Chapitre 34


Je me redressai promptement en position accroupie, saisis de la main gauche un poignard à la ceinture et envoyai voler mon arme avant de faire face à l'ennemi.

Un humain. Un seul humain en tenue de Revenant, son flingue braqué sur ma tête. Un suicidaire, sans doute.

Evidemment, j'aurais pu lui tirer dessus sans cérémonie avec mon revolver, mais ce dernier étant chargé pour expédier des grenades explosives censées détruire les deux camions simultanément, je ne me portais pas garante pour récupérer les morceaux de ce type si je le visais avec. Cela aurait été très salissant.

Je bondis en avant, décollant du sol à plusieurs mètres de l'inconnu, et retombai sur lui avec tant de force que nous roulâmes sur le béton. A califourchon sur l'homme, je lui envoyai mon poing dans la figure et le sang gicla. Ça, c'était pour avoir essayé de me coller une balle dans le dos.

L'autre se débattit, rua avec un grognement étouffé. Il ne manquait pas de force, et sa main libre parvint à me faire relâcher ma prise sur sa gorge. Je bloquai brutalement son poignet sous mon genou, glissant ma lame sous son cou. C'était terminé.

Un bref instant, nous nous dévisageâmes. L'humain était un peu plus vieux que moi, la petite trentaine environ. J'avais eu le temps d'évaluer sa silhouette avant de le mettre à terre, et il faisait ma taille tout en étant bien plus large d'épaules. Tout son corps était musclé, pas seulement le haut et une grosse cicatrice sortait du col de sa veste. Peut-être lui barrait-elle tout le torse. Pour le reste, l'inconnu avait les yeux noisette en amande, les pommettes saillantes et la mâchoire forte. Des cheveux et une barbe châtain foncé plus fournie que celle d'Allan complétaient le tout. A cela, je pouvais ajouter une information donnée par le très bref affrontement qui venait d'avoir lieu, à savoir qu'il avait appris à se battre contre des GEN. Intéressant. Je n'avais pas eu de mal à le maîtriser, mais je restais intérieurement impressionnée par son audace à me tirer dessus sans prévenir et son absence de peur. En clair, il avait piqué au vif ma curiosité.

Le Revenant n'était franchement pas vilain, mais la seule chose qui comptait, c'était qu'il était fait comme un rat, à ma merci, et qu'il le savait très bien. D'ailleurs, il ne remuait plus une oreille. Il se contenta de me fixer dans les yeux avant de recracher un peu de sang et de dévoiler ses dents tâchées de rouge. Puis, il eut un sourire de défi.

- A ta place, j'éviterais de me saigner comme un porc.

- Allons donc, ricanai-je. Venant de quelqu'un qui a essayé de m'abattre sans m'avoir regardé en face...

- Oh, ça ? Je savais que tu allais esquiver. L'Ange Noir et tout le tralala...

L'hilarité se renforça dans les pupilles de l'humain. Il me narguait. Soit il était complètement fou, soit il avait une sacrée paire de... enfin, un sacré courage. Ou bien un mélange des deux.

J'enfonçai ma lame dans sa chair et le sang perla, histoire de donner le change.

- Qui es-tu ? grondai-je. Dépêche-toi, avait que je ne décide de redécorer le toit de cet immeuble avec ta cervelle.

Le souffle de l'individu se bloqua sous l'effet de la pression et je me redressai un peu. J'étais à moitié assise sur sa poitrine, et du fait de ma densité de GEN, je devais peser plus lourd que lui et lui comprimer les poumons.

- Gaspard Olbec, se présenta-t-il sobrement après une goulée d'air. Nous n'avons jamais eu le plaisir de nous voir en personne, mais moi, je sais qui tu es.

- Abrège.

- Je viens de la part de notre chef. Niels a besoin d'une réponse. Il veut savoir de quel côté tu es.

Je plissai le front. A la place de Gaspard Olbec, j'aurais eu la sensation d'être le dindon de la farce. Il risquait sa peau dans cette mission, pendant que Niels restait bien en retrait.

