Chapitre 14


J'insérai la carte dans le boitier prévu à cet effet tout en regardant autour de moi pour vérifier que le couloir était désert, puis entrai en coup de vent dans la chambre d'Allan.

Le silence envahit mes oreilles comme un baume bienfaisant qui me donna la possibilité de réfléchir encore plus vite que d'ordinaire à tout ce que je venais d'entendre, tout en agissant rapidement.

Marx me renvoyait à l'Institut dans un but bien précis, et ce n'étais pas franchement pour me déplaire dans la mesure où je pourrais ainsi parler à Amanda – pour peu qu'elle ne fût elle-même pas à l'autre bout du globe pour une mission. Je ne savais rien des motivations du directeur, mais ce qui me gênait le plus, c'était de ne pas être près de lui pour la suite des évènements. Il ne me serait plus permis d'intervenir en cas de revirement, de tenter de convaincre Marx de changer de plan, bref, de le manipuler tout en lui faisant croire qu'il avait l'avantage. Si, en mon absence, une réaction du gouvernement entrainait l'ordre de lâcher l'Armée à nouveau, Samuel devrait obtempérer, point final. Mais en attendant, je ne pouvais faire machine arrière, et devais me contenter d'attendre de rentrer à l'Institut pour en savoir plus.

Dans la pièce claire et à l'air climatisé agréablement frais, je me ruai sur la valise de mon ex-mentor et l'ouvrit. Ses affaires étaient soigneusement pliées, presque comme s'il n'avait pas ouvert ses bagages depuis qu'il logeait à l'hôtel. D'ailleurs si on ne faisait pas attention à ce sac, on en venait à se demander si quelqu'un occupait bien la chambre, du fait du lit parfaitement bordé et de l'absence d'effets personnels. Toujours être prêt à quitter un endroit en laissant le moins de trace possible, voilà qui faisait partie des règles appliquées par Allan, règles qu'il m'avait transmises.

Je ne fouillai pas ses vêtements, récupérant juste une chemise, et inclinai la valise pour suivre la couture du regard. Un mince fil s'en échappait, comme si le zip était quelque peu usé et je tirai lentement dessus. Le tissu craqua et je finis par ouvrir une poche à double fond, mince de quelques centimètres et très bien dissimulée. Je glissai les doigts dedans et en retirai une pochette plastique. Dedans, je trouvai un permis de conduire, un passeport avec un faux nom, un téléphone portable à carte jetable et un peu d'argent liquide. Une aiguille et quelques centimètres de fil épais complétaient le tout. J'enfilai en vitesse ce dernier sur l'aiguille et masquai la fente du sac de mon mieux.

Ce protocole, c'était Allan qui avait désiré le mettre en place dès mes premières missions de terrain, alors que je n'étais qu'une recrue, et nous l'avions conservé ensuite. Lorsqu'une opération nous séparait, et que nous devions œuvrer en parallèle, l'un disposait toujours d'un moyen de faire fuir l'autre le plus vite possible en toute discrétion. Cela pouvait aussi bien servir en cas d'évènement imprévu au cours d'une mission ratée qu'en cas de nécessité de quitter l'Institut, un jour. C'était, en quelque sorte, un moyen de veiller l'un sur l'autre.

Après quoi, je me redressai et entrai dans la salle de bain, où j'allumai le jet de la douche non sans avoir jeté l'aiguille dans le trou d'évacuation. Pour plus de sûreté, j'ouvris également le robinet du lavabo, ce qui généra un plus grand bruit, et m'appliquai à allumer le portable. Je composai une suite de chiffre et de lettres constituant un code et appuyai sur la touche d'appel.

- Agent Samuel Pidet, me répondit la voix grave de mon compagnon.

De son côté, l'appareil lui avait certainement affiché qu'il s'agissait d'un contact de l'Institut, mais puisqu'il ignorait de qui il venait précisément, il se présentait de manière formelle.

- Sam, c'est moi, fis-je en m'adossant au lavabo.

- Luna ? C'est quoi ce bruit autour de toi, je t'entends à peine ?

- Une précaution, souris-je bien qu'il ne pût voir mon visage. Tout va bien ?

Je scrutai les angles de mur sans y trouver de trace de micros, mais rien ne me disait que Marx ou une autre personne ne surveillait pas les appartements d'Allan. L'eau martelant le carrelage brouillerait au moins un peu les sons.

- Ouais, on est callés dans la planque, et tout le monde se tient à carreaux. Où est-ce que tu es ?

- A l'hôtel de Marx. Il m'a demandé de faire quelque chose pour lui, mais je ne sais pas trop quoi, et je ne vais pas te rejoindre tout de suite. Tu es commandant par intérim, Sam, ricanai-je.

- Génial, crachota la voix du GEN blond que j'imaginai avec une moue boudeuse. Quels sont les ordres ?

