Chapitre 28


L'après-midi passa en un temps record car je décidai de démonter le campement et de nous tenir prêts à partir. Chacun s'équipa et les malles de matériel furent scellées en un rien de temps, toute trace de vêtements mis à sécher sur les branches envolée. Pour finir, après un repas rapide et une fois la nuit tombée, nous nous étendîmes tous sur de simples couvertures, à même le sol, afin de prendre un peu de repos.

L'aube me trouva allongée sur le dos, un bras derrière la tête et les yeux perdus vers le ciel. Je n'avais pas dormi, ou seulement somnolé, mais cela me suffisait. Mon organisme pouvait supporter un manque de sommeil bien plus conséquent, et j'avais la tête trop pleine pour ronfler la bouche ouverte en de telles circonstances – Pierre, lui, ne s'était pas gêné.

Je sentis que Samuel, couché à ma droite, était lui aussi éveillé car son souffle avait perdu son rythme profond, mais ne lui parlai pourtant pas. Une partie de moi rêvait de lui raconter les problèmes d'Amanda, et de voir avec lui quelles solutions s'offraient à nous, mais je devais résister. Encore une fois, je ne pouvais me fier qu'à moi-même, et à Allan, si cruel que ce fut. Plus tard, Sam saurait. Plus tard.

Soudain, je me redressai, l'oreille tendue et perçus un vrombissement, au loin. La lumière crue du matin filtrait à travers les hêtres, et je me levai rapidement.

- Qu'est-ce qui se passe ? interrogea Samuel qui s'assit à son tour.

- Un speed-jet vient par ici. Il y a une zone dégagée susceptible de le faire atterrir ?

A l'expression du GEN blond, je vis qu'il n'entendait pas encore l'appareil en approche, mais il ne discuta pas. Son ouïe, légèrement moins affinée que la mienne, ne tarderait pas à lui apporter le bruit.

- Droit devant, dit-il en tendant sa main dans une direction.

- Je vais les rejoindre, ils seront là dans cinq minutes. Tu peux t'occuper de préparer les Soldats ? On n'a pas de temps à perdre.

- Pas de problème, opina-t-il.

Je le remerciai d'un sourire et m'engageai sous les arbres, dans le sens indiqué par Samuel. Je ne crapahutai pas longtemps avant d'émerger dans une grande clairière ouverte sur le soleil de Compiègne, et n'eus pas non plus à attendre, car deux jets se posaient en même temps. Je patientai un peu, les bras croisés, puis me portai à la rencontre des occupants du premier appareil.

Je vis, non sans surprise, en descendre le docteur Girond en tenu de combat, ce qui ne manquait pas d'étrangeté. Que faisait-il si loin de son terrain de prédilection, à savoir le labo ? Certes, les GEN pouvaient porter n'importe quel vêtement en ayant l'air respectables grâce à leur prestance naturelle – y compris en vieux jogging et t-shirt sale – mais voir Girond habillé ainsi avait presque un côté risible, un peu comme s'il était évident que ce n'était pas un agent. Il aurait sans doute dû garder une tenue civile, ou bien sa blouse blanche.

Je retins cependant toute trace d'hilarité en me plantant devant l'assistant d'Irina Malcolm.

- Docteur Girond, fis-je sobrement.

- Commandante Deveille.

- Le vol s'est-il bien déroulé ?

- A merveille. Nos jets sont décidément des bijoux de technologies et N.I.A s'est occupée du pilotage automatique durant tout le trajet.

Girond laissa échapper un petit rire qui mourut dans sa gorge quand il vit que je ne partageais pas son sens de la plaisanterie. Quel bouffon, celui-là ! Ne se rendait-il pas compte qu'avouer à demi-mot qu'il ne savait pas manipuler un tel appareil le rendait ridicule et ne le faisait pas monter dans mon estime ?

Derrière lui, une poignée de Soldats Noirs habillés de pied en cape s'alignaient en rang serrés, et Girond décida de changer de sujet pour dissiper son malaise.

- Voici les Soldats que vous avez demandé pour votre mission, commandante. Le docteur Malcolm m'a chargé de les escorter jusqu'à vous pour vous faire le rapport des tests pratiqués sur eux.

- Alors ? l'encourageai-je avec autant d'amabilité que possible. Si j'en juge par leur présence ici, je dirais que ceux-là ne présentaient aucune anomalie ?

Girond pivota vers les Soldats qui fixaient le vide devant eux, incapable d'avoir des réactions naturelles.

- Tous les résultats se sont avérés normaux, annonça-t-il, à part ceux d'un seul GEN, commandante. Aucun piratage de la puce n'est plus possible, car le docteur Malcolm et moi-même nous sommes chargés d'améliorer la sécurité avec l'aide des informaticiens.

- Un seul ? relevai-je. Qu'est-il advenu de lui ?

