Chapitre 9
Tari se gara en trombes à l'arrière du parking d'une petite station essence en bord de route et coupa le contact. La Peugeot l'imita, sans que ses occupants ne daignent en descendre.
- Allan, avec moi, fit le commandant. Les autres, restez à l'intérieur. En cas de complications, vous savez ce que vous avez à faire.
En effet, Caleb, l'agent Hubbel, l'agent Landit et moi-même devions assurer la sécurité des recrues pendant que les autres nous défendaient si les choses tournaient mal. Je plissai toutefois le nez, prête à soulever un élément qui me chiffonnait, mais Ravier me devança :
- Lionel, tu n'es pas sérieux, cet endroit est bourré d'humains !
- C'est vrai, appuyai-je.
C'était la première fois que j'entendais le prénom du commandant, mais ce dernier ne se laissa pas attendrir pas son ami. Il haussa les épaules avec un sourire carnassier.
- Ne vous en faites pas. Nous ne laisserons pas de témoins.
Loin de me rassurer, cette déclaration renforça mes craintes et je marmonnai dans ma barbe pendant que Tari et Allan descendaient. Je retournai immédiatement à l'arrière du bus et observai la scène.
Se faisant passer pour un conducteur et un professeur accompagnateur en quête de conseils sur la route à emprunter, Allan et le commandant s'adressèrent à une femme qui faisait le plein. A quelques mètres de là, deux hommes sortirent de la Peugeot et mon sang de fit qu'un tour. Il s'agissait d'un humain et d'un GEN qui s'adossèrent, l'air de rien, à la carrosserie de leur voiture. Alors qu'Allan remerciait la femme d'un charmant sourire, ils s'avancèrent vers eux. Je sentis la tension monter en moi, sans même entendre leur conversation et me raidis.
- Tenez-vous prêts, ordonnai-je à Ravier, debout près de la porte arrière du véhicule.
Depuis notre arrivée, j'avais évalué les possibilités de fuites – relativement maigres – qui s'offraient à nous, et, à moins de reprendre la route nationale en bus et de se sauver en abandonnant derrière nous Allan et Tari, il nous restait l'espèce de bois en bordure duquel nous nous trouvions.
- Prêts pour quoi ? demanda l'agent Landit, arquant ses parfaits sourcils clairs.
Le premier coup de feu fit sursauter Caleb, qui, décidément, ne brillait pas par son courage, et je dégainai mon arme.
- Pour ça, sifflai-je. Faites-les descendre, vite !
Nul ne discuta et Ravier s'empressa d'ouvrir la porte, mais aucune recrue ne réagit.
- Quelqu'un sait comment on les contrôle ? m'informai-je sans grand espoir de réponse positive, tout en m'avançant vers un jeune GEN immobile. Ohé, il faut so...
Ma phrase ne put franchir entièrement mes lèvres, bloquée par la main du jeune homme qui venait de me saisir à la gorge. Il me projeta violemment en arrière et me plaqua contre un siège. Sa force était incroyable, au moins aussi grande que la mienne et il me broyait littéralement le cou. Suffoquant, je le repoussai de mon mieux, mais il revint à la charge. Cette fois, il ne m'aurait pas !
Je le percutai du genou et emboutis son nez sans plus de cérémonie. Un peu sonné, il recula et se frotta les yeux, mais pour plus de précautions, je lui balançai à deux reprises mon poing dans la figure.
- Il faut sortir, articulai-je distinctement. Maintenant !
La recrue releva les yeux, toujours aussi inexpressive et se tourna vers la porte, imitée par les autres qui s'empressèrent de sortir. Les devançant pour ne pas nous faire piétiner, Hubbel et moi nous plaçâmes, accroupies, près d'une roue du bus, prêtes à protéger le groupe.
- Comment tu as fait ? me cria la compagne de Rick.
- Recalibration cognitive, dis-je d'un ton neutre. Helena et Caleb, prenez la tête du groupe et guidez-les plus loin !
Je reportai mon attention sur la fusillade qui avait pris de l'ampleur car deux autres GEN se cachaient dans la voiture de nos ennemis, et que des renforts arrivaient en 4x4. Allan tirait depuis un conteneur, à droite de la petite boutique de la station, et Tari prenait position à ses côtés.
Sans plus attendre je tirai, tout comme Anne-Lucie Hubbel. L'humain fut le premier à tomber, du fait de sa moindre résistance, et je vis Tari prendre une balle dans l'épaule sans faiblir. Derrière moi, les dernières recrues achevèrent de descendre et disparurent entre les arbres.
- Vas-y, lança Hubbel. Je te couvre.
Je m'élançai à la suite des recrues dans le sous-bois, puis Hubbel me rejoignit. Devant nous, le groupe courrait à toute allure, à présent décidé à obéir aux ordres. Je secouai malgré tout la tête à la vue de la piste évidente que nous laissions derrière nous – autant tenter de camoufler le passage d'un éléphant.
Soudain, Hubbel stoppa net, essoufflée.
- Attends, où est passé Ravier ? Il n'était pas avec nous ?
- Caleb et Helena sont devant, s'il n'a pas suivi, c'est qu'il est resté en arrière avec Tari et Allan.
Je me souvins pourtant l'avoir vu nous emboîter le pas. Un de nos poursuivants l'avait-il rattrapé ?
- Continue avec les autres, décidai-je, je vais le chercher. Si besoin, je pourrai aussi prêter main forte au commandant.
