Chapitre 2


Retour en arrière...


Réveillée par la sonnerie de mon portable, je tendis la main sous la couette, tâtai la place habituelle de Samuel dans le lit, et me souvint finalement qu'il n'était pas avec moi. Je grimaçai, les yeux fermés, au contact du drap lisse et froid, avant de rouler sur le dos pour m'étirer. Ensuite, seulement, je soulevai les paupières et observa le plafond blanc dans la douce lumière du jour.

Il était sept heures du matin, mais le soleil s'était levé bien plus tôt que cela, en ce mois de juillet. Je m'assis sur le matelas ferme et épais, repoussant les couvertures, et me dirigeai sans attendre vers la salle de bain attenante. La chambre d'hôtel bénéficiait de tout le confort, et j'avais déjà testé les jets massant la veille.

Devant le miroir, j'enfilai rapidement un pantalon slim couleur corail, un chemisier blanc sans manche au tissu fluide, et avisai mes escarpins posés au pied du lit. En dépit de la chaleur ambiante en ce mois de juin caniculaire, une tenue correcte était de mise pour le rendez-vous auquel je devais assister dans la matinée. Je peignai ma crinière sombre à l'aide de mes doigts tout en regardant mon reflet droit dans les yeux.

L'avantage d'être une GEN, c'était que j'étais dispensée des petits tracas matinaux des humains – à savoir les yeux pochés, le teint blafard, les cheveux tous droits sur la tête et l'haleine douteuse. A moins de sauter la case du lavage des dents pendant toute une semaine et de manger matin-midi-soir une gousse d'ail et du fromage malodorant, il était presque impossible pour l'un des miens d'incommoder quelqu'un en ouvrant la bouche... Mais tout ceci n'avait pas d'importance, car je ne me souvenais de toute manière pratiquement plus de ce qu'était être humaine. J'étais désormais incapable de me projeter dans cet ancien corps, de me rappeler ce que j'avais ressenti dans cette autre vie, si lointaine et si floue. M'emparant d'un élastique sur le rebord du lavabo, je chassai mes pensées et commençait à tresser mes cheveux sur mon épaule droite.

On frappa à la porte et j'autorisai la personne à entrer sans même tourner la tête.

- Salut, Allan. Déjà levé ? m'enquis-je sans interrompre ma tâche.

Mon ex-mentor s'appuya nonchalamment contre la chambranle de la salle de bain et je scrutai son visage, moqueuse.

- Dis donc, tu as fini par apprendre à tailler ta barbe, ou je rêve ? Il était temps, à ton âge !

Allan, vêtu d'un jean près du corps, d'une chemise à carreaux et d'une veste de costume noire, s'autorisa un de ses rares sourires qui illumina ses yeux glacés. A la fois décontracté et incroyablement élégant, il me tourna le dos pour aller s'asseoir sur mon lit, comme si ma pique ne l'atteignait pas.

- Je trouve que tu as la langue bien pendue, ces derniers temps, commenta-t-il.

- Ça, fis-je avec fatalité, c'est depuis que j'ai accepté de te tutoyer. Il fallait penser aux conséquences avant de me demander de le faire.

- Si j'avais su...

Je ris et attachai à mon poignet une montre sobre, décidant que je n'avais pas besoin de me maquiller. Ajouter encore à mon charisme naturel n'était pas spécialement une bonne idée si je ne voulais pas voir mes futurs interlocuteurs se transformer en chiens dégoulinants de bave devant moi – s'ils ne s'évanouissaient pas. Cela fait, je retournai dans la chambre pour récupérer mes chaussures.

La pièce était carrée, relativement grande et tout confort. Meublée d'un lit XXL, d'une armoire et d'une table de nuit en bois clair, elle était agréable et lumineuse, agrémentée de rideaux en voile léger. Des lattes de parquet et un gros tapis près du lit complétaient l'ensemble, en plus de la porte-fenêtre donnant sur un balcon. Je rabattis vivement la couette, histoire de dire que j'avais fait mon lit.

- Tu as eu des nouvelles de Samuel ? demanda Allan.

