Chapitre 36

Tuerie du chalet : la piste du cambriolage privilégiée

L'enquête sur la mort de la famille Leclerc et de leurs amis dans l'incendie de leur résidence secondaire du petit village de Dormillouse se poursuit sous la direction du capitaine Marche, chargé des investigations. Parmi les nombreuses hypothèses émises après la découverte des corps, hier dans l'après-midi, la théorie du cambriolage semble être la plus plausible selon les autorités.

Rappelons que dix personnes ont perdu la vie dans cet incident qui a bouleversé les habitants du village. En effet, les sept adultes et les trois enfants présents au chalet des Leclerc ont été asphyxiés alors que le bâtiment prenait feu. C'est la présence de douilles dans le salon qui a conduit les enquêteurs à penser que la famille et leurs amis en vacances chez eux ont été attaqués au beau milieu de la nuit, les cambrioleurs ayant pris soin d'incendier la maison avant de fuir, bloquant ainsi ses occupants à l'intérieur.

L'enquête devrait subir de nouvelles avancées dans les prochaines heures, avec notamment l'autopsie des corps restants. Pour l'heure, seuls le couple Leclerc, leur fils de sept ans, Philippe, Isaac et Stéphanie Jones ainsi que leurs deux filles ont pu être identifiés. Les deux corps restants devraient donner plus d'indications sur le déroulement de ces tristes évènements.

Suite page 5 : Quel mobile pour un tel crime ? par Isabelle Marabet


***


Amanda regarda l'écran de son portable se verrouiller sans chercher à le rallumer, puis le laissa tomber dans l'herbe.

Ainsi, les rumeurs qui avaient commencé à circuler à l'Institut quelques jours plus tôt étaient vraies. Marwa Sylva avait trahi et s'était sauvée avec un humain rencontré lors d'une précédente mission d'infiltration. Elle l'avait payé de sa vie, et de celle de toutes les personnes pour qui elle avait choisi de fuir.

Amanda se leva et épousseta son short en toile du plat de la main. Elle ne savait pas trop quoi penser de cette histoire. L'article ne mentionnait pas explicitement la vieille GEN, mais la jeune femme savait à quoi il fallait s'en tenir concernant les corps encore non-identifiés. Ce qui faisait trainer l'enquête, c'était qu'il ne s'agissait pas d'humains, et que les légistes ne savaient pas à quoi ils avaient à faire. Les analyses ne rimaient probablement à rien, complexifiant encore leur travail, mais Amanda connaissait le nom de Philippe Jones pour avoir fouillé dans la base de données de N.I.A. Cet homme avait été marié à Marwa dans une autre vie. Le lien était évident.

Hermann, le nouveau copilote d'Amanda – un type blond, grand, baraqué, avec un fort accent germanique et affublé d'une affreuse moustache qui cassait complétement son pouvoir de séduction – avait refusé de croire que Marwa Sylva puisse être une traîtresse lorsque l'information avait circulé dans la communauté. Beaucoup, comme Hermann, avaient pris la défense de la doyenne des GEN. Elle était estimée, respectée de tous, et nul ne comprenait ce qui avait pu pousser une femme de son âge à commettre une telle erreur.

Amanda amorça sa descente de la pente herbeuse menant à la Cascade en essayant de se sortir cette histoire de la tête, mais une voix sournoise lui persiflait mentalement des horreurs. Ce qui était arrivé à l'ancien mentor de Samuel ne lui rappelait que trop ce qu'elle risquait elle-même si elle tentait quelque chose. Mais sa grossesse ne lui laissait pas le choix. Le bébé grandissait en elle, sapant ses forces, mettant ses nerfs à vif. Le temps lui manquait, désormais, la jeune femme en avait plus que jamais conscience. L'enfant de Tribal devait vivre.

Tout en longeant le sentier, Amanda se passa une main sur le visage en se remémorant les divers plans qu'elle avait élaborés. Elle avait certes dit à Luna qu'elle patienterait, mais son amie avait été envoyée sur le terrain et ne pouvait rien pour elle. Et même si elle avait été là, Amanda ignorait dans quelle mesure le bras armé d'Ulrich Marx aurait pu l'aider. Elle était donc totalement seule, mais depuis la mort de Tribal, elle se sentait de toute façon si vide qu'elle pensait n'avoir plus rien auquel se raccrocher.

