Chapitre 26
La forêt de Compiègne était située à plus d'une heure de Paris, et le taxi auquel je demandai de me déposer près de ma destination ne fut pas ravi. D'après ce que le chauffeur bougonna dans sa barbe lorsque je montai dans son véhicule, il préférait les courses rapides dans la capitale, histoire de se faire un maximum d'argent sur de faibles distances. Cependant, une fois mes billets étalés sur le siège passager, il se révéla nettement plus enthousiaste à l'idée de me transporter.
La discrétion aurait voulu que je me rende sur place à pieds, ce que j'aurais pu faire, mais le temps me manquait. Je devais rejoindre mes hommes afin de mettre en place la suite des opérations. Marx ne souffrirait aucun retard, et encore moins un échec.
Le taxi me laisse à une dizaine de kilomètres de la forêt et je terminai ma route seule, mes escarpins à la main et le sac sur l'épaule, telle une promeneuse bécasse qui serait partie en terrain accidenté en robe et chaussures à talons. Je croisai trois hommes en jogging qui me regardèrent d'un air narquois, mais décidai de les ignorer. Je pouvais les renvoyer chez eux à genoux si l'envie me prenait, et le savoir me suffisait.
Les immenses hêtres de Compiègne m'entourèrent bientôt et je sus que j'étais arrivée à bon port. Nous étions au cœur de l'après-midi et les feuilles vertes ne parvenaient pas à arrêter la chaleur, même si celle-ci était plus supportable. J'avançai donc d'un bon pas pendant encore une demi-heure, me guidant à l'ouïe et aux odeurs puisque je ne savais pas quelle était la localisation précise de Samuel et des autres. Quand une brindille craqua sur ma gauche, je me figeai, le sourire aux lèvres.
- Tu ne me prendras pas par surprise, Sam, dis-je. C'est toujours moi qui gagne.
La haute silhouette du GEN aux cheveux blonds se découpa derrière un tronc, et, revolver en main, il s'avança. Ses yeux sombres luisaient d'amusement sous ses longs cils.
- Etes-vous bien certaine de ne pas vous être trompée de chemin, madame ? interrogea-t-il. Avec une tenue pareille...
- Tu sais ce qu'elle te dit, ma tenue ?
Samuel descendit d'un petit talus et se planta devant moi. Je me sentis heureuse de le voir, car tout semblait s'être bien passé pour lui. Pour bien lui montrer ma joie de le retrouver, je lui filai un grand coup dans les abdos, bien que sa combinaison de combat lui offrît une grosse protection. Il ne dut d'ailleurs rien sentir, malgré sa fausse grimace de douleur.
- Remballe ton arme, cowboy, ricanai-je, on a du pain sur la planche.
- Tu parles d'un accueil, pesta mon compagnon qui glissa le revolver dans l'étui prévu à cet effet sur sa cuisse. Même pas un petit bisou ?
- Pour l'amour du ciel, Samuel Pidet, si tu voulais une petite copine qui te colle comme une sangsue et se pâme devant toi, je crois que tu t'es trompé de porte !
Je pris les devants, prête à m'enfoncer encore dans la forêt de Compiègne, mais la main de Samuel me retint et il me retourna vers lui pour m'embrasser. Je lui rendis son étreinte et le regardai quelques secondes dans les yeux.
- Non, murmura-t-il. Je ne me suis pas trompé du tout.
- Tant mieux.
Oui, bon, je vous l'accorde, la circonstance aurait probablement voulu que je réponde autre-chose que « tant mieux », et que je trouve un truc plus romantique, mais rien ne me vint. C'était ça, être une GEN avec un cerveau câblé sur la raison et non sur les émotions. Du temps de mon existence humaine, j'avais aimé un garçon – dont je ne savais plus le nom, à présent – mais je ne me souvenais pas si j'étais alors si empotée avec mes sentiments. Sans doute pas, puisque je n'avais pas encore été façonnée par le sérum. Quoi qu'il en fût, cela n'avait pas d'importance, car je gardais assez bien en mémoire le fait que le type en question m'avait plaquée après s'être bien foutu de ma gueule, puisqu'il avait admis s'être servi de moi pour approcher la bombe du lycée, à savoir Victoire et son charme sans précédent....