- Normalement, Marx ne cherchera pas à te contacter, vous allez rester discrets et attendre. Il veut voir ce que les humains diront une fois le lien fait entre les attentats et le programme GENESIS. Pour l'instant, nous ne disposons pas de toutes les troupes nécessaires pour prendre les écoles pour cible, donc on suspend l'opération.

Samuel poussa un long soupir qui fit siffler le téléphone :

- Eh ben dis donc, tu as l'air bien au courant de ses plans machiavéliques, hein ?

Son commentaire me fit l'effet d'une douche froide et je m'écartai de l'appareil, pour enfiler la chemise d'un geste sec.

- Ouais, c'est moi qui ait eu toutes ces idées, en fait, cinglai-je. Ça te pose un problème ?

Peut-être n'avais-je pas lieu de me vexer pour si peu, mais sa remarque ne me plaisait pas. Les atrocités qui seraient perpétrées dans un futur proche chez les humains, et tout ce que l'Armée avait fait avant, c'était moi qui l'avait décidé, oui et alors ? Il savait très bien ce que ma position auprès de Marx impliquait, non ?

Je serrai les mâchoires.

Depuis trois années d'existence dans ma peau de GEN, j'étais perpétuellement en situation d'instabilité, même vis-à-vis de mes amis, car hormis Allan avec lequel je pouvais parler de tout, je ne pouvais me permettre de leur demander ouvertement s'ils étaient pour de vrai du côté de Marx, et s'ils adhéraient à ses idées de domination de notre race. C'était trop risqué pour moi et pour mes proches, car si Marx apprenait que je ne partageais pas du tout ses idéologies et que me ferais la malle à la moindre occasion qui ne mettrait pas ma famille en danger, les représailles seraient terribles, et je perdrais tout. Mais depuis que Sam était devenu plus que mon meilleur ami, je trouvais difficile de ne pouvoir lui parler franchement, et me demandais en permanence quel camp il choisirait le moment venu. Cette incapacité à lui faire confiance me mettait mal à l'aise.

- Luna ?

- Oui, quoi ?

- Tribal n'est pas avec toi.

Je me radoucis. C'était une affirmation, pas une question, ce qui voulait dire qu'il savait. Mon estomac se contracta en repensant à notre ami, brûlé et abandonné dans les catacombes. Immobile dans la vapeur qui envahissait la salle de bain, je répondis :

- Non, Sam. Je suis désolée.

Il y eut un silence, durant lequel je songeai à la peine qu'il devait avoir. Il avait connu Tribal bien avant moi, et tous deux s'entendaient comme larrons. Je m'en voulus pour mon agressivité.

- Si tu rentres à l'Institut, il va falloir que tu préviennes Amanda, lâcha enfin le GEN blond.

- Oui, je sais. De toute façon, il vaut mieux qu'elle l'apprenne par moi que par les bruits de couloir qui vont se répandre concernant la mission à Notre-Dame.

- Sans doute.

- Sois prudent, ajoutai-je. Je te rappelle dès que je peux, et préviens-moi si tu reçois des ordres. Et fais confiance à Pierre.

- Oui, maman.

La tension s'était envolée entre nous et je sentis la commissure de mes lèvres remonter.

- Fais la bise à Rick de ma part, conclut-il sur le ton de la plaisanterie. A plus, bébé.

- Eh, mais depuis quand tu m'appelle comme ça ? protestai-je, hilare. Je suis ta commandante, mon pote.

- Mes respect, madame ! A plus, bébé ! brailla-t-il plus fort.

Il raccrocha et je restai un instant à contempler le combiné, puis secouai la tête. Il était temps de prendre la route et de découvrir ce que Marx voulait me montrer. Et, étrangement, je craignais le pire.


***


Après deux heures de trajet sur autoroute et la traversée d'un tout petit village, je reçus un appel d'Irina Malcolm m'indiquant que je devais la retrouver non pas à l'Institut mais aux Laboratoires Bollart, nouvelle base d'entrainement des recrues. Je pestai ouvertement – cela ma contraignais à faire demi-tour et à rebrousser chemin sur plusieurs kilomètres – puis effectuai presque un tour complet d'un rond-point et repris ma route. Heureusement qu'Allan avait fait le plein d'essence de la Golf que je lui avais emprunté.

La nuit était donc tombée quand je m'engageai dans le sentier chaotique menant aux Laboratoires. La localisation de cet ancien Q.G des GEN n'était pas la même que celle de l'Institut, mais le cadre y ressemblait franchement : un bâtiment perdu au milieu d'une forêt et difficilement accessible. Il y avait tellement d'ornières qu'un 4x4 aurait davantage été de mise dans ces circonstances. Lorsque j'arrivai à hauteur du portail, il s'ouvrit automatiquement et je pénétrai dans la cour.

