Chapitre 29


Nous prîmes rapidement de l'altitude, et je consultai d'un œil le plan de vol. Samuel, de son côté, procédait aux derniers réglages permettant de rendre l'appareil volant invisible et indétectable par radar.

L'école prise pour cible se trouvait à environ cinquante kilomètre au sud de notre position présente. C'était Marx qui l'avait choisie, et j'ignorais totalement pourquoi. Les minces infirmations que je possédais sur le passé du directeur ne m'avaient pas permis de relier cet établissement, ou même une ville environnante à son ancienne vie d'humain, avant l'Institut. Peut-être s'était-il contenté de tirer à pile ou face sur une carte...

Alors que je verrouillai notre destination dans le GPS du speed-jet, N.I.A éclaira l'habitacle de sa lumière bleue et sa voix numérique retentit :

- Commandante, vous avez reçu un message. Vous pouvez dès à présent consulter votre boite personnelle.

N'ayant pas vraiment l'esprit tranquille en cette période troublée par mes agissements sur les deux tableaux, je relevai la tête :

- Je vais le lire, N.I.A. Enclenche le pilotage automatique.

- Bien, agent Deveille.

Samuel et Pierre se tournèrent d'un même mouvement vers moi lorsque je me levai. Imperturbable, je balayai leurs éventuelles questions d'un revers de main.

- Ce doit être le directeur, dis-je. Des consignes de dernière minute. Je reviens tout de suite.

Mon compagnon hocha la tête et se reconcentra sur le vol. Mon poste de commandante à lui seul justifiai que je m'éloigne de lui pour recevoir des informations du directeur, et cela m'arrangeait bien. Je passai donc devant les Soldats Noirs immobiles sur leurs sièges et me dirigeai à l'autre bout du jet, près de la porte où se trouvait une interface tactile. J'ouvris ma messagerie personnelle, et en découvrant que le document reçu venait d'Allan, je sentis mon cœur cogner contre mes côtes. Je me contrôlai et fis redescendre mon rythme cardiaque avant de consulter le contenu du message.

25 1181010222511 2081626 23826 221 2612219

212221 211214221016891912

10222111161222126 2218

8

Je hochai la tête devant mon écran à la vue de la suite de chiffres. C'était un code destiné à ralentir une personne mal intentionnée qui serait tombée sur le message, mais il n'était pas très difficile à résoudre, y compris pour un humain un peu féru de séries d'espionnage. Allan n'avait pas l'air de penser qu'une autre personne que moi le lirait, et ne s'était pas embêté à l'encoder de façon trop sophistiquée.

Cependant, pour les non-initiés, ce genre de message crypté nécessitait une petite explication. En vérité, c'était assez simple : on associait un nombre à chaque lettre de l'alphabet, puis on rédigeait les informations à transmettre en se servant de ces nombres en guise de caractères. Le tout était de savoir quelle lettre était le 1, car si l'on désirait complexifier la chose, on ne prenait bien évidemment pas le A pour cela. Ensuite, il fallait parvenir à détacher les chiffres les uns des autres et à comprendre, par exemple, lesquels devaient rester ensemble, pour former des nombres à deux chiffres. Bref, un petit entraînement préalable était nécessaire si l'on ne voulait pas y passer la semaine.

Mais dans mon cas, tout allait bien, car Allan et moi étions plutôt habitués de cette communication secrète. Avant de me mettre au travail, je fixai la suite de chiffres pour la graver dans mon esprit, puis supprimai le message. N.I.A effectuait des sauvegardes sur les serveurs environ toutes les cinq minutes après une connexion, et je ne devais pas laisser traîner cela. Heureusement, j'avais une mémoire plus que performante et n'allais pas oublier ce que je venais de lire.

Le cerveau GEN était un peu comme un immense disque dur, à la capacité d'accueil des données inépuisable, et indestructible. Une fois la personne transformée, la mémoire était quasi absolue, ce qui pouvait s'avérer aussi pratique qu'indésirable – pour ma part, si j'avais pu reléguer certains épisodes de ma vie aux oubliettes, je l'aurais fait. Les seules pertes de souvenirs pouvaient avoir lieu lors de la mutation, comme Geb, mais pas après.

Faisant mine de pianoter sur le clavier tactile, je me représentai mentalement le message d'Allan et me mis à changer les chiffres en lettres, à les déplacer pour former des mots.