Si. Elle avait l'enfant. L'enfant d'un homme qu'elle avait aimé comme personne avant lui.

Bien sûr, Amanda ne pensait pas un seul instant pouvoir élever le bébé elle-même – aucune de ses stratégies potentielles ne comprenait une telle étape. Le moment venu, elle partirait, se cacherait pour le mettre au monde, puis le confierait à de bonnes personnes. Elle avait mis de l'argent de côté pour s'assurer que l'on prendrait soin du petit. Après quoi, elle s'en irait loin de lui pour brouiller les pistes et affronterait les traqueurs que Marx ne manquerait pas d'envoyer à ses trousses. Point final. Inutile de se faire de fausses idées sur une possible nouvelle vie loin de la violence : ce qui s'était produit pour Marwa Sylva rappelait que les traîtres voyaient généralement leur espérance de vie se réduire considérablement. De quoi doucher les récriminations de tous au sein de l'Institut, et s'assurer une certaine loyauté des GEN, trop apeurés pour agir.

Le muret écroulé qu'il fallait franchir pour sortir de l'Institut se profila devant la GEN Noire et elle se sentit soulagée. Elle ne faisait rien de mal en allant à la Cascade, mais elle n'était pas très adepte des retours nocturnes, laissant auparavant cela à Luna et Victoire – toutes deux pour des raisons très différentes. Il était plus que temps pour elle de rentrer se coucher, si elle voulait être apte à réaliser les essais prévus le lendemain avec Hermann. Un nouveau speed-jet biplace équipé d'un armement suffisant pour détruire une maison d'un seul tir venait d'être mis au point par les techniciens. Sa vitesse de pointe, disait-on, était impressionnante.

Amanda l'enjamba donc à la lueur de la lune, sous le vent chaud, et se dirigea rapidement vers le manoir. Le parc était désert, signe à la fois de l'heure tardive et de la chaleur torride qui ne cessait de croître. Tandis qu'un ennemi mortel progressait sur son territoire, la France s'épouvantait devant la météo et les dégâts agricoles causés par la canicule.

Perdue dans de sombres pensées, la GEN Noire faillit manquer la silhouette échevelée assise sur un banc jouxtant un affreux buisson taillé en forme de cône. Le regard de la jeune femme passa sur elle avait d'y revenir, et elle reconnut Ismaël Sallah. Elle dévia donc de sa trajectoire, interloquée par sa présence dehors.

- Salut, dit-elle en parvenant à sa hauteur.

Ismaël sursauta, comme s'il remarquait tout juste qu'elle se trouvait plantée devant lui, et cligna des paupières. Amanda lui trouva l'air hagard dans sa chemisette froissée. Le veston passé dessus le vieillissait mais la GEN s'abstint de lui faire ce genre de commentaire.

- Tout va bien ? demanda-t-elle. Je peux m'asseoir ?

- Oui.

La réponse laconique fusa presque sèchement, mais Amanda ne se laissa pas intimider. Ses propres problèmes lui pesaient, mais elle ne laissait pas les autres seuls pour autant. Elle se laissa donc tomber sur le banc, une jambe repliée sous elle.

- Ça va ? interrogea-t-elle encore. Tu as vu Geb ces derniers temps ?

- Quoi ? bafouilla Ismaël, les yeux dans le vague. Ah, oui... Geb. Non. Je... je n'ai pas eu le temps.

Amanda fronça les sourcils. Depuis combien de temps Luna était-elle partie en lui demandant de faire attention à leur ami amnésique ? Trois jours ? Peut-être seulement deux, elle perdait un peu le fil. Et Ismaël, si amoureux et prévenant pour Geb, n'avait pas trouvé une minute pour le voir ? Impossible. La jeune femme pourtant très occupée y était allée tous les matins, et parfois une seconde fois le soir.

- Je lui ai rendu une petite visite aujourd'hui, annonça-t-elle doucement. Il ne va pas fort, tu sais ?

L'autre se mura dans le silence. Ses joues paraissaient creuses sous la pâle lumière de la nuit.