- La puce dysfonctionnait et ce Soldat était temporairement libre de ses mouvements, mais pour l'heure, nous n'avons pas réussi à déterminer se cela vient d'une intervention extérieure. Le docteur Malcolm va d'abord tenter de résoudre cette question, puis il sera transféré à l'Institut pour que le chef de la sécurité Matthews l'interroge. Il a nié en bloc avoir un lien avec les Revenants.

Je hochai la tête. Se pouvait-il que Niels ait encore une taupe parmi mes hommes ? Après ce que Tina et les autres traîtres avaient fait, rien n'était impossible.

- Très bien, dis-je. Nous verrons s'il parle, mais admettre sa culpabilité serait signer son arrêt de mort. Il se peut qu'il résiste...

- Un dernier détail, ajouta l'autre, le directeur Marx m'a chargé de vous informer d'une chose. Il avait peur que vous ayez coupé vos moyens de communication pour plus de discrétion. Il vous informe donc que l'agent Vallet vous rejoindra avec le reste de l'Armée une fois que vous aurez pris l'école.

Hein ? Mais qu'est-ce que c'était que cette décision de merde ? Je n'avais jamais proposé une telle chose au directeur, et voilà qu'il venait mettre son grain de sel dans cette affaire ! Moi, j'avais besoin qu'Allan demeure à l'Institut pour contacter Niels si besoin, pas qu'il se retrouve au même endroit que moi.

- Parfait, répondis-je, un air satisfait, qui dénotait franchement avec la grimace qui menaçait de s'imprimer sur mes lèvres, plaqué sur le visage.

Un étau se noua autour de ma poitrine, même si je n'en montrai rien. Les choix de Marx ne se contestaient pas, point final. J'allais faire avec, et me dépêtrer de ce bordel...

Samuel choisit cet instant pour débarquer en compagnie de Pierre et du petit groupe de Soldats Noirs qui les accompagnaient au campement. Ces derniers grimpèrent sans attendre dans le jet de Girond, conformément aux ordres reçus, et sans un regard pour leurs congénères tout aussi inexpressifs. Ils étaient les seuls à n'avoir pas encore été testés. Je ravalai mon énervement de mon mieux, tandis que le médecin et mes deux amis se saluaient.

- Bien, je crois que tout est en ordre, lança alors Girond. Je vous laisse le second jet pour faciliter votre retour dans environ douze heures, c'est cela ? Les laboratoires sont prêts à accueillir nos premiers patients et à amorcer la création de GEN à grande échelle.

Une expression d'enfant à la fête foraine se peignit sur les traits du GEN. Quelle folie... Et dire que tous mes semblables, à quelques exceptions près, partageaient cette exaltation face aux affrontements à venir !

- Bon retour, me contentai-je de dire en inclinant la tête.

Girond fit volte-face, puis disparu dans le jet dont le plan incliné remonta. Deux minutes plus tard, il était parti.

Je me tournai vers les Soldats Noirs restés à ma disposition. Vous l'aviez sans doute déjà remarqué, mais je n'utilisais jamais leurs noms, et ne les connaissais d'ailleurs pas, pour être honnête. Seuls Pierre Greggor ou encore Tina Truffier avaient droit à cet honneur, parce qu'ils avaient acquis une importance certaine – dans le bon sens du terme comme dans le mauvais – mais les autres n'étaient qu'une armée de pions anonymes, traités comme du bétail. Cette réalité était laide, mais bien présente. Je me contentai donc d'enregistrer les visages et c'était suffisant.

- Seulement dix ? remarqua Samuel qui me tira de mes pensées. C'est assez ?

- Oui, affirmai-je. A quoi bon être des GEN aux pouvoirs surhumains s'il faut être aussi nombreux qu'eux pour intervenir quelque part ? Moins nous serons, et plus nos actes impressionneront.

Sam opina du chef, ses cheveux blonds tombant devant ses yeux, puis il rajusta sa ceinture, à laquelle pendait un pistolet à sérum et un revoler normal, tous deux chargés. Il ne restait plus qu'une chose à faire : décoller.

- On embarque, soldats, ordonnai-je fermement à ma petite Armée. Les caisses de matériel à l'arrière, puis chacun à son poste.

- Bien, commandante, scandèrent les dix GEN d'une seule voix.

Flanquée de Pierre et de Samuel, j'entrai dans le jet à l'habitacle spacieux et me dirigeai vers les commandes. Je m'assis, mis un casque et démarrai un certain nombre de commandes. Le pilotage relevait d'une spécialité qui n'était pas la mienne, mais je maîtrisais assez bien le sujet. L'appareil se mit à ronfler, et je vérifiai que tout le monde était bien attaché. Après quoi, je soulevai une manette et le jet s'éleva dans les airs.

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