Chapitre 15
La porte principale du bâtiment donnait directement sur une pièce unique, rectangulaire et presque en totalité vitrée. Je fis quelques pas, balayant du regard les plans de travail, le matériel dernier cri et les écrans lumineux appartenant à ce qui s'avérait être un laboratoire à la pointe de la technologie GEN.
Irina Malcolm était là, de dos, comme à l'ordinaire vêtue d'une blouse blanche, et les cheveux tressés sur son épaule. C'était la seule personne vivante à occuper l'endroit, qui pourtant grouillait d'activité. Autour d'elle s'affairait en effet une multitude de machines blanches, tout droit sorties de la Guerre des Etoiles.
- Des robots, lançai-je à haute-voix en guise de salutation. Si cela continue, les GEN eux-mêmes seront déclarés obsolètes, n'est-ce pas ?
La doctoresse ne se retourna pas et se contenta de repositionner l'échantillon placé sous un microscope devant elle. Les petits robots blancs, composés d'un corps sphérique capable de rouler dans tous les sens pour se déplacer, et munis d'une tête de la même forme surmontée de lumières, continuèrent à œuvre dans le laboratoire, indifférents à mon entrée. L'un d'eux stoppa devant un plan de travail en hauteur, et je vis sa tête se soulever sur un bras articulé pour se mettre au niveau des outils placés là. Il émit une série de bips qui déclenchèrent le fonctionnement d'une centrifugeuse remplie de tubes de sang.
J'arrachai mon regard à ce spectacle et rejoignit le docteur Malcolm.
- Ne vous inquiétez pas à tort, agent Deveille, sourit cette dernière. Nous ne commettrons pas les mêmes erreurs que les humains, qui au fil du temps ont toujours créé eux-mêmes les plus grandes menaces qui ont pesé sur eux et n'en ont jamais rien appris. Les GEN ne sont pas destinés à être remplacés par des machines, et contrairement à nos créateurs, nous contrôlons ce que nous fabriquons.
Elle releva la tête et fit glisser ses doigts sur sa tablette de travail. Une immense projection d'un visage en trois dimensions se déploya.
- N.I.A, j'ai quelque chose à montrer à l'agent Deveille, décréta Irina. Termine ces analyses et commence la comparaison.
- Oui, docteur Malcolm.
- Intéressant, commentai-je. Vous avez jugé bon de donner une forme à notre intelligence artificielle.
- Un petit plaisir personnel, ricana la scientifique. Nos nouveaux jouets me le permettaient, pourquoi ne pas en profiter ? Bien, maintenant, venez avec moi. Je pensais que vous arriveriez plus tôt.
Je fixai encore les traits empreints de perfection de N.I.A, une femme au visage lisse et aux cheveux tirés en chignon strict. Finalement, je préférais n'entendre que sa voix, plutôt que d'affronter ce regard impersonnel. Puis, j'emboîtai le pas à Irina qui filait déjà vers l'ascenseur.
- J'aurais pu mettre moins de temps à venir si j'avais été avertie de ma destination en temps voulu, expliquai-je en prenant place dans la cabine.
- Peu importe, cela ne change rien, éluda la GEN. Montons, à présent. Cela vous changera des sous-sols de l'Institut.
L'ascenseur se referma et s'éleva rapidement. J'attendais assez impatiemment de savoir pourquoi j'étais ici, tout en redoutant les plans de Marx, et sortis la première quand la porte s'ouvrit à l'étage supérieur.
- Dites-moi, Irina, les Laboratoires sont-ils destinés à devenir le nouveau quartier général des GEN ?
- Celui de l'Armée, oui, acquiesça-t-elle. Et c'est également ici que nous transformerons les futurs GEN, quand l'heure sera venue de prendre l'avantage sur les humains. Mais je pense que l'Institut gardera son importance. Après tout, c'est là que tous nos agents vivent.
J'étais dans un couloir, long, large, et plongé dans la pénombre. Le mur de gauche était percé de fenêtres en verre tinté par lesquelles je vis la cour faiblement éclairée par la lune. Quant au droit, il miroitait légèrement, et attisa ma curiosité.
- Plutôt que de vous faire de grands discours sur ce qui se trouve ici, voyez par vous-même, décida la doctoresse.
Elle se tenait toujours près de la cabine et claqua dans ses mains, allumant brusquement la lumière. Sans prévenir, je me retrouvai devant une dizaine de renfoncements, sans la moindre grille pour me séparer de ceux qui se trouvaient assis à l'intérieur et que je n'eus aucun mal à reconnaître. Des Déformés.
J'ouvris la bouche pour protester, mais renonçai aussitôt à la vue d'un petit filament de lumière jaune crépitante et visible près du sol, de chaque côté des renfoncements. Un champ de force magnétique retenait les occupants qui ne pouvaient pas m'atteindre.
Mais ce n'était pas tant le fait qu'ils aient été déplacés ici qui me sidérait. Tout résidait dans leur attitude, dans leur absence d'agressivité, de tocs et de bruits incongrus. Chacun d'eux était très calme, le regard lucide et clair. Seul un cercle noir ceint sur leur front me fit comprendre que leur état n'était pas naturel, mais que le docteur Malcolm avait trouvé un moyen de les rendre dociles.
- Je vous présente notre nouveau programme de réhabilitation des Déformés, annonça gaiement Irina.
Je ne dis rien, stupéfaite intérieurement même si je ne le montrais pas. Les fous furieux de la zone des Déformés, sous contrôle ? Vraiment ?