Je remarquai la mallette grise posé à ses pieds, mais n'en parlai pas puisque je savais parfaitement ce qu'elle contenait.

- Marx ne veut pas qu'on communique avec l'Institut pendant les négociations avec le ministre, mais Sam m'a appelée hier avec la ligne sécurisée de Geb, avouai-je. Mis à part le fait qu'il se dispute vingt fois par jour avec Rick au sujet de l'éducation des recrues, il va bien.

- Tu es bien certaine que c'était la bonne solution, de charger cette andouille de l'instruction des nouveaux GEN et de le coller sur le dos de Samuel ?

Je marchai droit sur la fenêtre, tirai les rideaux puis rassemblai mes affaires dans mon sac à main. Allan n'avait peut-être pas tort, mais le choix de mes alliés pour s'occuper convenablement des Soldats Noirs avait été assez limité depuis que j'avais promis à Marx de relever le niveau. L'Ange Noir faisait peur, mais cela ne signifiait pas que personne n'avait envie de pourrir sa carrière, et c'était plutôt l'inverse. Je me méfiais des autres comme de la peste, et avec raison.

- Une promesse est une promesse, soupirai-je, et j'ai assuré à Rick qu'il retrouverait des fonctions plus importantes s'il travaillait pour moi. Pour le reste, c'était Samuel ou Tribal, et si j'avais demandé à Tribal...

- Oui, lui et Rick se seraient déjà entretués, s'amusa mon ancien mentor.

- Voilà. Samuel est plus posé que lui, et il sait rester ferme. Rick a reçu des ordres sur les tortures, histoire qu'il ne nous invente pas une méthode d'entrainement visant à pendre les recrues au plafond avec des électrochocs, mais je préfère qu'une autre personne soit avec lui.

- Et lorsque Samuel devra te rejoindre pour conduire l'Armée ?

Je refusai de croiser son regard, rendue nerveuse par cette perspective.

- Stone prendra la suite. Mais on n'en est pas encore là. A quelle heure monsieur Tom doit-il arriver ?

- Dans cinq minutes. On ferait mieux de descendre.

Je fus reconnaissante à Allan de ne pas relever mon changement de sujet, et lui emboîtai le pas hors de la chambre. Il tenait fermement sa mallette, renfermant l'élément le plus important de notre rendez-vous avec le maire de Paris.

Marx avait organisé la rencontre, après plusieurs entretiens avec lui, et les choses semblaient se profiler assez bien, car ce maire était lui-même proche du ministre français de la santé. Après un remaniement ministériel tout à fait inattendu, le président avait changé le ministre en charge de ce secteur, bouleversant les plans de Marx qui en avait finalement tiré profit. Il avait en effet déjà noué contact avec l'ancien ministre, cependant, le nouveau était très ouvert à des formes de médecine et de science plus obscures. Le maire de Paris, Paul Duquesne, était une étape avant de nous adresser directement au ministre, et étant lui-même touché par la maladie, du fait de sa fille victime d'une maladie osseuse dégénérative, il était très intéressé par ce que la mutation proposait, à savoir la guérison. Avec un peu de chance, il intercéderait en notre faveur auprès du ministre, et les choses n'en seraient que plus facile.

Enfin, cela n'était que le scénario idéal, et rien ne disait qu'il se déroulerait comme prévu.

Nous quittâmes la chambre dont je fermai la porte avec soin, puis nous parcourûmes le couloir au sol de moquette jusqu'à l'ascenseur. Le hall, au rez-de-chaussée, était calme à cette heure matinale, ce qui nous évita d'attirer l'attention sur nous. Marx logeait lui-même dans un autre hôtel entre deux rendez-vous, car deux GEN au même endroit pour des humains un peu suspicieux à propos de notre apparence, c'était déjà suffisant. Nous sortîmes ensuite dans l'air d'été, à peine adouci par une brise, et nous engouffrâmes dans la grosse Audi garée devant l'entrée de l'hôtel.

- Monsieur Tom, indiqua le conducteur, transport de personnes particulières vers des lieux particuliers, à votre service.

