Chapitre 37



L'écran de mon téléphone portable s'éclaira subitement dans le noir et je me redressai pour m'en saisir avant même que la sonnerie ne démarre. Le hangar qui servait de dortoir à l'Armée était plongé dans le silence, mais je n'avais fait que somnoler depuis que la nuit était tombée.

Envoyant valser le sac de couchage ouvert sur lequel j'étais, je sentis mon sang se figer dans mes veines lorsque je vis que l'appel provenait d'Amanda. Là, tout de suite, mon instinct me disait qu'il y avait un problème. J'espérais me tromper et me levai d'un bond pour me diriger vers la porte, pieds nus. En un rien de temps, je me retrouvai dehors, à la lumière des étoiles et refermai le hangar, non sans avoir entendu Samuel s'agiter à mon départ.

- Allô ? dis-je d'une voix tendue.

Le combiné collé à l'oreille, je fis quelques pas dans la cour des Laboratoires. Je ne portais qu'un short et un débardeur, et pourtant la chaleur me semblait écrasante.

- Luna ? Luna, c'est toi ? Je... Il y a du sang, je...

Amanda s'interrompit brusquement et un gémissement s'échappa du portable avec une douleur presque palpable. Je sentis une pierre glacée tomber dans mon estomac. Si quelque chose se déroulait mal dans sa grossesse, je ne serais pas capable de l'aider. Se pouvait-il que l'accouchement se soit déclenché ? Un juron faillit franchir mes lèvres en songeant que je n'étais pas passée loin de tirer Amanda de ce guêpier grâce aux Revenants.

- Amanda, fis-je fermement, tu m'entends ? Je suis là, d'accord ? Qu'est-ce qui se passe ?

- Je...Je ne sais pas, répondit-elle dans un souffle. J'ai mal, Luna, je... Le sang... On dirait des contractions... Je t'en supplie, je...

- Où est-ce que tu es ? interrogeai-je vivement, mes doigts crispés sur l'appareil.

- Dans ma chambre... Je ne savais pas quoi faire....

- Restes-y, lui ordonnai-je, et ne fais appel à personne, c'est compris ?

- Qu'est-ce que...

- Promets-le-moi, Amanda. J'arrive.

- Je...D'accord.

Le souffle de mon amie se coupa et je raccrochai vivement. J'aurais certainement dû trouver une parole réconfortante mais rien ne vint et je préférais ne rien dire de déplacé. A la place, je pivotai vers l'immense laboratoire et m'élançai vers ses fenêtres sans lumière et la seule solution qui me fut venue à l'esprit.

Je pénétrai au rez-de-chaussée avec la discrétion d'un éléphant dans un magasin de porcelaine et N.I.A alluma automatiquement les lampes avant de me saluer de sa voix artificielle. Je l'ignorai et fonçai vers l'escalier que je gravis quatre à quatre. Un long couloir s'ouvrit alors devant moi et je bondis littéralement vers une porte sur laquelle je me mis à tambouriner.

- Irina, aboyai-je. Ouvrez, c'est urgent.

Fébrile, les pieds raidis sur le carrelage du couloir, j'entendis quelque chose tomber dans la chambre, puis la porte s'ouvrit sur la doctoresse dégoulinante et enroulée dans un peignoir blanc qui masquait sa peau nue. Elle devait sortir de la douche.

- Agent Deveille ? fit-elle, les sourcils froncés.

- Ecoutez ça, lui intimai-je sans attendre.

Je tendis devant moi mon téléphone et lançai l'enregistrement de l'appel réalisé par l'extension de N.IA.

Entendre une nouvelle fois la voix emplie de souffrance d'Amanda me tordit le ventre, mais je fis tout pour me contrôler. Le docteur Malcolm pouvait facilement percevoir l'angoisse que je dégageais, et ce n'était pas bon pour moi, d'autant qu'elle ne me quittait pas des yeux. Je serrai les dents et affrontai son regard inquisiteur jusqu'à la fin de la bande son, qui fort heureusement, ne contenait aucune information compromettante. Ni Amanda ni moi n'avions ouvertement parlé du bébé, ni de ce que nous savions toutes deux.

- Je vais appeler le docteur Girond, décréta la GEN.

- Non. Je ne lui fais pas confiance, m'interposai-je aussitôt. Je ne sais pas exactement de quoi il retourne, docteur, mais je crois que c'est suffisamment important pour ne pas impliquer n'importe qui.

Ma remarque sortit spontanément et fit pincer les lèvres de la scientifique. D'un côté, je remettais en cause le choix de ses collaborateurs, mais de l'autre, je sous-entendais que je me fiais à elle parce que j'étais venue lui demander son assistance. Ce fut donc la flatterie qui l'emporta, car Irina opina du chef à mon grand soulagement :

- Très bien, agent Deveille. Dans combien de temps pouvons-nous être à l'Institut en speed-jet ?

- Quinze minutes maximum.

- Allumez le moteur, j'arrive tout de suite.

La porte se referma et je détalai dans le couloir.