- On y va, décrétai-je avant que Samuel ne trouve un autre prétexte pour me retenir ici. Tu sais où se trouve Pierre ?
Le GEN blond m'emboita le pas et nous gravîmes le talus pour nous engager entre les hêtres.
- Je l'ai laissé au campement pour faire ma ronde, dit-il. Les Soldats Noirs se relaient pour assurer l'imperméabilité du périmètre, mais nous avons décidé de vérifier par nous-même de temps en temps, et là, c'était mon tour.
- Ça se passe bien, avec lui ?
J'observai Samuel du coin de l'œil en posant cette question. Pierre Greggor était passé lieutenant de l'Armée Noire en un rien de temps, mais j'avais assez d'arguments pour me fier à lui. Cela ne voulait pourtant pas dire que le GEN blond était du même avis.
- Mouais, on peut dire ça, opina mollement mon ami. Il ne parle pas beaucoup, mais il fait ce qu'on lui demande. On est loin de Tribal le boute-en-train.
Ses mots me serrèrent le ventre et Samuel lui-même se racla la gorge en se rendant compte de ce qu'il venait de dire. De Tribal, il ne nous restait que le souvenir, parce qu'il ne reviendrait plus amuser la galerie avec ses blagues à deux balles. Moi, je savais qu'il nous avait aussi laissé un cadeau au chaud dans le ventre d'Amanda avant de mourir, mais ça, je n'étais pas encore décidée à le révéler à Samuel. Trop dangereux, trop secret.
- On approche, annonça le GEN blond pour rompre la tension. Il y a un espace dégagé un peu plus loin, et on s'est établis là-bas. En plus, la zone offre une bonne vue sur tout ce qui pourrait approcher du campement. Jusqu'ici, on n'a pas eu de mal à éloigner les touristes, parce qu'un éboulement à étrangement coupé le sentier des deux côtés...
En effet, nous redescendîmes dans une sorte de cuvette formée par le dénivelé et je découvris les tentes de mes hommes plantées dans une clairière, soigneusement alignées. Le centre du camp était démarqué par les caisses de matériel et des chaises pliantes éparpillées çà et là. Avec les vêtements accrochés aux branches ou à des fils tendus, l'endroit ressemblait à un camping de fortune et cela me donna envie de sourire. GEN ou pas GEN, nous n'avions pas de meilleure méthode pour nous organiser au milieu de la forêt que les humains, à ceci près que l'absence de douche nous posait moins problème.
Nous traversâmes donc la flopée de tentes dressées autour de nous. Les Soldats se redressaient en hâte à ma vue pour me saluer, puis se remettaient à leur tâche, conditionnés par la puce électronique implantées pour contrôler leurs esprits. Je leur adressai de brefs signes de tête mais cela n'alla pas plus loin. Depuis que certains d'entre eux avaient trahi et tué Tribal, j'étais beaucoup moins encline à plaindre leur condition. Certes, ils n'avaient pratiquement pas de libre arbitre en temps normal, mais il avait été possible à Tina et sa bande de se défaire de cette influence.
- Salut Pierre, lançai-je au GEN de dos, debout près d'une malle d'armement.
- Commandante, répondit celui-ci aussi sec en lâchant ce qu'il tenait pour se mettre au garde à vous.
- Détends-toi, Pierre, souris-je. Tu n'es pas obligé d'être aussi formel.
L'autre hocha la tête sans grande conviction, et je détournai le regard. L'admiration que me vouait ce GEN que j'avais libéré du contrôle mental me semblait déplacée. Je ne l'avais pas fait pour qu'il se conduise encore comme l'un de ces moutons lobotomisés qui m'obéissaient au doigt et à l'œil. Mais comme il ne l'entendait pas de cette oreille, je devais bien faire avec.
- Je viens vous exposer la suite des opération, repris-je, mais avant ça, il faut que je me change.
