Chapitre 31


Je me plaquai contre le mur crépi de l'école, revolver cette fois-ci bel et bien dégainé. Les flics seraient très vite là, les curieux dans leur sillage, pour assister à toute la scène. Étrange, non, comme certains se nourrissent et se divertissent des catastrophes qui frappent les autres ? Enfin, me direz-vous, j'étais peut-être mal placée pour juger ainsi les gens...

Je tendis le cou pour voir Samuel et son groupe arriver au petit trot de l'autre bout du bâtiment. Nous nous trouvions à l'extrémité Est du L formé par les murs, soit proches de la porte principale. Une rangée de platanes bordait notre position.

- Toutes les issues sont bouclées, dit le GEN blond en se laissant glisser au sol, près de moi. Les secours, ça fait partie du plan, je suppose ?

- Tu supposes bien, souris-je.

J'avisai Pierre, juste derrière Samuel. Il s'était reconcentré et son air horrifié par la mission avait disparu de son visage. Ce serait un problème en moins, une fois que nous serions entrés.

- Prêts ? lançai-je. Vous cinq, vous resterez dehors. Périmètre hermétique, permission d'attaquer si nécessaire accordée.

Tout en parlant, je désignai les trois seules GEN femmes de mon équipe et deux autres hommes. Ils s'écartèrent sans attendre des autres et répondirent à mes ordres par l'affirmative. Je hochai la tête à l'intention de mes compagnons.

- On y va, indiquai-je. On se sépare pour entrer simultanément dans le classes et on regroupe tous les gamins dans la dernière. Si les adultes résistent, abattez-les, sinon, on les alignera en rang d'oignon dans la cours.

Là-dessus, je m'arrachai au mur et me faufilai vers la porte que je poussai, mon équipe derrière moi.

Le couloir était désert et frais, le sol carrelé de noir et les murs d'un jaune clair assez vilain. Sur la droite se trouvaient les toilettes et la salle réservée aux enseignants. Immédiatement après, le bâtiment tournait à angle droit pour former la longue zone où s'alignaient les salles de classe. Je m'engageai dans cette direction et stoppai devant le premier battant. En silence, Samuel se plaça en face de moi, l'épaule droite plaquée à la chambranle, et je fis de même. Je relâchai mon souffle, le cœur battant légèrement plus vite que d'ordinaire. Pierre, lui, continua plus en avant pour se positionner devant la seconde classe. En un rien de temps, tous mes Soldats furent répartis devant nos cibles et attendirent. D'un geste, je donnai le signal.

Bang !

Je balançai mon pied dans la porte qui se dégonda aussi sec. Je jaillis dans la pièce carrée, meublée de tables, de chaises, d'un unique bureau et d'un tableau blanc, le tout éclairé par les néons et les fenêtres couvrant tout un côté. Une salle de classe banale, en somme.

La femme qui se tenait au bureau sursauta si fort qu'elle en envoya valser la craie avec laquelle elle écrivait au tableau et un hurlement étouffé lui échappa tandis que la panique gagnait ses yeux. Les enfants – vingt-cinq environ et âgés de dix ans – se recroquevillèrent sur leurs chaises et une fillette couina. Je comptai onze filles parmi eux.

- Qu'est-ce que... ? Vous n'avez rien à faire ici ! s'étouffa l'institutrice en s'agrippant à sa robe, comme si nous allions la lui arracher.

Je m'approchai d'elle, le visage sombre et empoignai la femme par le bras. Les gamins s'agitèrent tandis que Samuel s'avançait dans l'allée, entre les tables, mais aucun ne parla. Le charisme des GEN faisait son œuvre, leur coupant toute volonté.

- Ne tentez-rien, assénai-je. Nous allons vous reconduire dehors. Cette école nous appartient, désormais.

- Je ne veux pas laisser les enfants. La police va venir.

Samuel les maintenait en joue, sans intention de tirer, mais cela, elle ne le savait pas. La panique la gagnait.

- Il le faudra pourtant, madame, jetai-je poliment. Le sort de ces enfants dépend avant tout de vous, n'est-ce pas ? A moins que vous ne désiriez que je tue l'un d'entre eux.

Je pointai mon arme au hasard et un hoquet franchit les lèvres de l'humaine. Ses paupières papillonnèrent et je compris qu'elle cherchait son portable, histoire de donner l'alerte.

- Non ! fit-elle. Ne leurs faites rien.

- Dans ce cas, montrez-vous raisonnable, répliquai-je sans la moindre émotion.

L'institutrice chercha à se dérober à mon regard et fixa ses élèves. Puis, le dos plus raide qu'une planche, elle commença à se diriger vers la sortie, les talons de ses petites ballerines claquant sur le sol. Un cri nous parvint depuis une autre classe, suivi du bruit caractéristique d'un corps jeté sans cérémonie à terre, et la femme se figea, horrifiée. Elle saisissait à peine que toute l'école subissait la même attaque.