Je parcouru le couloir sur toute sa longueur, passai devant un renfoncement abritant Nina Duquesne qui ne broncha pas, et m'arrêtai devant l'avant dernière cellule. Le nez à un centimètre du champ de force, je m'adressai à une femme assise là.
- Yasmine ? fis-je. Tu m'entends ?
Du coin de l'œil, je vis Irina sourire jusqu'aux oreilles, ce que je n'avais jamais vu sur son visage avant et qui avait quelque chose de très inquiétant. Mon ventre se tordit violemment. La Déformée opina, sans émettre le moindre son. Lors de mes précédentes visites dans les sous-sols de l'Institut, elle imitait sans cesse le cri d'un chien et se collait aux barreaux.
- Oui, Luna, murmura-t-elle avec une élocution tout à fait audible.
- Comment tu te sens ?
- Bien. Mieux que jamais, même.
Je hochai la tête, immobile devant elle. Ses cheveux avaient retrouvé un certain éclat, même si son corps était toujours abîmé et bosselé par la mutation ratée qu'elle avait subie. Je me tournai vers Irina, attendant qu'elle me donne le fin mot de l'histoire.
- Nous avons trouvé le bon dosage d'ondes sommeils, agent Deveille. Diffusées continuellement par le cercle électronique qu'ils portent, elles mettent leur cerveau au repos, en quelque sorte.
La Doctoresse rejeta sa tresse en arrière et vint se placer à côté de moi. Ses yeux brillaient de satisfaction.
- En revanche, reprit-elle, si l'on cesse de les administrer...
La GEN sortie de sa poche une télécommande transparente sur laquelle elle enfonça un bouton. Le cercle sur le front de Yasmine cessa de clignoter, et ses yeux se plissèrent. Il y eut un instant de silence, puis elle se leva, et la crise explosa.
Un hurlement animal franchit les lèvres de la femme qui se jeta de toutes de forces contre le champ de force, le visage congestionné de fureur. Elle se mit à frapper, et déchira ses vêtements, un filet de bave aux lèvres, des vaisseaux sanguins éclatés dans les yeux. Elle cogna, encore et encore, la surface invisible qui la séparait de nous, griffa sa peau de ses ongles jusqu'au sang. Lorsqu'elle sauta une nouvelle fois contre un mur, j'entendis le craquement sec de son poignet et elle s'affaissa en grondant, à peine atteinte par la douleur.
- Je suppose que cela vous suffit, dit aimablement Irina.
Elle agita sa télécommande avec un petit rire et l'actionna une seconde fois. Yasmine se figea immédiatement, le souffle court, et regarda lentement autour d'elle. En silence, elle se drapa dans ce qui lui restait de vêtements et de dignité, et se détourna.
- Très bien, lâchai-je, vous les contrôlez. Et après ? Je ne vois pas l'utilité de déchaîner leur violence, dans la mesure où ils ne reconnaissent personne dans ces cas-là. Sur un champ de bataille, ce serait un massacre y compris pour les nôtres.
- Je vous rassure tout de suite, m'apaisa Irina, on ne les intégrera pas à l'Armée Noire. L'objectif est plutôt de se servir d'eux comme de bombes à retardement, dans le camp ennemi. C'est l'incident avec Nina Duquesne qui m'a donné cette idée. Sans notre intervention, elle aurait tué tout le monde, même son père.
- Chez l'ennemi, répétai-je d'un air pensif. Et comment introduirez-vous l'un de ces monstres parmi les humains ?
- Le directeur ne m'a pas encore donné tous les détails, mais il pense parvenir à approcher les Revenants, par le biais de l'un de ses agents en mission d'infiltration à la vie humaine. Disons que ce projet est encore à l'étude, agent Deveille, mais qu'une fois l'arme mise au point, il est facile de lui trouver une utilité.
- Je vois.
Une bile acide remonta dans ma gorge. Marx, en contact avec les Revenants, alors que ceux-ci ne s'étaient pas manifestés depuis des mois, à l'exception de leur piratage de la puce électronique ?
Je refoulai la question visant à connaître l'identité de l'agent infiltré en question. Cela aurait éveillé l'attention de la doctoresse.
- Qu'attendiez-vous de moi, en me demandant de rentrer ? demandai-je à la place.
- Le directeur Marx désire votre opinion sur ce projet. Vous possédez une intelligence brillante, agent Deveille, mais vous êtes avant tout une combattante et vous connaissez les enjeux du terrain. Il aimerait que vous fassiez un rapport concernant cette réhabilitation des Déformés, que vous étudiez les risques que vous voyez à nous servir d'eux.
- Je ne peux pas vous exposer mon point de vue dans l'immédiat, docteur. Il faut que je réfléchisse à tout cela.
- Prenez votre temps, vous êtes de toute façon dans les parages pour le Jour de l'Arène, non ?
Bon sang, elle n'allait pas s'y mettre, avec son Jour de l'Arène, elle-aussi ! Je confirmai malgré tout ses paroles.
- Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le voulez, annonça-t-elle, je vais retourner à mes occupations. Vous devriez monter à l'étage supérieur, cela vous permettra de visiter le reste de nos installations, et quelqu'un vous y attend.
- Qui ça ?
La femme s'éloigna, sa tresse brune dansant dans son dos, comme si elle ne m'avait pas entendue. Je demeurai immobile près de la cellule de Yasmine qui, je l'aurais juré, pleurait sans bruit.
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