- Tout va bien ? me lança Samuel depuis le poste de commande.

- Oui, oui, opinai-je tranquillement. C'est le rapport du docteur Malcolm à propos des puces implantées dans nos Soldats.

- Ça dit quoi ?

- Pas grand-chose de compréhensible quand on n'est pas médecin.

Sam rit, et Pierre, qui vérifiait les voyants devant lui, s'autorisa un sourire. Plutôt contente de moi, et de la façon dont je m'étais sauvée la mise par une pirouette, je repris mon décodage. Au bout de différents essais, je commençai à détacher des suites de lettres conduisant à ses syllabes, et, enfin, trois minutes et dix secondes plus tard, j'obtint un résultat.

R DACCORD MAIS PAS UN SEUL

NON NEGOCIABLE

CONDITIONS OK

A

Je me répétai mentalement la première partie du message, les yeux dans le vide. Le « R », étant données les circonstances, ne pouvait se rapporter qu'aux Revenants, ce qui était déjà un bon début, mais que signifiait la suite ? « Pas un seul » quoi ? Un seul GEN ? Amanda, donc, même si ni Niels, ni Allan ne connaissaient l'identité de la personne que j'essayais aider. Ainsi, il ne suffisait pas au chef des Revenants de sortir mon amie de l'Institut, ce qui, au final, ne me surprenait même pas. Il désirait gonfler ses rangs, et récupérer d'autres agents, et en tout premier lieu, moi. J'en fus convaincue dès l'instant où cette idée se fraya un passage dans mon esprit.

Albert Niels n'était pas un crétin, et gardait ses objectifs en ligne de mire. Il me voulait dans son camp, ce qui l'avait amené à me contacter avant que Marc, en proie à la folie, ne me vide son chargeur dans le bide, quelques mois plus tôt, et ne manque de m'expédier tout droit en enfer – les gens comme moi ne pouvant espérer passer par la case paradis. Les événements suivants avaient quelque peu refroidi le Revenant, mais il voyait là une nouvelle opportunité. Sans doute comptait-il me faire miroiter la dette que je contracterais auprès de lui s'il aidait Amanda pour obtenir ma coopération.

Partant de là, les quelques lignes suivantes dans le message de mon ancien mentor devenaient plus compréhensibles. Niels n'était pas prêt à négocier mon accord pour cela, et si je refusais de me joindre à lui, je pourrais toujours courir pour que mon amie soit mise en sécurité. Quant aux « conditions » mentionnées, je savais ce qu'il en était. Allan me connaissait suffisamment bien pour savoir quelles seraient mes exigences si j'acceptais de travailler pour l'ennemi, et les avaient déjà exposées à Niels.

Mes poings se serrèrent. Ma famille devrait être protégée, sans quoi je refuserais la demande du Revenant.

J'éteignis brusquement l'interface tactile et retournai vers le poste de commandes. Je n'avais que trop traîné et tentai de chasser le sentiment d'oppression qui me labourait la poitrine. Il fallait que je voie Allan, que je parle de vive voix à Niels, mais tout ceci n'était pas possible dans l'immédiat. Un doute brutal me fit me demander si je ne m'étais pas fourrée dans un guêpier encore pire que l'Institut. Tant de choses pouvaient déraper d'ici à ce que je peaufine mon plan pour Amanda – à commencer par la grossesse de cette dernière si quelqu'un l'apprenait. Je n'avais aucune nouvelle d'elle, et aucun moyen de savoir si elle allait bien.

Je me rassis près de Samuel et cachai mes doigts tremblants sous mes cuisses. Je devais me reprendre, et vite, car l'assaut était proche.

- Ça va ? interrogeai-je d'un ton calme qui me rassura sur ma capacité à dissimuler mes secrets.

- On ne devrait pas tarder à arriver, opina mon ami. Pierre, on est toujours invisibles ?

Le GEN agita positivement la tête et je jetai un œil en bas. Nous survolions une petite commune et n'étions plus très loin de l'école. J'agrippai une manette pour stopper la progression du jet après avoir repéré notre cible.

- On va rester en vol stationnaire, les gars, indiquai-je. C'est là.

- A vos ordres, commandante, lança solennellement Pierre, ce qui me fit lever les yeux au ciel.

L'appareil s'immobilisa dans les airs, et je fis rouler ma tête en arrière pour me délasser les épaules.