- Une réponse, hein ? fis-je, railleuse. Il est bien exigeant, ton chef, non ? Et dis-moi, qu'est-ce qu'ils font, tes petits camarades, en bas ? Ils préparent l'apéro en attendant que je te renvoie en pièces détachées ?

- La vérité, répondit le Revenant sans se démonter, c'est que Madeleine avait prévu un plan visant à te capturer, mais que sa sœur pensait que ça ne marcherait pas. Elle a suggéré d'envoyer quelqu'un à ta rencontre, et pour ne froisser personne, on a coupé la poire en deux et mis les deux idées à exécution.

Gaspard se tortilla un peu et cracha une nouvelle gorgée de sang mêlé de salive. En lui cognant dessus, j'avais dû casser quelque chose dans sa bouche – une dent – ou à l'arrière de son nez de sorte que le liquide poisseux se déversait dans sa gorge. Je réduisis encore le poids que je faisais peser sur l'inconnu en prenant appui sur mes talons, puis le fixai droit dans les yeux. De toute façon, s'il cherchait à s'enfuir, il n'irait pas bien loin.

- J'ai des conditions, Gaspard Olbec, dis-je lentement. Niels le sait.

- Et il a promis de les respecter. Ton ami Vallet le sait.

Je secouai la tête en choisissant d'ignorer l'amusement du Revenant et sa formulation identique à la mienne.

- Au moindre pas de travers les concernant, l'accord ne tiendra plus, c'est clair ? Je veux une protection jour et nuit de mes parents et mon frère, ainsi que celle de l'amie que je compte faire sortir.

- Ce sera fait, affirma plus sérieusement Gaspard.

J'inspirai un grand coup. Ma décision était prise depuis longtemps, mais le moment était venu de l'assumer. Je lâchai totalement le col de l'humain.

- C'est d'accord, soufflai-je. Je jouerai dans votre camp. Mais je veux un entretien face-à-face avec Niels, et je tiens à connaître les détails de son plan avant qu'il ne fasse quoi que ce soit.

- Je transmettrai l'information.

Je me relevai d'un bond souple, et, dans le même mouvement, remis Gaspard Olbec sur ses jambes. Il fit rouler ses épaules malmenées par notre court affrontement et me regarda aller récupérer mon arme à l'autre bout du toit. Je glissai celle-ci à ma ceinture et revint vers lui avec vivacité. Les bras le long du corps, il ne broncha pas.

- Et maintenant ? Je pars en premier ou toi ? s'informa-t-il.

Un rire m'échappa et je souris d'une oreille à l'autre. Ben tiens, puisque j'avais conclu un semblant de pacte avec les Revenants, j'allais sortir main dans la main de cet immeuble avec ce mec !

- Rien de tout ça, le contredis-je mielleusement. Moi je saute du toit, et toi, tu restes ici.

Sans laisser la possibilité à Gaspard Olbec de répliquer, j'abattis le plat de ma main sur sa nuque et le laissai s'affaler sans connaissance sur le sol bétonné. Il aurait un bon mal de crâne au réveil, mais ce serait tout. Et moi, je pouvais m'en aller tranquillement.

Allan choisit cet instant pour me rappeler.

- Luna ? Je suis juste au-dessus, je descends ?

- Changement de plan, récupère-moi devant la mairie. Il y a un peu trop de monde par ici.

Tout ce que je ne voulais pas, c'était que les Revenants dans la rue en contrebas ne prennent peur pour leur agent s'ils voyaient un jet armé se poser sur ce même toit.

Je m'approchai du rebord, fléchis les jambes, et me laissai tomber. Au dernier moment, je ralentis ma chute en me rattrapant à un balcon qui grinçai d'ailleurs sous le choc, puis j'atterris sur le bitume. La rue resta déserte : les Revenants ne m'avaient pas vue quitter les lieux. Je fonçai donc en vitesse doit devant moi, et refis en sens inverse la route qui m'avais conduite ici.

Le gros speed-jet piloté par Allan se trouvait bien là, garé soigneusement sur le parking de la mairie à côté de deux voitures d'employés, ce qui était presque risible. Le plan incliné s'ouvrit et je montai dedans, cette fois-ci pour de bon. L'opération était terminée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top