- Il y a un sac avec tes affaires dans ma tente, m'informa Samuel. La dernière tout au bout.
- Merci. Je reviens tout de suite.
Je m'éloignai de mes deux lieutenants pour pénétrer dans la tente de mon compagnon. Son sac de couchage était plié dans sa housse, ses vêtements rangés dans le gros sac de randonné posé près de l'entrée. Samuel, comme moi avec Allan, avait appris à être prêt à quitter tout endroit en un temps record et sans laisser de traces.
La pensée de mon ancien mentor me fit vérifier l'heure et je soupirai, sentant à nouveau la crainte m'étreindre. Si quelqu'un d'autre que lui découvrait le portable destiné à contacter l'ennemi... Mais il ne servait à rien de se lamenter. Les choses étaient ce qu'elles étaient, point final. Depuis l'instant où j'avais accepté de rester l'élève d'Allan et de devenir ce que le directeur attendait de moi, je savais que ce jour arriverait. Si j'avais renoncé à la perspective de tourner le dos à l'Institut, mon existence aurait perdu le sens que je lui avais donné, et je n'aurais plus eu qu'à embrasser la cause GEN, et laisser mon côté monstrueux prendre le dessus. Pour l'heure, je devais me concentrer sur mes ordres, et ne pas faiblir.
Je fouillai dans le sac de Samuel et en tirai rapidement un débardeur noir, un pantalon souple et la veste de cuir renforcée que je portais au combat, parfois accompagnée d'une armure légère. Je m'habillai sans attendre et ressortis de la tente, les cheveux noués en tresse pour plus de praticité.
Une fois assise près des garçons, qui, en m'attendant, avaient sorti de quoi manger, je m'emparai d'une assiette et les dévisageai l'un après l'autre.
- Alors, c'est quoi le topo ? m'encouragea Samuel, la bouche pleine de saucisson.
- Le directeur Marx a rencontré le président français, histoire de lui filer la trouille et de nous faciliter les choses, commençai-je.
- Il n'a pas accepté de capituler pour limiter les pertes de ses citoyens ? interrogea Pierre.
- Capituler ? répétai-je. Pour l'instant, les humains croient avoir à faire à des actes de terrorisme isolés, pourquoi devraient-ils se rendre ? Il faut un acte de guerre pour cela, et une déclaration de la part de notre communauté.
Je pris un gobelet d'eau et me rinçai le gosier avant de poursuivre.
- Demain matin, le docteur Malcolm nous renverra une partie des troupes de l'Armée Noire qui auront réussi et terminé les tests relatifs à la puce, et les Soldats qui sont encore ici retourneront aux Laboratoires Bollart. Quant à nous, nous passerons à l'attaque.
- Quelle est la cible ? voulut savoir Samuel, les sourcils plissés.
Je fourrai un gros bout de pain dans ma bouche. Pierre mâchait lentement, mais je lus une lueur inquiète au fond de ses pupilles.
- On va prendre d'assaut une école, dis-je enfin. Si on frappe les humains au cœur, ils seront affaiblis. Leurs enfants enlevés pour servir l'Institut et être transformés, les adultes tués, toute résistance réprimée. Le reste de l'Armée sera lâchée sur quelques villes dans les jours suivants, et une fois que les journalistes se seront mêlés du problème en diffusant des images dans tout le pays, la peur sera décuplée. Les humains ne résisteront pas longtemps.
Je me levai pour ouvrir une malle d'armement posée sur deux autres, et marquée du mot « GENESIS » en lettres rouges. J'en tirai un pistolet à silencieux, à la crosse transparente laissant voir un petit flacon à l'intérieur.
- C'est quoi, ça ? fit Samuel, bien que la réponse parût évidente.
- Ça, c'est ce que nous utiliserons si les forces de police humaine tentent de nous arrêter dans cette école. Un revolver à cartouche de sérum. Une seule utilisation, une seule injection. Et leurs enfants seront métamorphosés en mutant sous leur nez en une poignée de minutes.
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