Je m'abstins de lui signifier que, merci, nous savions qui il était pour avoir fait appel à lui des dizaines de fois et levai légèrement les yeux au ciel. Le curieux personnage aux iris délavés et aux sourcils inexistants me rendit mon regard dans le rétroviseur et esquissa un sourire étrange. Ses services s'avéraient plus que pratiques, cependant il me filait la chair de poule à chaque fois que je le voyais. La première fois qu'il m'avait emmenée seule quelque part, je m'étais fait tirer dessus et avais failli en mourir, peut-être mon appréhension venait-elle de là.

- Monsieur Alexander, madame Bellazza, ravi de vous revoir.

- Merci, Tom, dit Allan qui coupa court à ses paroles mielleuses en lui remettant un morceau de papier. Voici l'adresse, nous sommes attendus.

Le chauffeur s'en empara, mémorisa les quelques lignes et mit la voiture en branle. Je ne voyais pas grand-chose de son visage, mais devinai à ses mains quelque peu crispées sur le volant, qu'il n'avait pas apprécié l'intervention du GEN brun. Monsieur Tom aimait en apprendre le plus possible sur ses clients, car des informations pouvaient parfois se monnayer plus cher qu'une simple course. Il se servait des noms sous lesquels nous avions bien voulu nous présenter à notre rencontre avec lui, et s'il se doutait fortement de mon lien plus qu'étroit avec l'Ange Noir, il rêvait sûrement d'en savoir davantage.

Alors que nous prenions un peu de vitesse pour sortir du centre-ville de Paris, je me tournai vers la fenêtre pour laisser vagabonder mes pensées. L'Audi de monsieur Tom n'était pas le lieu le plus approprié pour converser avec Allan.

Neuf mois avaient passé depuis ma nomination au poste de commandante de l'Armée de Marx, et ce dernier s'était lancé dans une campagne visant à rallier un maximum d'humains haut-placés à sa cause. Je me chargeais pour ma part de la formation des Soldats et des nouvelles recrues arrivées deux mois plus tôt, suite à une nouvelle Chasse. J'avais informé le directeur qu'il était risqué d'enlever de jeunes humains alors qu'il tentait de nous faire passer pour les gentils, mais il avait tenu à le faire, aussi discrètement que possible et seulement à l'aide de ses meilleurs agents, ceci dans le but de gonfler nos rangs. Ma tâche ne s'arrêtait pas à cela, puisque je devais aussi m'impliquer dans les rencontres avec d'importantes personnalités, et apparaître aux côtés de Marx ou d'Irina Malcolm aux yeux de tous. C'était une stratégie plutôt sournoise, car si les choses viraient à l'affrontement avec ceux de ma race, les Hommes auraient un visage – le mien – à donner à leur ennemi, le fameux Ange Noir qui sévissait déjà en solo. Pour m'aider à la tête de l'Armée, j'avais gardé Samuel et Tribal, ainsi qu'Amanda qui nous servait de pilote lors des entraînements de terrain, et, bien malgré moi, l'ancien chef de la sécurité Richard Simon. Il se pliait à mes exigences encore plus facilement dans la mesure où il avait été nommé instructeur en chef des recrues de l'Armée Noire, et quand il était question d'obtenir du pouvoir, cela lui parlait immédiatement. Quant à Allan, j'avais bien vite compris que gérer le troupeau de moutons qu'était l'Armée ne lui convenait pas. Après avoir décliné la place de chef de la sécurité vacante à la suite de l'éviction de Svenson, il avait intégré le corps de garde rapprochée de Marx, qui se faisait accompagner d'un Elite à chaque déplacement. Pour ma part, cela m'aurait dégoûtée de suivre partout le fou qui nous dirigeait, mais être proche de notre bon directeur et de ses machinations ne pouvait pas nous nuire...

Le véhicule ralentit subitement et me tira de ma rêverie. Monsieur Tom se gara devant un portail blanc en fer forgé et j'observai les alentours. Nous étions arrivés dans la maison de campagne de Paul Duquesne, maire de Paris.


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