L'endroit n'avait plus rien à voir avec le lieu sordide encore encombrés des cadavres du passé où j'avais conduit les recrues la première fois. Des murailles dignes de ce nom l'entourait, les bâtiments avaient été refaits à neuf, et une dalle lisse recouvrait le sol. Je me garai rapidement en songeant que le manoir de l'Institut donnait au moins un semblant d'impression de chaleur, contrairement à ici, et coupai le contact. Je jetai un coup d'œil par la fenêtre. Dehors, un peloton de GEN courrait, guidé par une silhouette au crâne rasé que je ne risquai pas de manquer : Richard Simon. Génial. J'avais en plus le droit à un comité d'accueil.

Je quittai l'habitacle en espérant ne pas avoir à rester trop longtemps aux Laboratoires et me dirigeai vers le groupe. Les GEN stoppèrent instantanément et se mirent au garde-à-vous.

- Gloire à la commandante ! scandèrent-ils d'une seule voix.

Ils demeurèrent figés, le regard vide sous l'influence de leur puce, et je les saluai d'un signe de tête.

- Repos, lâchai-je.

Cette adoration qu'ils me vouaient, contraints et forcés par la puce, me dégouttait, et je me tournai vivement vers Rick. Le GEN me sourit de toutes ses dents et s'avança, son tatouage de dragon se détachant sur la peau de sa tête malgré la pénombre.

- De retour, commandante ? fit-il.

- On dirait, répliquai-je, mais ça ne devrait pas durer. Ordre de Marx.

- Et tu en as profité pour venir voir comment ça se passait avec tes hommes ?

- Exact. J'espère pour toi qu'ils ne sont pas trop abîmés.

- Je ne fais qu'appliquer tes ordres, dit Rick d'un ton mielleux.

Je levai les yeux au ciel. En vérité, je n'étais pas là pour lui, mais s'il aimait le croire, c'était tant mieux. Je considérais en effet que ne plus être détestée par ce psychopathe sadique était une bonne chose, même s'il ne se pliait à ma volonté que par intérêt.

- Le docteur Malcom m'a parlé des tests à réaliser sur les puces, indiqua l'ancien chef de la sécurité. Ils débuteront demain.

- Bien. Tu n'as rien vu d'anormal ?

- Non. Mais le premier qui bouge, je lui fais sauter la cervelle.

- Tout en délicatesse, Rick, comme toujours.

Je croisai les bras sur ma poitrine et observai les Soldats Noirs. Tous fixaient un point invisible droit devant eux. Ce genre de vision me faisait clairement penser que j'avais eu de la chance de ne pas avoir été capturée quelques années plus tard et terminé mon existence en tant que mutante lobotomisée.

- Tu restes pour la session du Jour de l'Arène ? voulut brusquement savoir Rick. Tu joues le titre de Champion d'Arène, cette fois. Face à moi.

Et merde. Dire que j'avais oublié cet événement était un euphémisme, mais je pensais être encore sur le terrain lors de cette session et ainsi repousser l'échéance.

- Tu n'avais pas oublié, hein ? ricana-t-il.

- Bien sûr que non, Rick.

Je souris avec assurance et le défiai du regard. Le GEN au crâne rasé transpirait l'impatience de se retrouver face à moi dans l'Arène, et, sans prétention de ma part, je lui souhaitais bien du plaisir.

Le dernier Jour de l'Arène m'avais permis de prendre sa place en Très-Haute-Arène après qu'il eut lui-même battu l'ancien champion, un type dont je ne savais plus le nom. Il tenait le titre depuis des années et avait tellement peu accepté sa défaite qu'il avait refusé de d'affronter Allan ou moi pour récupérer une place en dessous de son fief. Cela m'avait au moins épargné le fait d'avoir à me battre contre Allan, mais je devais à présent détrôner Rick. En l'absence d'autres maîtres de Très-Haute-Arène puisque mon ancien mentor n'était pas là, les GEN de Haute-Arène auraient le droit de prétendre à mon titre si je gagnai contre l'ex-chef de la sécurité. Un sympathique programme en perspective, en somme.

- Ça fait des mois que j'attends ça, reprit Rick, une lueur malsaine dans le regard.

- C'est ça. Au moins tu seras psychologiquement prêt à mordre la poussière.

Nous échangeâmes un regard dans lequel Rick mit toute la rage qu'il avait de prouver sa valeur et de me vaincre, puis je me détournai tranquillement.

- Envoie-les dormir, ordonnai-je. Qu'ils soient en forme pour leurs analyses de demain.

Là-dessus, je le plantai au beau milieu de la cour et pénétrai dans le bâtiment le plus proche pour y retrouver Irina.

Dans quarante-huit heures, le Jour de l'Arène serait terminé. Je n'avais pas le droit à l'échec. Je devais être à la hauteur de la réputation que je m'étais forgée, et des particularités prêtées par mes gènes, en devenant Champion d'Arène. Rick allait en faire les frais.

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