Je repartis donc en sens inverse, peu ravie de jouer les nounous pour un agent à la traîne et forçai l'allure. Bon sang, qu'est-ce qui se passait ? Prudente, je gardai mon revolver en main et scrutai chaque buisson à la recherche d'un ennemi ou de Ravier.
Je tombai sur lui au détour d'un sentier de promenade que nous avions franchi dès l'entrée dans le bois. Ou plutôt, sur son cadavre.
Ravier gisait là, les yeux fixes et le cou tordu dans un angle anormal. On lui avait tout bonnement brisé les vertèbres. Cette constatation me perturba tout de suite, car s'il s'était agi de l'un des assaillants qui nous suivaient en voiture, il aurait été abattu par balles et non neutralisé de cette manière. Je m'agenouillai près de Ravier et le retournai avec précautions, un œil sur les alentour. Son arme était encore là, pleine de balles. Soit il venait de changer de chargeur, soit il n'avait même pas eu l'opportunité de s'en servir.
Un froissement dans les fourrés me fit me redresser et pointer le canon de mon arme droit devant moi.
- Allan, fis-je, soulagée.
Mon mentor soutenait Tari en le tenant sous les aisselles.
- Deveille, il va falloir m'expliquer un certain nombre de choses, gronda le commandant. Qui a décidé de changer de plan au dernier moment ?
- C'est moi, et vous le savez très bien. Êtes-vous toujours poursuivis ?
- Par nos ennemis, non, répondit Allan, mais la police ne va pas tarder à s'en mêler.
- Et ce cadavre, Deveille ? me relança Tari, comme s'il ne nous entendait pas. Ravier n'a pas choisi de cesser de respirer de son plein gré, je suppose ?
- Je l'ignore, monsieur. Comme il ne suivait pas, je suis revenue en arrière et je l'ai découvert ici, il y a quelques secondes.
Tari jeta un regard circulaire aux arbres nous entourant et grimaça en se tâtant l'épaule. Mon mentor termina son examen du corps, tout comme je venais de le faire, puis se releva.
- Nous ne devrions pas rester là, dit-il, ses yeux clairs étincelants. Celui qui a fait ça n'est pas loin.
Il passa un bras autour de la taille de Tari et nous retournâmes sur mes pas le plus vite possible. Il était aisé de suivre le chemin pris par les recrues qui avaient détruit maintes branches et aplati le sol, et, dix minutes plus tard, nous les retrouvâmes dans un espace dégagé entre les arbres.
- Commandant ! s'écria l'agent Landit en venant porter assistance au grand GEN.
Je restai un peu en retrait et fis signe à Allan d'approcher pendant que les autres se pressaient pour soigner Tari.
- Allan, quelque chose ne tourne pas rond, murmurai-je.
- Que veux-tu dire ?
- Il n'y avait aucune empreinte près du corps de Ravier, à l'exception des nôtres.
Nous nous dévisageâmes sans rien dire, mais je jugeai tout de même nécessaire de formuler mes doutes.
- Le tueur ne peut être qu'une personne très douée qui aurait marché dans nos pas entre le moment où nous sommes passés avec le groupe et celui où je suis revenue. Ou alors c'est l'un d'entre nous. C'est forcément un GEN.
- Tari était avec moi, ce ne peut être lui, raisonna le GEN aux yeux de glace.
- Et Hubbel avec moi, ajoutai-je, mais Caleb et Helena étaient censés être ensemble devant, ils n'auraient pas pu revenir le tuer.
Je tournai la tête en direction des autres agents, perdue dans mes pensées.
- Cela dit, reprit Allan, le laps de temps que tu as laissé avant de partir à la recherche de Ravier me semble un peu court pour réaliser un meurtre et s'enfuir aussi discrètement, y compris pour un GEN. Combien de temps s'est-il retrouvé seul ?
- Deux minutes, maximum, étant donné la distance que je peux couvrir en courant. J'aurais dû le voir fuir ou entendre quelque chose.
- Agent Deveille, venez-ici ! me héla sèchement Tari, à quelques mètres de là.
Je fis ce qu'il demandait et dus raconter aux autres ce qui était arrivé à Ravier. Tous parurent choqués, mais cela ne voulait rien dire. Un bon comédien aurait pu feindre l'étonnement tout en ayant brisé la nuque de l'agent Ravier un peu plus tôt. Seule Hubbel était hors de cause et elle manifesta une inquiétude sincère en se tordant les mains.
- Commandant, risqua-t-elle. Nous devrions aller récupérer le corps de Ravier.
- Et pourquoi donc ? se moqua Tari. La piste que nous laissons derrière nous est aussi fraîche et lisible que celle d'un troupeau de vaches, un cadavre n'y changera rien. Nous ne sommes qu'à une heure de l'ancien Institut, nous allons finir à pieds. On repart dans une minute.
Lassée par les décisions sans queue ni tête du grand GEN, je me massai les tempes en souhaitant que nos attaquants ne récidivent pas avant que nous ayons atteint notre but. Il était très imprudent de s'y rendre en sachant que nous révélerions ainsi la position de la nouvelle base de nos soldats, mais contester encore les ordres ne ferait que m'attirer des ennuis.
J'enclenchai un autre chargeur dans mon arme et emboîtai le pas aux recrues qui s'étaient mises en branle, les yeux vides de toute expression.
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