Un garçon, brun et rondouillard, émit un sanglot pitoyable qui lui valut de drôles de regards de ses camarades. Une poignée d'entre eux, ceux qui n'avaient pas trop peur face à la situation, se demandaient encore si cette mascarade n'était pas une bonne grosse blague pour le 1er Avril. Mais, au risque de les décevoir, nous étions en Juin, donc un peu tard pour les poissons d'Avril, et mon patron n'était pas du genre à plaisanter. La vie de ces enfants était sur le point de changer pour de bon, et c'était parfaitement sérieux.

- Sortez, répétai-je froidement à l'humaine. Dites-vous que vous êtes chanceuse, nous aurions pu vous abattre. Alors partez d'ici.

La femme se remit en mouvement et, après quelques pas, courut finalement jusqu'à l'entrée, sa robe relevée sur ses cuisses. Comme quoi, ses louables intentions de ne pas abandonner les enfants dont elle était en charge n'avaient que peu duré... Dès que j'eus vu l'un de mes Soldats l'attraper par le poignet et la conduire au milieu de la cour, je me désintéressai d'elle, notant au passage qu'un attroupement se formait devant le portail que je distinguais d'ici, et que des voitures s'étaient garées. La police n'avait pas traîné, et même convoqué une ambulance.

Je me retournai vers les gamins, toujours figés sur leurs sièges. Le gros brun renâcla bruyamment et de la morvelle lui coula sur la lèvre supérieure. Charmant.

- Levez-vous, dis-je d'une voix égale. Nous allons rejoindre vos camarades, et aucun mal ne vous sera fait.

Les premiers enfants à obéir entraînèrent les autres, et si Sam ni moi n'eûmes besoins de les menacer un peu plus. Nous parcourûmes le couloir derrière eux, les forçant à accélérer quand ils découvrirent les traces de sang devant la classe voisine. Le maître qui enseignait ici avait dû se montrer un peu trop pénible au gout des Soldats Noirs.

Arrivés au bout, je pris les devants et jetai un coup d'œil dans la pièce à la même configuration que celle que je venais de quitter. Tous les autres enfants étaient là, encadrés par Pierre et le reste de l'équipe, entassés sur les chaises et au sol.

- C'est bon ? demandai-je à mon lieutenant. Rien à signaler ?

- Le maître de la classe où je suis entrée s'est sauvé sans demander son reste et avant que je le lui aie ordonné, soupira Pierre. Un modèle de courage.

- Bien. Je vais aller faire le bilan dehors. On ne part pas tout de suite.

L'autre opina du chef sans poser de question. Même si j'étais la seule à connaître les détails, lui et Samuel savaient que notre but était d'adresser un message au pays, et non de disparaître le plus vite possible.

- Sam ?

- Ouais ?

- Garde les moutons. Je reviens.

Un petit sourire gagna les iris sombres de mon compagnon. Ma foi, mieux valait rire de ce que l'on pouvait, même si je ne m'amusai pas du tout.

- Madame ?

Je venais de pivoter sur mes talons quand une petite voix m'interpella. M'efforçant de ne pas avoir l'air trop terrifiante, je portai mon attention sur une fillette minuscule, dotée de lunettes aux verres plus épais que des culs de bouteille. Six ans, pas plus, et des cheveux si frisés qu'on aurait dit des queues de cochons.

- Je veux faire pipi, murmura-t-elle.

Allons donc. Si l'Ange Noir se mettait à prendre en pitié une gamine sur le point de mouiller sa culotte, où allait le monde ? J'avais une réputation à tenir. Je passai mon chemin, ce que mes hommes prirent, avec raison, pour une interdiction de l'emmener aux toilettes, mais je serrai les poings, une fois seule dans le couloir.

C'était laid, tout ça. Injuste, aussi. Mais inévitable, pour l'heure, car j'étais au commandement de la mission. Je ne pouvais reculer, sans quoi on me prendrait pour une traîtresse.

J'émergeai avec soulagement dans la cour de l'école, à l'air libre bien qu'il fît très chaud. Un comité d'accueil m'attendait devant le portail, et je me félicitai intérieurement. Deux voitures de la gendarmerie, une ambulance, des barrières pour bloquer la rue, et des curieux, comme prévu. Pourtant, nous n'étions là que depuis un quart d'heure.

- Ont-ils tenté de négocier avec nous ? interrogeai-je sans parler à personne en particulier. Ou d'entrer de force ?

- Non, commandante, affirma lentement un Soldat GEN posté à la porte.