***


Je ralliai l'Institut Bollart en moins de dix minutes, ce qui eut pour effet de secouer le speed-jet comme une essoreuse à salade, mais je m'en moquais. Amanda était en danger, c'était tout ce qui comptait. Je n'avais même pas dit à Samuel ou à Allan ce qui se passait. De toute manière, si Irina Malcolm découvrait la grossesse de notre amie, je n'aurais plus de raisons de la cacher à mon compagnon et pourrais lui révéler un certain nombre de choses.

Je posai l'appareil au beau milieu de la cours du manoir et me levai immédiatement du poste de commandes. Irina Malcolm détacha sa ceinture et m'attrapa par le bras.

- Agent Deveille, allez la chercher. Je m'occupe d'installer une chambre médicalisée dans l'ancienne zone des Déformés.

Je répondis d'un hochement de tête. La doctoresse ne m'avait pas posé une seule question durant le trajet et je ne m'étais pas engagée non plus en terrain glissant. Moins j'en dirais, et moins je risquerais de me compromettre et de faire comprendre à la GEN que je savais pertinemment ce qui arrivait à Amanda.

Je dévalai le plan incliné à la suite d'Irina et bifurquai à toute allure vers le manoir. Je ralentis à peine pour entrer et grimper les marches menant à l'étage. Arrivée dans l'aile où se trouvaient la chambre de Tribal et Amanda ainsi que celle que je partageais avec Sam, je respirai un bon coup et toquai à un battant.

- Amanda ? C'est Luna. Amy ?

Je manquai de sourire en me rendant compte que j'avais employé le surnom donné par Tribal à sa petite copine, mais toute forme de joie s'envola à la simple idée qu'elle ne l'entendrait plus jamais dire cela.

- Amanda ? répétai-je.

Devant le silence opaque qui envahit mes oreilles, je sentis la panique monter à nouveau et abaissai la poignée. Fermé à clef.

Sans plus attendre, je reculai d'un pas et défonçai le battant d'un coup de pieds. Ça, c'était réglé !

- Amanda ? criai-je presque en entrant dans la pièce en tous points semblable à ma propre chambre.

- Luna ! Je... La salle de bain, hoqueta la voix de la GEN Noire.

Je me précipitai dans cette direction et stoppai net à la vue de la baignoire. Amanda se trouvait dedans, le teint gris de cendres, immergée dans une eau rouge jusqu'au cou. Une eau rouge sang. J'eus l'impression de prendre un mur entre les dents tant je fus sonnée.

- Putain, bégayai-je, Amanda...

- Luna, ça va aller, me rassura doucement mon amie en s'accoudant au rebord. Les spasmes se sont calmés, je te le promets.

Je l'entendis à peine. Je me jetais à genoux sur le tapis et fixai, horrifiée, le corps de la jeune femme à travers le liquide. Son ventre se dessinait là, énorme et gonflé. Difforme.

La nausée s'empara de moi et je la jugulai en fermant les yeux. J'avais vu bien pire qu'un ventre de femme enceinte, mais je me sentais tellement démunie que j'en étais malade. J'avais dit à mon amie d'attendre que j'agisse pour fuir Marx et sa clique, tout ça pour en arriver là !

Mais je devais me reprendre. Ce n'était pas comme ça que je sauverais Amanda et le bébé de Tribal. Je m'assénai une claque mentale et soulevai les paupières.

- Mets ton bras autour de mes épaules, que je te sorte de là, dis-je d'une voix sourde. Pourquoi tu es dans l'eau ?

Amanda eut une inspiration brusque et obtempéra sans discuter, mais je sentais sa douleur.

- Je cherchais un moyen de calmer les contractions, haleta-t-elle tandis que je la soulevais. La chaleur m'y a aidé.

J'avais entendu dire que certaines espèces comme l'hippopotame ou encore le phoque mettaient bas dans l'eau pour se faciliter la tâche, mais Amanda n'étant ni l'un ni l'autre, je ne voyais pas bien ce que sa démarche avait pu changer. Cela dit, elle avait tenu jusqu'à mon arrivée, et cela me suffisait. Avec un peu de chance, le bébé irait aussi bien.

Amanda s'arracha à l'eau avec un bruit spongieux et je rajustai ma prise sur elle sans regarder son ventre immonde. Comment cette chose avait-elle pu pousser en si peu de temps ?

- Je vais te conduire au docteur Malcolm, affirmai-je sans poser mon amie. Elle va s'occuper de toi.

La GEN se crispa dans mes bras et je plantai mon regard dans le sien.

- Tu as besoin d'un médecin, articulai-je avant qu'elle ne proteste.

Une contraction tordit soudain son ventre qui prit une forme encore plus hideuse – si seulement c'était chose possible – et Amanda étouffa un hurlement. Je sortis en trombes de la salle de bain et m'approchai du lit auquel j'arrachai une couverture. J'enroulai ensuite mon amie frémissante dedans. Ce n'étais pas brillant, mais au moins, la première chose que verrait une personne croisée par malchance sur le chemin du labo ne serait pas l'abdomen disproportionné de la GEN. Restait l'eau qui goûtait de ses vêtements et imprégnait les miens, ce qui était bien suffisant dans la catégorie des choses qui attirent les soupçons des gens.

Amanda se recroquevilla sur elle-même sous l'assaut d'un spasme violent et je pivotai sur mes talons pour courir dans le couloir.

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