- Il est perdu, reprit résolument Amanda. Son ancienne identité refait surface, et ses souvenirs avec, mais il ne sait plus qui il est, entre Geb et Steve Marx. D'ailleurs je crois que ce matin, c'était le fils du directeur à qui j'ai parlé. Il ne m'a pas reconnue tout de suite.

- C'est normal, affirma brusquement l'informaticien. Ça doit se passer comme ça.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Le docteur Girond l'a dit, et le docteur Malcolm pensait la même chose. Si la mémoire de Geb revient entièrement, il guérira. Il ne sera plus qu'un seul individu et tout ira bien.

Amanda se surprit à agiter la tête. D'un côté, cela se tenait, mais elle songea que les médecins chargés de Geb ne lui avaient rien dit, à elle, alors qu'elle prenait toujours des nouvelles du GEN amnésique.

La jeune femme rajusta sa position en ôtant sa jambe de sous ses fesses.

- Tu as peut-être raison, dit-elle lentement, mais imagine que la personnalité finale de Geb ne soit pas la bonne ?

- Je ne comprends pas, marmonna Ismaël.

- Tu dis qu'à la fin, il ne sera plus qu'un seul individu et non deux dans sa tête. Mais s'il restait Steve et que le Geb que nous connaissons dispa...

- Non ! coupa vivement l'informaticien. Non. C'est comme ça que ça doit se passer. Il va guérir.

La jeune femme ouvrit la bouche pour argumenter malgré la véhémence du GEN qui s'agitait sur le banc, les mains secouées de tics nerveux :

- Ismaël, écoute, je...

- Non ! s'étrangla l'autre dont le ton vira au hurlement. C'est comme ça que ça doit se passer ! Le docteur Malcolm l'a dit ! Tu m'entends ?

- Oui, d'accord, mais...

Ismaël ne se calma pas pour autant et se leva d'un bond, la fureur déformant ses traits de manière si soudaine qu'Amanda posa machinalement la main sur sa hanche pour y chercher une arme.

- Tais-toi ! gronda le compagnon de Geb. La ferme ! Tu ne sais pas ce que tu dis ! C'est comme ça que ça doit se passer ! Le docteur a dit que je devais lui donner et qu'il guérirait.

Amanda se redressa sur ses pieds à son tour et releva le menton. Elle n'avait pas pour habitude de se servir de son charisme, mais si cela pouvait apaiser Ismaël... Cependant, une sensation de nausée s'emparait d'elle devant les propos du GEN, et elle ne la devait pas à ses hormones fluctuantes.

- Lui donner quoi ? souffla-t-elle. Ismaël, qu'est-ce que tu as fait ?

La question demeura en suspens un instant. Puis, l'informaticien se rassit et se prit la tête entre les mains.

- Le produit, articula-t-il d'une voix brisée. Je...Je suis désolé. Je devais le faire. Pour l'aider à retrouver la mémoire. Ça devait marcher.

- Un produit ? répéta Amanda, blême.

- Un sérum censé réparer les connections neuronales. Amanda, je n'avais pas le choix...

Les oreilles de la jeune Noire se bouchèrent et sa vision se troubla. Les pièces du puzzle se mettaient en place avec netteté. Ismaël avait provoqué l'état de Geb en lui administrant en secret un traitement préconisé par Irina Malcolm. C'était sa faute si son ami délirait, en proie à des souvenirs enfouis, enfermé dans une cellule sous ondes sommeil et tranquillisants jour et nuit.

- Tu as fait ça ? s'entendit cracher la GEN.

Une colère sourde s'empara d'elle et Amanda s'efforça de la refouler. Les émotions négatives de ce type ne l'atteignaient que très peu, en règle générale, mais l'aveu de l'informaticien la révoltait. Geb ne serait peut-être plus jamais celui qu'il avait été, tout ça à cause de son petit ami trop influençable.

Alors, Amanda tourna les talons et s'en fut vers le manoir, le corps tremblant. Si elle restait, elle allait frapper Ismaël. Elle ne s'arrêta qu'une fois devant la porte et s'appuya contre celle-ci, la respiration saccadée pour tenter de reprendre le contrôle d'elle-même.

Elle abaissait la poignée pour entrer lorsque la première crampe la saisit et lui déchira le ventre.

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