- Maintenez vos positions, et ne tirez pas avant mon signal.

Un homme en gilet pare-balles s'écarta du groupe et vint au portail. Il agita la main vers moi et rangea son flingue. Le reste de son groupe demeura de l'autre côté de la rue, et je vis disparaître leurs armes. C'était moi qu'ils voulaient.

Je glissai une main le long de mon avant-bras et appuyai sur mon téléphone dans la poche prévue à cet effet.

- Sam, tu me reçois ? dis-je sans hausser le ton.

- Oui, grésilla la voix du GEN blond.

- Fais lever les enfants et prépare toi à les faire sortir devant. On a de la visite.

- On arrive.

Je traversai la cour pavée de l'école. Hormis un pauvre platane le long de la barrière en fer blanc entourant l'endroit, il n'y avait rien à voir. Du goudron, deux bancs et encore du goudron.

Je stoppai à quelques mètres du portail, le menton relevé afin de bien marquer ma supériorité.

La scène me rappelait beaucoup celle qui avait eu lieu après l'attentat au Gaumont Parnasse, sauf que j'avais alors tué toutes les forces venues m'arrêter, et que je souhaitais ne pas avoir à le faire aujourd'hui. Je croisai les bras sur ma poitrine.

- Madame, je suis le lieutenant Adam. Je veux juste vous parler, commença l'homme.

Il était jeune, et pas le plus gradé du lot, mais sans doute le moins trouillard. Il était sans doute le seul à avoir accepté de prendre le risque de s'approcher de moi, à en juger par l'expression de ses camarades planqués derrière les voitures, arme en main. Même si le gouvernement avait refusé de reconnaître l'existence de mutants sur son territoire, tout le monde avait entendu raconter des histoires sur les ombres noires qui attaquaient sans scrupules. Des ombres si rapides, qu'elles en semblaient irréelles. Ces gens-là ne faisaient pas exception, et ils avaient peur de nous.

- C'est ce que vous venez de faire, fis-je remarquer tranquillement.

- Quel est votre nom, madame ? persista le lieutenant.

Tiens tiens. Il ne se démontait pas, mais on ne pouvait pas en dire autant de ses collègues. La tension était palpable dans leurs rangs, et ils tressaillirent même à l'arrivée d'une troisième voiture chargée de gendarmes qui se gara à la suite des deux premières. Une femme avec un chinions leur fit un signe précipité pour qu'ils restent où ils étaient.

- Je suis la commandante Deveille. Et je ne suis pas venue faire de mal à vos enfants.

- Alors que voulez-vous ?

- Je viens au nom de la cause des GEN, lançai-je avec force.

Du coin de l'œil, je vis qu'une femme derrière la barrière de sécurité dressée par les secours, tenait son téléphone devant elle. Elle filmait. Lorsqu'elle remarqua l'attention que je lui portais, elle sursauta et fit un geste pour ranger l'appareil mais je levai une main.

- Continuez, ordonnai-je.

La femme obtempéra et j'avançai encore d'un pas. Le moment de déballer mon superbe discours rédigé par Marx était venu. Rien que d'y penser, les poils sur ma nuque se dressèrent.

- Humains, déclarai-je d'une voix forte, je suis venue vous avertir. Le monde change, et pour suivre cette transformation, vous devrez changer aussi, ainsi que mes semblables et moi-même l'avons fait. Les GEN sont des mutants, des êtres génétiquement modifiés pour être améliorés. Vous, les humains, n'êtes pas parfaits, mais nous le sommes. Plus forts, plus intelligents, plus résistants à toute forme de maladie. Nous sommes les GEN, créés par votre peuple pour le protéger, puis oubliés de tous, mais nous sommes toujours là. Aujourd'hui commence notre nouvelle existence, aux yeux du monde.

J'écartai les bras pour désigner l'école, fixée des yeux par toutes les personnes présentes.

- Ces enfants, vos enfants, ont été choisis pour devenir des nôtres. Aucun mal ne leur sera fait, et ils seront transformés en GEN pour vivre une existence meilleure. C'est ce qui arrivera à tous ceux qui s'en montreront dignes. Peuple humain, écoute mes paroles. Les GEN prendront la place qui leur revient de droit, car leur espèce dominera la vôtre. Ne résistez pas, et vous serez épargnés. Ne résistez pas, et vous pourrez devenir comme nous. Mais rebellez-vous, et vous mourrez.

Il y eut un silence après que ma voix se fut éteinte. Les mots laissaient un gout amer dans ma bouche, mais je ne montrai pas le sentiment étrange qui m'habitait.

Cependant, je ne dûs pas convaincre tout le monde dans l'assistance, car l'un des gendarmes sauta brusquement de derrière la voiture qui lui servait de bouclier et me tira dessus.

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