duquesne qui paraissait s'être calmé. Quand nous avons appris la maladie de Nina, mon ex-femme et moi avons réaménagé cette partie de la maison pour y accueillir des médecins et tout le matériel nécessaire pour la soigner. Il était hors de question qu'elle effectue des séjours prolongés à l'hôpital. Elle a évidemment une chambre médicalisée à l'étage.
Un curieux sentiment m'envahit et je tordis la bouche. Il parlait de sa fille malade, il nous emmenait ici... Ne pouvant me taire, je dus éclaircir un point et pilai net au beau milieu du couloir.
- Monsieur Duquesne, fis-je, le directeur Marx vous a-t-il bien précisé l'importance du choix de la personne ?
L'homme me défia du regard, une lueur cependant fuyante au fond de ses pupilles.
- J'ai pris ma décision en tenant compte de tout ce que votre supérieur m'a dit, madame.
Il empoigna fermement une poignée et poussa la porte d'un geste sec sans entrer.
- Voici la personne que vous allez transformer. Ulrich Marx m'a promis de m'apporter le sérum en guise de garantie, et c'est pour cela que vous êtes ici. Vous allez l'injecter à ma fille.
Je fis quelques pas dans la pièce qui tenait apparemment lieu de chambre. Elle ne contenait qu'un lit inclinable comme on trouve dans les hôpitaux, une table de nuit chargée de bandes-dessinées, et un fauteuil roulant.
Nina, fille cadette de Paul Duquesne, se trouvait assise sur le matelas, vêtue d'une robe à fleurs, ses jambes inertes étalées devant elle. Elle ressemblait à son père, le front dégagé et les cheveux châtains, mais, n'ayant jamais vu sa mère, je ne pouvais comparer leurs similitudes. Âgée de neuf ans, d'après ce que j'avais lu dans son dossier, elle n'avait jamais marché, et aucun traitement ne pouvait enrayer la progression de sa maladie.
- Coucou, ma chérie, fit Duquesne. Je t'ai amené les gens dont je t'ai parlé.
Je fermai les yeux, horrifiée. A la base, je n'étais déjà pas d'accord pour que cette proposition soit faite au maire de Paris. Le laisser transformer qui il voulait ? Oui, et après ? Que ferait-il de cette personne, qui ne serait plus apte à vivre avec les humains ? Et cet opportuniste de Marx, ne s'était-il pas douté qu'il voudrait soigner sa fille ? Voir l'enfant, attendant avec espoir qu'on lui vienne en aide me rendait malade. Elle était jeune, innocente, et il fallait lui prendre cela ? C'était peut-être égoïste de ma part, me direz-vous, mais j'étais d'avis qu'il valait mieux la laisser ainsi plutôt que d'en faire un monstre.
- Monsieur, s'interposa fort heureusement Allan, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
- Marx a donné sa parole. Il sait que je veux sauver Nina.
- Et il la tiendra. Mais, il faut que vous sachiez une chose. Le sérum est une substance chimique sur laquelle nos chercheurs travaillent sans relâche pour pourvoir à sa bonne assimilation par n'importe qui, mais pour le moment il y a encore un risque qu'il ne soit pas supporté.
- Vous devriez procéder à l'essai sur quelqu'un d'autre, confirmai-je sans quitter Nina – qui n'écoutait pas – des yeux. C'est trop dangereux.
Paul Duquesne ouvrit la bouche comme un poisson hors de l'eau. Écrasé par le charisme naturel des GEN, il avait apparemment du mal à réfléchir et s'éloigna en direction de sa fille.
- Non, non, murmura-t-il. On ne peut pas attendre. Les médecins... Vous ne comprenez pas !
Il écarta violemment les livres de sa fille et se saisit d'une unique page blanche posée sur la table de nuit. Son calme s'envolait comme une traînée de poudre et je portai machinalement la main à mon flanc – vide malheureusement. Je n'avais pas peur d'un humain, mais maudissais intérieurement Marx pour son plan foireux, basé sur le désespoir d'une personne fragile.
- J'ai donné mon accord ! s'étrangla Paul Duquesne. J'ai signé cette décharge, et sa mère aussi, lorsqu'elle m'a amené les filles hier !
Il agita les bras en tous sens avant de me jeter le papier au visage, puis se laissa tomber sur le lit de sa fille, le regard brillant. La fillette observait son père sans comprendre, et mon estomac se contracta. Je refermai le poing sur la décharge signée.
- Vous allez lui donner ce sérum, martela une dernière fois le maire. Elle va marcher et vivre sa vie. Et vous aurez l'aide que vous demandez pour approcher le président. Mais Nina sera la première à guérir, avant tous les autres. Si vous n'êtes pas d'accord, vous pouvez partir.
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