L'école, plusieurs dizaines de mètres en dessous de l'appareil, était située dans une petite rue comprenant aussi la mairie et la médiathèque de la ville. Son bâtiment en forme de L était placé au fond d'une cour de récréation plutôt petite en forme d'arc de cercle, et jouxtait la cantine scolaire. Je savais déjà tout cela avant de me retrouver sur le terrain, mais je pris malgré tout le temps d'observer avant de m'adresser à mes équipiers.

- Tout le monde est prêt ? fis-je.

- C'est bon, Luna. C'est quoi le plan ? m'encouragea Samuel.

Je fixai une fraction de seconde ses yeux sombres et me lançai :

- La première chose à savoir, c'est qu'il n'y a qu'une entrée principale dans cette école. Elle se situe ici, après l'angle du mur, soit au milieu du bâtiment, mais il y a tout de même six autres portes qui constituent les sorties de secours. Les cinq salles de classes s'alignent le long du couloir et donnent toutes sur l'extérieur du L, et elles comportent chacune une porte sur le dehors. Jusque-là, ça va ?

- On suit, on suit, affirma Samuel. Mais il nous manque une sortie, non ?

- La dernière se trouve là, dis-je en désignant le bout du bâtiment scolaire, elle dessert la salle des professeurs et les toilettes. Pour ce qui est de la cantine, une entrée devant, une derrière pour le personnel, et c'est tout.

Je repoussai mon siège pour me redresser, me sentant plus à l'aise ainsi. Je n'éprouvai pas de peur concernant la mission. J'avais déjà fait pire que ça...

- L'objectif premier est de verrouiller ces sorties de secours sans se faire repérer. Ensuite, on entre, on vide les classes des adultes et on garde les enfants qu'on ramène en jet aux Laboratoires.

- C'est tout ? s'étonna Pierre.

Je le vis tripoter son holster d'un air nerveux. L'affreuse idée de le remettre sous l'influence de sa puce électronique s'il ne parvenait pas à prendre sur lui me tarauda brièvement, et j'y résistai. Pierre était un allié, le genre qui pourrait m'épauler si je passais à l'ennemi. Et il me faisait confiance.

- Qu'est-ce que tu attendais ? lui demandai-je en haussant les sourcils. Ce genre d'opération va constituer notre train-train pendant des semaines, Pierre. Marx veut élargir la communauté, commencer les transformations de masse, et nous sommes là pour fournir les futurs GEN. Avec ou sans l'accord des humains.

- Je sais, répliqua l'autre d'une voix plus ferme.

- Très bien. Sam, tu vas avec Pierre, et vous prenez la moitié du groupe de Soldats Noirs. Commencez par vous occuper des issues de secours, je me charge de sécuriser la cantine et de me débarrasser du personnel gênant. On se retrouve devant l'entrée principale, et on entre ensemble.

Pierre s'éloigna dans l'habitacle sans demander son reste et Samuel demeura près de moi. Nous échangeâmes un regarde de connivence.

- Je le trouve vraiment bizarre, lâcha honnêtement mon compagnon.

- Moi aussi. Je crois qu'il a des scrupules à agir comme il se doit. Garde-le à l'œil, okay ?

Samuel acquiesça et nous regagnâmes l'entrée du jet qui flottait toujours dans le ciel clair de juin. Je remontai bien jusqu'en haut le zip de ma veste de cuir souple et vérifiai mes armes. Sur un geste de ma part, les Soldats se levèrent et se répartirent derrière Sam et moi, en deux groupes égaux.

- Tu ne comptes pas poser le jet ? nota le GEN blond.

- Je ne crois pas que les villes soient déjà équipées de places de parking pour ce genre d'engin, plaisantai-je. Et puis cela fait un moment que j'ai envie de tester ces nouvelles tenues de combat.

- Je crains le pire, pesta mon ami.

- Oh, ne fais pas ta chochotte, Sam, m'amusai-je en appuyant sur une touche de l'interface.

Lorsque le plan incliné de l'appareil commença à s'ouvrir, Samuel comprit ce que j'avais l'intention de faire et secoua la tête d'un air faussement horrifié. Cependant, l'excitation brillait dans ses pupilles et il se pencha en avant, jambes fléchies, comme sur le point de sauter dans la Cascade.

Dès que l'ouverture fut suffisante, nous nous jetâmes hors du speed-jet, l'un à la suite de l'autre et fûmes happés par le vide.

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